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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Acqua Alta est le plus beau livre que j'ai jamais lu sur Venise, une ville qui m'a toujours fascinée, quelque soit la saison, sous le soleil, sous la pluie, la brume, le vent, vide, affolée…. Brodsky en cent pages nous en fait une esquisse sublime au réalisme magique de son image imprégnée dans son âme à travers dix-sept hivers qu'il y a passé durant divers séjours.
Brodsky et Venise un couple insolite, le premier poète russe, prix Nobel de Littérature 1987 , le deuxième un songe baroque aux palais oubliés par le temps, immergés dans l'eau, l'eau son sang où bat son coeur.
C'est ma cinquième lecture de ce petit bijou littéraire, mais cette fois-ci lu dans sa version italienne publiée en 1989 dans une édition non commerciale , première édition publique dans le monde auquel l'auteur y a fait quelques ajouts , et son titre un peu différent de l'original anglais « Watermark », en français « Acqua Alta », en italien «  Fondamenta degli incurabili », la danse des titres 😊. le titre italien se réfère au nom d'un hôpital à Venise, qui accueillait principalement des gens malades de la syphilis mais aussi des personnes aux maladie incurables. Ce titre choisi par l'auteur renvoie au sens figuré à la mémoire d'une souffrance lointaine ressentie proprement par le poète lui-même, où le destin psychologique et physique sont liés à un mal constant celui de l'exil.
Brodsky est mort à NewYork en janvier 1996, mais il repose désormais à Venise sur l'île de San Michele, un amour à la vie, à la mort. Qu'il repose en paix, Venise est toujours intact, et les promoteurs n'y ont encore pas fait de ravages comme il en avait la peur il y a trente ans.

« …l'amour est une liaison entre une réflexion et son objet ».
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Acqua Alta est un court essai de Joseph Brodsky, l'un de ses derniers, publié en 1992 et écrit directement en anglais.

Brodsky y fait une déclaration d'amour à cette ville, qu'il évoque d'une manière précise et en même temps fluide, fluide comme l'eau, élément principal de Venise, et visiblement très important pour Brodsky. Même si l'auteur évoque des lieux emblématiques, voire touristiques de la ville (le texte se clôt au café Florian) la Venise de Brodsky n'est pas forcément celle des touristes : il préfère y aller en hiver, lorsque la foule, la chaleur, le soleil, les couleurs éclatantes ne sont plus là. D'une certaine manière, Venise ressemble plus dans ces moments-là à la ville natale de Brodsky, Saint-Pétersbourg.

Brodsky traque la beauté de Venise dans l'espace, en arpentant ses rues, ses places, en prenant le bateau, mais aussi dans le temps, en explorant par exemple les pièces inoccupées d'un palais vénitien. Il y a les livres qui évoquent Venise, comme par exemple, un roman d'Henri de Régnier, et il y a aussi les tableaux, tant l'oeil semble primordial dans ce lieu. Tout cela dans une belle écriture, d'une manière discursive, et néanmoins ordonnée.

Un très beau voyage.
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Voilà un livre original, un séjour à Venise hors du commun, une ode, un poème d'amour et de tendresse à une bien aimée, Venise, la cité sortie des eaux. La plume de Joseph Brodsky intelligente et pleine d'humour nous livre un récit magistral qui nous éblouit. On lit ... on relit... c'est l'étonnement puis l'émerveillement. Avec Brodsky on erre, l'hiver, "parce que l'hiver est plus fort"," dans les rues étroites et sinueuses comme des anguilles". On pousse les portes des palazzi, des "chiesa" et à nos côtés il convoque les plus grands noms : la lumière de Giorgione et Bellini, les drapés de Tiepolo et le Titien, la musique de Vivaldi...
"Cette ville est celle de l'oeil : il darde, bat, oscille, plonge, tangue. Sa gélatine à nu s'attardé avec une jubilation atavique sur le reflets des palazzi, des talons aiguilles, des gondoles... Cette ville colle à la peu comme une algue glacée"
Plongez dans Venise et laissez votre oeil vous guider vous ne serez pas déçus !
Un pur bonheur.
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Publié en 1992, ce long poème en prose forme une peinture amoureuse, parfois érotique, de Venise, sirène sinueuse aux odeurs d'algues glacées, depuis la première arrivée de Joseph Brodsky en gare de Venise lors d'une nuit froide de décembre, juste après son expulsion d'Union Soviétique en 1972, inaugurant une longue série d'incursions dans la ville chaque hiver pendant dix-sept années.

Loin des hordes de touristes qui envahissent Venise à partir du printemps, cette méditation sur la beauté de pierre et d'eau de la ville, sur l'immobilité somptueuse des édifices et des statues face à l'anarchie des flots laisse entrevoir les correspondances avec Saint-Pétersbourg, la ville d'origine du poète.

«La lente avancée du bateau à travers la nuit était comme le passage d'une pensée cohérente à travers le subconscient. Des deux côtés, baignant dans l'eau d'encre, se dressaient les énormes coffres sculptés de sombres palazzi remplis d'insondables trésors – de l'or assurément à en juger par la faible lueur électrique jaune qui sourdait parfois parmi les fentes des volets. L'atmosphère de tout cela était mythologique, cyclopéenne pour être précis : j'étais entré dans cet infini que j'avais contemplé sur les marches de la stazione et voilà que je passais au milieu de ses habitants, devant une troupe de cyclopes endormis reposant dans l'eau noire et qui, de temps en temps, se dressaient et soulevaient une paupière.»

L'oeil de Brodsky capte les couleurs changeantes de Venise, depuis les brumes du matin lorsqu'elle prend «des allures de porcelaine», en passant par l'exploration crépusculaire des innombrables pièces en enfilade d'un palazzo, jusqu'aux profondeurs de la nuit où la ville tout entière «est comme un orchestre gigantesque avec les pupitres faiblement éclairés des palazzi, le choeur incessant des vagues et le falsetto d'une étoile dans le ciel d'hiver», dans cette ville qui ne doit pas devenir un musée puisqu'elle est déjà une oeuvre d'art.

Porté par la pensée mouvante comme les eaux de Venise et par l'oeil qui capte les beautés de la ville, "Acqua alta" est aussi une méditation sur le temps qui passe et la mémoire, les relations entre inanimé et vivant, entre vie et mort.

«L'oeil acquiert dans cette ville une autonomie comparable à celle d'une larme. La seule différence est qu'il ne se détache pas du corps, mais le soumet tout entier. Au bout d'un certain temps - le troisième ou le quatrième jour – le corps commence à se considérer lui-même comme le simple support de l'oeil, comme une sorte de sous-marin dont le périscope tantôt s'étire, tantôt se rétracte.»
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Un poète à Venise

Joseph Brodsky nous parle de Venise comme on éveillerait sa bien-aimée, en chuchotant des mots d'amour dans le creux de son oreille. Son verbe est fin comme de la poudre d'or et salé comme l'eau de la lagune vénète. A Venise, le génie du lieu a ceci de fabuleux qu'il nous dépossède de notre moi étriqué. Voici une ville qui met à terre notre ego mesquin. Elle est un songe éveillé plus grand que les rêves les plus fous, une île qui semble marcher sur l'eau avec des jambes de bois. Nous autres humains, n'y sommes acceptés qu'à titre gracieux.

Comme une Atlantide encore épargnée par la noyade, cette cité lacustre est un labyrinthe enchanteur. Seul un Dédale pouvait imaginer une telle ville. Nul fil d'Ariane ne pourra cependant guider le voyageur : se perdre dans Venise fait partie de la règle du jeu.
Joseph Brodsky convoque sous sa plume des métaphores d'une grande beauté, d'une puissance créatrice rare et surprenante : le ressac de son imaginaire le conduit sans cesse vers des images empruntées à la vie sous-marine.

Acqua Alta se déroule sous les yeux du lecteur comme une Fata Morgana flottant au ras des canaux d'un vert d'absinthe : c'est un mirage tout imprégné d'eau et de soleil. le bestiaire de cet ouvrage se compose essentiellement de poissons et de lions – ces fameux lions qui semblent veiller sur la Sérénissime comme sur une reine de marbre. Par son regard de poète subtil, Brodsky nous invite à lever le voile sur une Venise insoupçonnée, mystérieuse, plus secrète qu'un livre fermé. Comme un ballet sur l'eau, celle-ci tournoie dans l'ivresse : ballerine vêtue de vert, de blanc et de rouge.

Au cours de sa vie fugace, Brodsky s'est rendu environ dix-sept fois dans Venise – presque chaque année et toujours en hiver. Ce fils de la Russie a trouvé là un havre de beauté inépuisable. Son livre a ceci de savoureux qu'il navigue tour à tour entre un lyrisme flamboyant ; des évocations grotesques, irréelles ; des anecdotes comiques ou dramatiques ; des parfums de légende ; de sublimes fulgurances. Acqua Alta est un kaléidoscope unique fabriqué de main de maître par un mage russe, véritable thaumaturge du langage.

Tel un médecin du beau, Brodsky tâte le pouls de Venise et se fait son scribe fidèle et inspiré. La pâle lumière des réverbères et l'ombre des eaux serpentines scintillent devant nos yeux de lecteurs envoûtés : la grâce se mêle souvent à un certain effroi.
Il y a du sable infiltré dedans ces pages ; l'odeur si évocatrice pour l'auteur des algues glacées ; l'errance passionnée d'un poète amoureux ; la froide humidité de l'hiver ; la nebbia, épais brouillard qu'aucun couteau ne peut trancher et qui habille Venise en certaines périodes, etc.

Acqua Alta est la vision d'un homme tout entier habité par la parole créatrice : un poète dont les mots courent sur le papier comme autant de flammes noires qui nous éveillent à la beauté et ressuscitent notre regard endormi.

Thibault Marconnet
16/03/2014
Lien : http://le-semaphore.blogspot..
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Acqua alta (1992) revêt une grande valeur symbolique dans le contexte personnel du poète qui s'est rendu dix-sept ans dans cette ville magique, toujours en hiver et toujours pour écrire des poèmes, pour travailler dans un contexte qui lui convenait, mais aussi pour être, tout simplement.

Acqua alta est un opuscule d'à peine 110 pages qui se lit avec plaisir car l'écriture de ce poète de tendance acméiste (en opposition à symboliste), est accessible et limpide, rendant compte d'une manière charnelle, directe et très sensuelle de la réalité.

Il s'y rendait exclusivement l'hiver parce qu'il aimait la couleur de l'eau en hiver, le calme retrouvé, l'absence de chaleur qu'il supportait mal, la lumière hivernale opaque sur la lagune et parce qu'il ne supportait pas "les hordes de touristes qui osaient étaler leur hideur dénudée face à tant de beauté face aux colonnes, aux pilastres et aux statues. Je dois être de ceux qui préfèrent un choix à un flux, or la pierre est toujours un choix. Pour moi, un corps dans cette ville doit, si bien fait soit-il, être voilé d'un vêtement, ne serait-ce que parce qu'il bouge. Les vêtements sont peut-être notre seule approximation du choix fait par le marbre".

Venise, écrit-il, est le genre d'endroit où l'étranger comme l'autochtone savent d'avance qu'ils seront en représentation. (Ah, oui alors. Car Venise est un décor de théâtre et je lisais il y a quelque temps que Venise pourrait être le plus grand salon ouvert du monde). Ce qu'on voit dans cette ville à chaque pas, chaque coin de rue, chaque échappée, chaque impasse aggrave nos complexes et nos doutes. La beauté alentour est telle qu'on conçoit instantanément le désir absurde, animal, de s'y mesurer, pour ne pas être en reste. Cela n'a rien à voir avec la vanité pas plus qu'avec la surabondance de miroirs inhérente au lieu, le principal étant l'eau elle-même. C'est simplement que la ville procure aux bipèdes une excitation visuelle qu'ils n'ont pas dans leurs tanières habituelles, dans leur environnement naturel.

L'hiver dans cette ville, le dimanche surtout, vous vous réveillez au carillon de cloches innombrables comme si, derrière les rideaux de gaze, un gigantesque service en porcelaine vibrait sur un plateau d'argent dans le ciel gris perle. Vous ouvrez grand la fenêtre et la chambre s'emplit en un instant de cette brume extérieure chargée de sons de cloches, faite d'oxygène moite, de café et de prières.

L'oeil acquiert dans cette ville une autonomie comparable à celle d'une larme. La seule différence est qu'il ne se détache pas du corps, mais le soumet tout entier. Quelles que soient vos intentions en sortant de chez vous, vous êtes condamnés à vous perdre dans ces longues ruelles et ces passages tortueux qui invitent à la découverte, à poursuivre une fin fuyante qui le plus souvent se dérobe dans l'eau, si bien que vous ne pouvez même pas parler de culs-de-sac. Il n'y a pas de nord, de sud, d'est ou d'ouest; sa seule direction est transversale. Elle vous entoure comme une algue glacée, et plus vous mettrez d'élan et d'impatience à chercher vos repères, plus vous vous perdrez.

Sur l'Acqua alta…Les soirs d'hiver, la mer, gonflée par un vent d'est contraire, remplit à ras bords les canaux comme une baignoire, et parfois les fait déborder. La ville se retrouve dans l'eau à la cheville et les bateaux piaffent. « Acqua alta », dit une voix à la radio, et le trafic humain descend au-dessous de l'étiage. Les rues se vident; boutiques, bars, restaurants et trattorias baissent leur rideau. Les églises, pourtant, demeurent ouvertes mais marcher sur les eaux n'étonne personne, ni le clergé ni les fidèles; ni la musique, soeur jumelle de l'eau.

Il m'a rappelé bien des sensations ce petit livre enchanteur. Il ira rejoindre ma petite collection de textes sur Venise. Ah que le bonheur est simple. On lit un texte, on se réjouit, le coeur se dilate et le tour est joué, on a une fulgurance de bonheur.
Lien : https://pasiondelalectura.wo..
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Sans doute l'une des plus rusées et des plus belles déclarations d'amour à Venise jamais écrites.

Désormais sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2014/08/16/note-de-lecture-acqua-alta-joseph-brodsky/
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"C'était une nuit de vent, et avant même que ma rétine ait enregistré quoi que ce soit, je fus submergé par une sensation de bonheur total: mes narines étaient frappées de ce qui en a toujours été pour moi le synonyme, l'odeur des algues glacées."
Ecrit en novembre 1989, Acqua Alta est le récit de la relation amoureuse de Joseph Brodsky avec Venise, pendant 17 ans et depuis cette arrivée au bar de la stazione cette nuit froide de décembre. Dans cet hommage, il y a donc les odeurs mais aussi les images et puis les sensations - le froid, la brume. La beauté est là, à chaque page pour évoquer les "sombres palazzi remplis d'insondables trésors", les méandres des ruelles ou bien les voyages sur l'eau, toujours essentiels car surprenants.
Joseph Brodsky nous emmène ainsi traverser Venise comme il pourrait nous inviter à repenser nos vies et le temps qui s'y écoule: "Je le répète: l'Eau est égale au temps et procure à la beauté son double. En partie eau, nous servons la beauté de la même manière. En se frottant à l'eau, cette ville améliore l'allure du temps, embellit l'avenir".
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