“Il est 15h, ici
Ménie Grégoire dans
l'Heure des femmes sur RTL”.
Peut être que ce nom t'es familier, peut être que tu peux entendre la voix de Ménie en lisant ces mots.
Personnellement, j'ai été surprise de la découvrir. Surprise parce qu'elle a tant apporté à son époque qu'il me semble que j'aurai dû en entendre parler.
Seulement, on nous parle peu, finalement, des femmes.
" Madame, avec les femmes, vous n'allez intéresser personne.” Pourtant, Ménie, alors cinquantenaire en 1967, bourgeoise, femme de politicien, convainc RTL de lui céder du temps d'écoute l'après-midi:
“15h, c'est
l'heure des femmes. La maison est propre, les enfants sont à l'école ou font la sieste, aussi des millions d'entre elles vont prêter une attention toute particulière à ce qui se dit dans le poste de radio.”
Il faut se rappeler qu'à partir du milieu du XIXe siècle, la situation d'une partie des femmes change sans précédant: l'avènement de la classe moyenne les place au foyer. On a tendance à penser que cela à toujours plus ou moins été le cas, mais en vérité, à moins d'être bourgeoises les femmes ont toujours travaillées.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dopé par le consumérisme des Trente Glorieuses, le statut de femme au foyer s'impose comme une promesse d'accomplissement personnel pour des générations de jeunes filles, convaincues de la noble mission de se dévouer entièrement à la famille. Mais sous le vernis de l'idéal valorisé par la pression sociale, au fil des années et de la quête d'autonomie des enfants qui grandissent, l'ennui engendré par la routine, le sentiment de mal-être et parfois la dépression rongent en silence beaucoup d'entre elles.
C'est là qu'intervient Ménie. Elle leur offre la parole et surtout, surtout, elle les écoute. D'une certaine manière, j'ai eu l'impression que Ménie les autorisait à être… humaines. A compter.
« Tout le monde a besoin de ça. D'une oreille, sans jugement. de quelqu'un qui puisse tout entendre, qui puisse leur répondre qu'aucun vice, aucune douleur, aucune tragédie n'est solitaire. Quelqu'un qui explique aux femmes leur corps, aux jeunes filles les réalités du couple, aux hommes les besoins de leurs épouses. »
Ce roman témoigne des progrès sociaux que la sororité qui s'est formée grâce et autour de cette émission à permis.
On suit Ménie, sa carrière, les appels téléphoniques de plus en plus intimes, de plus en plus urgents. Plus elle ouvre la porte, moins les femmes ont de pudeur à raconter leurs problèmes.
On tombe des nues, parfois (comment peut-on atteindre 30 ans sans savoir comment ont fait les bébés ?). On grince des dents, souvent (ces pauvres femmes, leurs corps et leurs esprits ignorés).
Et enfin vient l'espoir, quand Ménie milite pour l'IVG, pour la pilule contraceptive et que l'on voit les femmes prendre enfin le contrôle de leurs vies, de leurs corps, de leurs voix.
Une seconde narratrice, contemporaine cette fois, permet la comparaison avec le statut actuel des femmes. Celle-ci interroge:
“- Vous ne trouvez pas bizarre que la voix des femmes se soit peu à peu tue ?
- Qu'est-ce que vous voulez dire ?
- Je ne sais pas. Avec MeToo, toutes ces accusations, tous ces actes qui attestent de la violence des hommes, d'inceste, on a l'impression que chacun redécouvre ce qui était déjà là il y a cinquante ans, Comment est-ce possible ? [...] Peut-être parce que, comme moi, il n'a pas de réponse à ça. Au fait qu'après cette période de sursaut, on ait voulu refermer la porte des foyers. Les femmes avaient obtenu la contraception, le droit d'avorter, celui de travailler. Elles avaient eu ce qu'elles voulaient, elles n'allaient pas continuer d'emmerder le monde. Maintenant, elles pouvaient la fermer.”
Honnêtement, le roman a des longueurs. Mais il explore avec sensibilité les aspirations individuelles et les pressions sociales d'hier et d'aujourd'hui.
A nous, maintenant, de prendre la parole.
“Menie est ailleurs. Elle pense à toutes ces filles qui naissent au moment où elles parlent. Qui débarquent dans cette époque insensée où on leur demandera peut-être davantage encore que durant les siècles passés. Mais qui auront la chance, elles, de refaire le monde si elles le désirent."
(
Bechdel : 3 oui bien sûr.)