Hervé Snout alors. Quelle était donc la shortlist des autres noms potentiels ? Je paierais cher pour la zieuter. Car c'est qu'il en a sous la semelle
Olivier Bordaçarre, je me carapatais de mon boulot merdique pour aller le lire sous mon plaid. Sans doute un brave type, impertinent comme il faut, qui rigole du dedans et vous fait des clins d'oeil complices.
Cette fable noire au cynisme jouissif a décapé mes soirées. L'auteur a eu le pif pour consteller mon imaginaire gêné d'une galaxie de personnages aux qualités morales excellemment douteuses. Y'a quelques mandales qui se sont perdues, croyez-moi. Ma main me démangeait fort face à ces objets hétéroclites que je voulais voir prendre cher.
Dans la famille Snout, je demande : papa Hervé, le viriliste crétin nous réjouissant par son affligeante médiocrité. Maman Odile, dont la douceur de la peau n'a d'égale que l'aridité matrinoniale traversée. Lara, la fille, au sens aigu sur mille choses, carrément scintillante face à son frère Eddy, âne bâté encombrant trop occupé à se branlocher sur sa tablette.
Le reste n'est pas piqué des hannetons, cerclé dans un decorum désarmant d'abattoir. Ça sanguinole, suinte le sang vicié, de sales types se donnant des airs d'importance, dégorgeant leur masculinité en jouant du menton dans une insolence excessive.
Bordaçarre nous tire à bord d'un sacré merdier et je le remercie pour cet ouvrage qui fleure bon le sang frais. L'entreprise était ambitieuse, pénétrer l'opacité des abattoirs, leur impénétrable moiteur qui fait lamper l'air par la bouche, des viscères par kilomètres, luisants comme des limaces, écoeurants et avilissants pour qui s'y frotte. J'aime beaucoup l'idée, celle de convoquer les lecteurs face à leur propre ambiguïté, la tension interne soulevée par l'implacable vérité : l'industrie de la viande est gratinée.
Vous êtes avertis du danger, mûrs à point pour un cas de conscience, car se cogner le fonctionnement de la mise à mort des bestiaux, c'est signé, votre flexitarisme va en prendre pour son grade. Ça ou vous êtes un vieux con.
J'ai surnagé les premiers chapitres comme un petit chiot pas doué. C'est que l'archétype des personnages m'a fait tirer la langue, je les ai trouvés à ça de la caricature : l'expression d'un virilisme toxique se gargarisant connement dans une violence extrême, la gaminette lesbo-végé-dans-le-turfu, le flic alcoolique aux tendances suicidaires, l'époux pervers, l'écolier tourmenté et harcelé, bref des personnages modelés par un certain schématisme.
Mais que Monsieur Bordaçarre se rassure, je n'ai pas sombré, mon errance a retrouvé sa stabilité, il m'a repêché in extremis en retravaillant à sa sauce les canons qui peuplent nos imaginaires collectifs. Il enjambe les idées poussiéreuses façon vieille France chiante émaillant son écrit de problématiques actuelles. J'ai trouvé le petit père sensible aux idées nouvelles : le rapport au vivant et à l'écologie, la masculinité désirable, la transmission filiale, la santé mentale... je valide.
Une lecture corrosive et divertissante.