L’art suprême du poète est de nous représenter ces scènes et ces figures belles de vie et de vérité, comme celles des moissonneurs et des pêcheurs de Théocrite, ou, ce que nos lecteurs comprendront mieux peut-être, belles de lumière et de force, comme celles des pêcheurs et des moissonneurs de Léopold Robert. Ç’a été là certainement l’idéal qu’il a eu le plus ordinairement devant sa palette. Voyez comme il décrit une des îles du Morbihan :
Une chaîne d’îlots ou de rochers à pic
De Saint-Malo s’étend jusqu’à l’île d’Hœdic,
Iles durant six mois s’enveloppant de brume,
De tourbillons de sable et de flocons d’écume.
Des chênes autrefois les couvrirent, dit-on ;
Chaque foyer n’a plus qu’un feu de goémon.
Parfois derrière un mur, où vivait un ermite,
Dont le vent a détruit la cellule bénite,
Derrière un mur, s’élève un figuier pâle et vieux,
Arbre cher aux enfans, seul plaisir de leurs yeux.
La tristesse est partout dans ces îles sauvages,
Mais la paix, la candeur, la foi des premiers âges
Les champs n’ont point de borne et les seuils point de clé ;
Les femmes d’un bras fort y récoltent le blé ;
De là sortent aussi sur les vaisseaux de guerre
Les marins de Bretagne, effroi de l’Angleterre.
Dans ces nouvelles conditions faites à l'art, heureux donc le chantre de mon pays ! Ici, à vrai dire, point d'aventures étranges ni de passions outrées, mais toujours la naïveté et la profondeur du sentiment. Le roman n'est nulle part dans la vie simple et franche du Breton; mais la poésie, elle y est partout.
Tandis que les fuseaux tournent aux doigts des femmes,
Il est doux d'écouter, les deux mains sur les flammes ;
Des contes merveilleux de pays enchantés,
Et depuis des mille ans les vieux airs répétés,
Où revit la Bretagne avec toute sa gloire,
Et dont le noble peuple a gardé la mémoire.
Ainsi dans les manoirs, où chaque souterrain
A son dragon de feu, chaque préau son nain ;
Puis, après les géant les grandes passes d'armes,
Un simple chant d'amour qui fait venir les larmes.
Barbares chevelus, hideuses Valkyries,
Aux fureurs de la vague unissant leurs furies !
Plus les immenses voix de la mer grandissaient,
Plus montait leur prière effroyable ; ils disaient :
« Vous êtes, ô Beûzec, le patron de ces côtes ;
C'est vous qui, chaque hiver, nous envoyez des hôtes,
Et les larges vaisseaux ouverts sur ces brisants
A vos fils dévoués, bon saint, sont vos présents. [...]
Les riches heures de la poésie française. Auguste Brizeux.