Ne vous fiez pas à la couverture basse en couleur, cet album est à crever de rire, un vrai bonheur, probablement un des tout meilleurs de la série.
René Goscinny est allé chercher une histoire très bien huilée basée sur une relative réalité historique qu'il a, bien évidemment, enjolivé à sa sauce.
À savoir la lutte sans merci entre éleveurs et cultivateurs dans la Grande Prairie fraîchement colonisée par les blancs au XIXème siècle. Goscinny imagine une opposition de type quasi héréditaire entre les éleveurs bovins obèses et les cultivateurs ultra-minces et végétariens.
Les amateurs retrouveront certains accents qu'ils avaient appréciés dans Les Rivaux de Painful Gulch avec la légendaire opposition entre les O'timmins à gros nez et les O'hara à grandes oreilles. D'ailleurs, Morris en joue ici dans le dessin ou le grand-père des cultivateurs est un sosie véritable de papy O'hara, les grandes oreilles en moins, bien évidemment.
Nous suivons donc un gros et gras éleveur, Cash Casey, aux prises avec un agriculteur fraîchement arrivé de l'est pour installer son exploitation avec un acte de propriété en bonne et due forme. C'est Vernon Felps.
Cash Casey n'entend pas limiter l'aire de pâturage de ses troupeaux, avec ou sans titre de propriété officiel, et prend donc un malin plaisir à faire piétiner les cultures de Vernon Felps à intervalles réguliers.
Excédé, Felps s'en vient à Cow Gulch (le nom en dit long sur l'ambiance de cette petite ville) dire son fait à Cash Casey. Mais très rapidement, il est pris à parti par les hommes de Casey, qui lui feraient très certainement passer un mauvais quart d'heure si...
... si Lucky Luke n'était pas précisément installé à une table en ayant horreur qu'une bande s'en prenne à un homme seul et désarmé.
Le tireur le plus rapide des Amériques aura donc, de facto, choisi son camp, toujours au service de la veuve, de l'orphelin... et du maigre cultivateur. Face au refus buté des éleveurs à éviter les terrains cultivés, la seule solution semble d'étaler des barbelés sur la prairie... mais, ouille, ouille, ouille, attention aux conséquences, car ça, les barbelés, les éleveurs détestent et cela signe la début de la guerre ouverte entre les deux factions.
Cash Casey a sorti ses tenailles, Vernon Felps apprend à semer des grains (certains sont en plomb) et Lucky Luke est obligé d'user de déguisements subtils pour passer la ligne de démarcation. Qui sera gagnant ? Y aura-t-il un gagnant ? Cela je vous laisse le plaisir de le découvrir.
En somme, un Goscinny au top question scénario et un Morris qui signe un superbe album très graphique, très épuré, avec parfois des silhouettes en ombre chinoises très réussies. Ce que l'on peut reprocher à cet album est très certainement sa couverture où l'on sent bien que l'éditeur d'origine, Dupuis, y est allé franchement à l'économie : un minimum de couleurs pour que ça coûte moins cher à l'impression, maintien de la très fragile couverture souple alors que de nombreuses BD arboraient déjà la couverture rigide que l'on connaît de nos jours.
C'est ce que pensait également
René Goscinny et ce qu'il exposa à l'éditeur Dupuis. Devant le refus de l'éditeur à mettre plus de moyens pour promouvoir ses albums, Goscinny convaincra Morris de faire migrer Lucky Luke chez Dargaud quelques temps après.
Bref, une valeur sûre, un excellent Lucky Luke de la période d'or (que je situe en gros de la Ville Fantôme au Pied Tendre). Mais ce n'est bien évidemment que mon avis, c'est-à-dire pas beaucoup plus qu'un fil sous la gueule béante des mâchoires de tenailles prêtes à mordre...