L'institution

A six ans, le papa du petit Christian décide d'envoyer son fils faire sa scolarité dans une école religieuse, la seule qui, à ses yeux, est capable d'instruire correctement les élèves. C'est le jour de rentrée, anciens et nouveaux ont droit au discours de l'abbé Lespart, le supérieur qui donnera le «la». Tout y passe: la vertu, le religion, le péché, le travail, l'honneur fait au Tout-Puissant... Bref, le ton est donné pour cette nouvelle année scolaire qui s'annonce des plus réjouissantes! Puis viendra le tour de l'abbé Breuil de faire sa morale concernant les enfants qui pissent encore au lit... et qui voue une drôle de passion: celle de mettre des suppositoires aux petits garçons supposé guérir les rhumes! Puis viendra soeur Marie-Claire qui sent très fort de partout, parce qu'elle est grosse! le petit Christian arrivera à se faire des amis.. mais aussi des ennemis dans ce monde cruel qu'est l'enfance!

Largement autobiographique, le papa des Bidochon fait ici dans le social (enfin presque) et nous raconte ses années au pensionnat religieux, de 6 à 15 ans. Relatant tour à tour des anecdotes tantôt drôles tantôt touchantes, Binet nous invite dans cette Institution en faisant connaissance avec ses camarades de classe attachants ou mesquins. On rit souvent de ces situations cocasses avec toute une galerie de personnages assez extravagants. Mêlant l'humour, la poésie, l'amour et l'affectif, cet album se tourne comme un véritable album-photos. Il dénonce également ce système éducatif répressif. le dessin rond et attendrissant ajoute une part d'humanité et de tendresse pour cet enfant qui attend désespérément un geste paternel. Binet a su réveiller cette part d'enfant que l'on a tous en soi...

L'institution... un vrai chemin de croix... sauf pour le lecteur!

Binet, avant d'être l'heureux papa des Bidochon, connut une enfance quelque peu contrariée.
Le contexte, tout dabord. La seconde guerre mondiale et son cortège de misèèèèreeee !
Ce qui lui valu d'être confié, dès l'âge de six ans, à l'institution Notre-Dame, fer de lance catholique de la région.

Il s'y raconte, avec tendresse et espièglerie, relatant les hauts faits d'armes de tous ces rebelles en culotte courte qui n'avaient pour seul dérivatif que la malice de leur jeune âge et les douches glacées, les brimades, la messe, les pélerinages...dans une moindre mesure.

A la fois cocasses et attendrissantes, toutes ces anecdotes bicolores certifiées 100 % vécues se picorent avec délectation.
Par contre, aux vues des méthodes employées par le petit personnel chrétien pour répandre l'esprit sain ♪ sur la teeerre comme au cieeeeel ♫♪, j'suis pas prêt de donner au vaticanthon, moi...

L'institution est peut-être la bande dessinée que je préfère de Binet.
Ici, Binet revient sur ses années d'école, en pension chez les curés, dans les années 50. C'est l'après guerre, la société n'est pas encore totalement remise, et ce qui y est décrit est très réaliste. Binet parle de lui-même, de ce qu'il a vécu, de façon humoristique et réaliste à la fois, avec donc une certaine intimité. Son dessin en noir et blanc est brut, très expressif, il a le talent pour rendre des détails tellement vrai en gags à pleurer de rire. J'ai déjà dû lire cette bande dessinée des dizaines de fois, le gag de l'oeil de me fait toujours rire aux éclats, tant les expressions, la moindre posture, le moindre trait tremblant ou assuré participe au gag, Binet atteint ici une certaine forme de perfection dans la justesse entre l'humour et la réalité cruelle. Cette BD, c'est Binet qui se dévoile, mais c'est toujours le Binet des Bidochons. Génial.

De Binet, tout le monde connait les Bidochon, une des premières BD dont le succès a su trouver un public en dehors du monde des bédéphiles. L'oeuvre de Binet ne se limite pas à cette seule série : Poupon la peste, Kador (d'où sont sorti les Bidochon), Monsieur le Ministre (une des meilleure satire politique sur le marché), Propos irresponsables, ... Au milieu de cette grande production à l'humour acide se trouve une perle, à mon sens le chef d'oeuvre du bonhomme : L'institution. Bien avant la mode de la BD autobiographique, Binet raconte son passage chez les "bons" pères, 9 ans d'internat condensé en un album. Au premier abord on retrouve le style acide et l'humour de l'auteur mais en même temps une immense tendresse pour ces gamins est perceptible à chaque page. Ces enfants, qui dès 6 ans, sont embarqués dans un monde glacial et où tout est construit pour imposer la rédemption par l'église. La discipline est dure et les récompenses rares, malgré tout nous sommes en présence d'une bande de gamins, de garnements près à tout pour contourner les règlements et la vigilance de leurs gardiens. le génie de Binet est là, montrer ce mini-monde où tout est possible malgré l'oppression aveugle des gardiens. Binet ne juge pas, il est néanmoins devenu un non-croyant pratiquant, il se contente de montrer l'absurdité de ce genre d'établissement (qu'on espère disparu) et celle de ces maitres qui ne pensaient que bien faire. le résultat est un grand album d'humour et de sincérité, car oui c'est hilarant (et effrayant en même temps) et l'auteur, plus que dans tout autre de ces albums, se livre sans réserve.

Ces souvenirs d'enfance, de Binet, parurent dans Fluide Glacial à l'aube des années 1980...
Le noir et blanc de ce récit, renforce le côté morne et austère de cette tranche de vie en pension, non dénuée d'humanité et d'un certain comique.
Ayant fréquenté , mais plus tard, ce style d'établissement d'enseignement (sans les soutanes, passées de mode dans les années 60/70...), j'ai retrouvé certains personnages ou situations alors rencontrées.