Faut-il traiter les hommes en égaux ? En ce cas quelle sorte d’égalité leur reconnaître ? Dois-je professer qu’ils ont mêmes devoirs, mêmes droits ? Voudrai-je que les biens, spirituels ou matériels, leur soient départagés en lots uniformes, ou en lots proportionnés, soit à leurs besoins, soit à leurs mérites, soit à leurs œuvres ? – Autant de problèmes moraux que les tendances égalitaires proposent à notre conscience. Nous ne pouvons prendre parti pour ou contre l’une d’elles, nous commander de la suivre ou nous reprocher de l’avoir suivie sans avoir, implicitement ou explicitement, résolu ces problèmes.
Dans quelles sociétés les pensées et les habitudes, les livres et les codes, les institutions rêvées comme les institutions respectées manifestent-elles donc que l’esprit égalitaire est en marche ?
Si l’on se rappelle les éléments de notre définition de l’idée de l’égalité, on reconnaîtra aisément que nous n’avons eu, pour les ressembler, qu’à chercher autour de nous, dans les sociétés modernes et occidentales : c’est des réalités les plus proches que nous nous sommes inspirés ; c’est bien l’esprit de notre temps qui nous a soufflé nos mots.
En résumé, l’idée de l’égalité des hommes, telle que nous l’avions définie, ne nous a pas semblé se manifester partout : suivant sa trace à travers les doctrines et les institutions, nous l’avons rencontrée, non pas à l’origine des sociétés, là où n’existe à vrai dire aucune civilisation, mais seulement à l’intérieur de cette civilisation qu’on appelle occidentale.
Peu d’idées semblent plus vivantes aujourd'hui, plus agissantes et passionnantes que l’idée de l’égalité des hommes ; il en est peu par suite qu’il soit à la fois plus tentant et plus malaisé de soumettre à une étude scientifique. Plus que jamais on risque, devant un objet qui excite tant de sentiments divers, de confondre le vrai et le voulu, la réalité et l’idéal, la science, et la pratique.
Indépendamment en effet des phénomènes physiques ou psychiques qui se déroulent à l’intérieur des sociétés, quelles que soient la race ou les idées des unités qu’elles associent, les sociétés se ressemblent ou diffèrent par la façon dont leurs unités sont associées, par les modalités de leur groupement.