Confidences, tome 1

Les disputes conjugales font partie intégrante de la relation et il est même reconnu qu’il est sain pour un couple de se disputer. Mais votre discours traduit davantage des disputes qui tournent systématiquement au conflit destructeur.  Et puis, dans d’autres cas, vous ne vous parlez plus parce que le lien est trop distendu et, lentement, imperceptiblement, vous vous installez dans le renoncement. C’est très douloureux de ne pas être reconnu dans sa souffrance. Cela ne signifie pas que votre partenaire est insensible, cela signifie que, pour lui, de son point de vue, vos plaintes au sujet de votre relation n’ont aucun fondement. La plupart des hommes sont très sincères quand ils affirment ne pas percevoir les difficultés. D’autres, par contre, sont conscients de la situation, mais le déni leur permet d’être la meilleure protection contre cette déplaisante interrogation de leur contribution au malaise du couple. On perçoit, en filigrane, leur propre peur d’être remis en cause.

— Ne pleure pas maman. Ça va aller, je te le promets. 

C’est ridicule, ces promesses-là. C’est ce qu’on dit toujours. Mais qu’est-ce que j’en sais moi, si ça ira ou pas ? Ma petite sœur est derrière ces portes infranchissables réservées au bataillon de blouses blanches. J’ignore tout, à part que la situation est critique. Je n’ai pas vu Holly depuis des mois. Je dois tenir le coup pour ma mère et mon père. Alors qu’au fond de moi, je n’ai qu’une envie ; m’effondrer dans leur bras. J’aurais voulu les appeler au secours comme quand j’étais gamin, comme quand je me faisais mal. Je veux un câlin. Je veux qu’ils me réconfortent, mais je n’en ai pas le droit. Je suis un homme maintenant, je me dois à mon tour d’être solide. Foutaise, ça ne veut rien dire être un homme solide dans ces moments-là.

Papa avait les mots, il en avait lu tant des livres qu’il savait les magner… Les mots. Il aurait dû écrire, mais n’a jamais voulu. Son père avait oublié de le valoriser quand il était petit, il avait oublié de prendre confiance en lui, c’est dommage. Et puis, quand Tom et moi nous sommes arrivés, il nous a attribué toute sa réserve de valorisation et de compliments, sans en garder un peu pour lui.

Le peu de fois où j’arrive, ou plutôt, où j’ai l’impression d’arriver à lui dire que nous avons un problème, il refuse de m’entendre. C’est comme s‘il n’était plus concerné. Ce constat m’attriste tellement. Comment est-ce possible après toutes ces années d’en arriver là ?

« Enfants, on nous montre tant de choses que nous perdons le sens profond de voir. Voir et montrer sont phénoménologiquement en violente antithèse. Et comment les adultes nous montreraient-ils le monde qu’ils ont perdu ! »



Gaston Bachelard