Il n'est pas fréquent – et c'est, me semble-t-il, un euphémisme – qu'un artiste essaye de vous expliquer comment il travaille. Pas en vous balançant une série de mots-clés, de concepts plus ou moins fumeux sur ce qu'il ou elle veut exprimer, mais en vous décrivant, par le menu, comment il aborde les objets, comment il les démonte pour essayer de les comprendre, comment il déconstruit leurs « fonctionnalités ». Et puis, ensuite, comment il fait « oeuvre d'art », en détournant ces fonctionnalités pour un ailleurs, un autrement.
Je ne dis pas que cela doit devenir votre livre de chevet, ce serait sans doute, pour beaucoup d'entre vous, sans aucun intérêt. Mais cette démarche m'intéresse, me parle, me bouscule, également, dans mes certitudes.
Je ne collectionne pas, je ne démonte pas, je ne bidouille pas. Bref, je n'ai rien en commun avec cette démarche. Et pourtant elle me parle, à la fois dans ce qu'elle a de très humain et dans la façon dont elle questionne ce numérique qui nous entoure, qui accompagne chacune de nos actions.
Travail de réflexion, travail d'introspection, travail de conceptualisation, ce livre n'est pas fait pour un dimanche après-midi pluvieux, sous un plaid, mais pour une séance de lecture appliquée, sérieuse, réfléchie. L'une des choses que l'auteur décrit avec une grande justesse, c'est la part de hasard dans le processus créatif. Hasard, c'est à dire accident, déviation, déviance, désordre – au sens de « disparition de l'ordre » -. L'artiste s'engage dans une voie, mais celle-ci peut finalement s'avérer être une impasse. Sauf qu'au bout de cette impasse, il y a finalement ce petit chemin tortueux, qu'il faut savoir repérer, mais aussi emprunter.
Un autre aspect sur lequel ce livre insiste est la dimension parodique que prend souvent le processus de recréation. Cette dérision à l'oeuvre est à la fois divertissement, désacralisation et contestation.
Gilles Boenisch convoque ici
Johan Huizinga et
Roger Caillois pour montrer avec eux que la démarche artistique emploie les codes du jeu, qui sont la mise à distance, la ritualisation et le choix de règles.
Sont également explorés les notions de « point de vue », de ce qu'est l'art – la proposition de l'auteur est ici qu'il s'agit d'une exploration, d'une quête, qui n'est bornée ni par les
oeuvres, ni par les thématiques abordées, et moins encore par les théories de l'art. Et, pour finir en beauté, l'auteur déconstruit une nouvelle fois tout l'échafaudage patiemment mis en place, en montrant que toute tentative de saisir le geste revient en réalité à le figer, à la délimiter pour un temps. Dans un roman, ce serait le twist final. Ici, c'est la remise en liberté de la réflexion…
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