Je lui rapportai brièvement ce qui s'était passé ; le rire étrange que j'avais entendu dans le couloir ; les pas qui étaient montés au troisième étage ; la fumée... l'odeur de brûlé qui m'avaient conduite à sa chambre ; la situation que j'y avais trouvée, et la façon dont je l'avais aspergé de toute l'eau qui m'était tombée sous la main.
Ce soir-là, je fermai résolument les yeux pour ne pas voir l'avenir ; je me bouchai les oreilles pour ne pas entendre la voix qui m’annonçait une prochaine séparation et des tristesses prochaines.
Les amis oublient toujours ceux que la fortune abandonne.
" Il n'y a rien de si triste que la vue d'un méchant enfant, reprit-il, surtout d'une méchante petite fille. Savez-vous où vont les réprouvés après leur mort ?"
Ma réponse fut rapide et orthodoxe.
" En enfer, m'écriai-je.
- Et qu'est-ce-que l'enfer ? Pouvez-vous me le dire ?
- C'est un gouffre de flammes.
- Aimeriez-vous à être précipitée dans ce gouffre et à y brûler pendant l'éternité ?
- Non, monsieur.
- Et que devez-vous donc faire pour éviter une telle destinée ? "
Je réfléchis un moment, et cette fois il fut facile de m'attaquer sur ce que je répondis.
" Je dois me maintenir en bonne santé et ne pas mourir.
Pour la première fois, j'avais goûté à la vengeance ; c'était comme un vin aromatisé ; en l'avalant, il était chaud, sentait le terroir, mais laissait un arrière-goût métallique, corrosif, donnant la sensation d'un empoisonnement.
Les pressentiments sont d'étranges choses, de même que les sympathies et les présages ; les trois réunis constituent un seul et même mystère dont l'humanité n'a pas encore trouvé la clef.
Ah ! vous voilà, ma joyeuse alouette, s'écria-t-il. Venez à moi ; vous n'êtes pas partie ; vous n'avez pas disparu. Il y a une heure, j'ai entendu une de vos soeurs chanter dans les bois. Mais pour moi, son chant n'avait pas d'harmonie, de même que le soleil levant n'a pas de rayon pour moi ; mon oreille est insensible à toutes les mélodies de la terre, et n'aime que la voix de ma Jane. Heureusement qu'elle se fait souvent entendre. Sa présence est le seul rayon qui puisse me réchauffer.
Je voudrais bien, Jane, que mon physique soit un peu mieux assorti au sien. Voyons, dites-moi, fée que vous êtes, ne pouvez-vous me donner un charme, un philtre, ou quelque chose de ce genre, pour faire de moi un bel homme?
- Cela dépasse la puissance de la magie, monsieur."
Et j'ajoutai, en moi-même: " Des yeux aimants, voilà tout le charme requis; pour de tels yeux, vous êtes assez beau, ou plutôt, votre air sombre a un pouvoir qui dépasse la beauté."
On sait combien il est difficile d'arracher les préjugés d'un coeur dont l'éducation n'a pas élargi ou enrichi les dispositions ; ils y sont aussi fortement enracinés que les mauvaises herbes dans les pierres.
Sur ce lit est couché quelqu'un qui bientôt ne sera plus au milieu de la guerre des éléments ; cet esprit qui maintenant lutte contre la matière, où ira-t-il, lorsqu'il sera enfin délivré ?