« […] et elle a brûlé mon corps ; et mon corps s’est embrasé ; il
est devenu la brillante torche des passions les plus viles ; et puis
il s’est consumé ; à l’endroit où l’homme avait vécu, il n’est resté
qu’une pincée de cendres froides ; le vent a soufflé : la cendre
s’est envolée, s’est dispersée dans l’air. L’homme n’est plus. »
Ah ! ces images familières !
Toujours les talus, les brouillards,
Le bruissement des clairières,
Un peuple affamé sans espoir …
Ah ! ce pays, combien sévère !
Libre espace sans liberté …
Des champs monte une voix amère :
« Meurs avec moi sans hésiter ! »
Voici de mortelles menaces,
Voici des cris désespérés,
Des sanglots, des plaintes qui passent
En des messages éplorés.
Toutes les morts inassouvies
Sans arrêt volent dans le vent;
Dans la steppe, on fauche les vies,
Dans la steppe, on fauche les gens.
Terre glacée, plaine mortelle,
Pays maudit, pays froid,
Mère, ô Russie, patrie cruelle,
Qui s’est ainsi moqué de toi ?
(1908)
La continuité des "instants" - c'est la croissance de ta vie; mais la mémoire des "instants" - c'est ton inconscience en effervescence. Et sur ta conscience se mettent à tomber des embrouillaminis de mots.
Il crut trop à l’éclat de l’or
et périt des flèches solaires.
Sa pensée mesura les siècles
Mais vivre sa vie – il ne sut.
(Biély, aux Amis)
Assez ; n’attends plus ! Plus d’espoir !
Dissous-toi, mon malheureux peuple !
Disparais dans l’espace, disparais,
O Russie, ma Russie !
(Cendre)
Rencontre en ligne avec Georges Nivat, à l'occasion de la parution, aux Éditions des Syrtes, de Kotik Letaïev, d'Andreï Biely.
Enregistrée le 10 juin 2021
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Paru en 1917, Kotik Letaïev est une autobiographie poétique, épopée intérieure de l'enfance sur les trois premières années de la vie de son auteur, Andreï Biely. le héros, Kotik (diminutif de Konstantin qui signifie également chaton) Letaïev est un enfant précoce qui, depuis son plus jeune âge est familiarisé avec les trésors de la culture. Un jour, poussé par une nostalgie toujours plus grande, il part vers l'inconnu. le récit, à la première personne, a d'une part le charme naïf d'un discours enfantin au travers duquel se recompose la ville Moscou de la fin du XIXe siècle, et d'autre part l'inquiétant surréalisme d'un parcours initiatique conduisant sa victime par le dédale des mythes.
Adepte de la théosophie de Steiner, l'écrivain, alors âgé de 35 ans, se sent revivre sa première naissance. Il couche cette expérience sur papier, avec comme résultat ce récit hors du commun, qui commence dès avant la naissance, dans le ventre de sa mère.
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Georges Nivat est historien des idées et slavisant, traducteur spécialiste du monde russe. Professeur honoraire à l'université de Genève, il a été l'un des traducteurs d'Alexandre Soljenitsyne.
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KOTIK LETAÏEV, d'Andreï Biely
Roman traduit du russe par Georges Nivat
416 pages - 20 €
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