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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Le Pain perdu est l'histoire d'une vie, celle d'Edith Bruck, racontée par elle-même, de façon simple, mais toujours terriblement émouvante.
La petite Edith, surnommée Ditke, a vu le jour dans un village hongrois. Elle a six frères et soeurs dont certains, plus âgés, ont déjà quitté leur famille juive dont la mère est très croyante, affirmant que c'est Dieu qui lui a donné ses enfants. Ainsi, elle néglige le rôle du père, Stein Schreiber, qui, en 1942, est exclu de l'armée parce que juif. Ce gagne-misère, comme Ditke le qualifie, sent venir la pire des catastrophes confirmée par la présence de seulement trois personnes à l'enterrement de la grand-mère de ses enfants.
Dans la vie du village, la mise à l'écart des Juifs ne suffit pas. Lorsque Ditke, première de sa classe, croise le maître d'école, celui-ci lance un « Heil Hitler ! » qui en dit long sur ce qui se prépare.
Vexations, humiliations, interdictions, petites agressions, cela n'est pas le fait de militaires ou de policiers faisant la promotion du nazisme mais tout simplement d'habitants du village avec lesquels la communauté juive vivait en parfaite harmonie, jusque-là.
Ditke vient d'avoir 13 ans quand les gendarmes brisent la porte d'entrée de leur modeste maison pour expulser toute la famille. Justement, ce matin-là, sa maman avait préparé des miches de pain. Il ne lui restait plus qu'à les enfourner quand le malheur est arrivé.
Quand toute la famille se retrouve embarquée dans un train avec beaucoup d'autres juifs, la mère de Ditke ne parle que de son pain perdu abandonné à la maison.
Le ghetto, les insultes, le pillage de tous leurs objets précieux, l'engrenage infernal est enclenché. Birkenau, Auschwitz, les chiens, la séparation et ces vies qui partent en fumée, la négation de toute humanité : l'extermination d'un peuple.
Edith Bruck raconte l'enfer qu'elle a vécu, donne des nouvelles de ses frères et soeurs, détaille les souffrances endurées. Il faut marcher, subir les maltraitances infligées par les kapos, assister au suicide de ses amies, constater l'égoïsme des fermiers refusant toute nourriture à ces femmes, à ces enfants et à ces hommes déplacés d'un camp à l'autre et affamés.
Tout cela, je l'ai lu déjà mais le récit d'Edith Bruck est poignant, terriblement émouvant, extraordinairement précis. Il ne faut pas l'oublier, jamais le passer sous silence malgré le temps qui s'écoule inexorablement. le récit, le témoignage de cette jeune fille frôlant souvent la mort, est fondamental.
Bien sûr, arrivent les soldats US, la libération des camps. Comme les Hongrois ont été déportés en dernier, ils sont rapatriés les derniers. Edith Bruck, alors, constate que leur retour n'est pas très apprécié, que Sara, sa soeur, l'accueille froidement, que dans son village d'origine on la regarde comme une ennemie.
Ditke adore écrire. Judit, sa soeur, fait partie d'un groupe sioniste et veut absolument rejoindre la Palestine. Si Ditke fuit en Slovaquie, elle est dépucelée à 16 ans, à Bratislava. S'ensuit un récit comme une épopée qui emmène notre autrice en Israël, puis en Grèce, en Turquie et enfin à Naples puis à Rome car elle a eu la chance d'intégrer une compagnie de ballet.
Il faut vraiment lire le Pain perdu pour découvrir toutes les étapes d'une vie marquée à jamais par ces années de cauchemar, moments horribles, atroces, programmés et infligés sans le moindre état d'âme à plusieurs millions de personnes dont la plupart ne sont jamais revenues.
Quand Edith Bruck découvre Herculanum et Pompéi, elle imagine avec horreur ce que vécurent leurs habitants foudroyés par une éruption volcanique en l'an 79 de notre ère.
Si Ditke est devenue Edith Bruck, c'est grâce à un extraordinaire courage et une admirable volonté de témoigner.
Pour finir, elle s'adresse directement à Dieu, le tutoie et lui reproche de n'avoir jamais rien donné à sa mère qui, pourtant, l'invoquait, le suppliait plusieurs fois par jour. Elle se pose des questions existentielles, essentielles, mettant en cause une croyance à laquelle sa mère était viscéralement attachée.
Edith Bruck, star en Italie mais inconnue en France, fut très amie avec Primo Levi dont le suicide la bouleversa. Elle s'est consacrée au journalisme, à la télévision, au roman, à la poésie mais surtout à son témoignage sur l'holocauste des Juifs, la Shoah dont le Pain perdu est un élément essentiel.

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Dans le Pain perdu, traduit de l'italien par René de Ceccaty, Edith Bruck née Steinschreiber le 3 mai 1931 à Tiszabercel en Hongrie, raconte comment elle a survécu à l'enfer des camps de la mort.
Cette magnifique autobiographie qui commence comme un conte « Il y a très longtemps, il était une fois… », débute dans ce petit village de Hongrie orientale où Edith dont le diminutif est Ditke vit avec ses parents et ses frères et soeurs très pauvrement. Ils appartiennent à la communauté juive et leur vie est empoisonnée par la propagande fasciste, nazie, les habitants du village leur faisant mener une vie impossible, ayant tout pouvoir sur eux et pouvant les empêcher de travailler.
Aussi, quelle joie, lorsque, en avril 1944, le matin après la Pâque juive, leur voisine leur offre de la farine. Aussitôt la mère s'active sur le pétrin, et ainsi durant la nuit, la pâte monterait pour être mise au four à l'aube. Mais, alors que tous dorment, les gendarmes et les fascistes hongrois cognent à la porte qui cède, hurlant l'ordre de sortir dans les cinq minutes. le père, encore en caleçon, sort ses médailles de la Première Guerre Mondiale, prouvant qu'il avait combattu, ils les jettent à terre disant qu'elles ne valent rien et lui pas davantage. Quant à la mère, elle n'avait que deux mots : le pain, le pain, ce pain qui allait être perdu, d'où le titre du livre.
Un moment inimaginable et inoubliable pour cette jeune enfant de treize ans. de plus « Les bourreaux qui parlaient dans leur langue les blessaient avec chacune de leurs paroles, en les dirigeant comme si c'étaient des moutons, vers la petite synagogue, où se trouvaient déjà tous les Juifs du village ». Ils sont ensuite parqués dans un ghetto avant d'être déportés à Auschwitz où la famille est séparée. Edith séparée de force de sa mère, se retrouve avec sa soeur aînée Judit. Elles sont ensuite transférées à Dachau puis au camp de Kaufering et à celui de Landsberg, des sous-camps de Dachau, puis à Bergen-Belsen où encore en février 1945, elles verront arriver, incrédules de nouvelles déportées de Budapest.
Les Américains arrivant, ce sera la longue marche vers elles ne savaient où, pour fuir. « Marsch ! Laufen schnell ! » Marcher ! Vite ! En avant ! Alors qu'elles étaient « des sortes d'épouvantails, flottant dans leurs haillons, le visage creusé, livide, les chevilles, les pieds crevassés d'engelures ».
Edith survivra, elle ne sait comment…
Elle partira à seize ans pour le jeune état d'Israël, s'y mariera avec un certain Bruck, voyagera, fera tous les métiers d'Athènes à Istanbul et finira par s'installer en 1954 en Italie, devenue désormais sa nouvelle patrie : « Pour la première fois, je me suis trouvée bien tout de suite, après mon long et triste pèlerinage ». À Rome, Elle rencontre Nelo Risi, le frère de Dino qu'elle épouse, devenue outre écrivaine, scénariste et réalisatrice.
Avec des mots simples, évitant au maximum les atrocités sans pouvoir évidemment les gommer, Edith Bruck décrit la force hors du commun qui a été nécessaire aux déportés pour pouvoir survivre à la déportation en camps de concentration.
L'auteure ne s'en tient pas seulement à la période de déportation mais raconte aussi l'avant et l'après, donnant ainsi une force supplémentaire au récit.
Elle explique bien comment, malgré déjà les lois raciales et les discriminations dont les Juifs étaient victimes, elle était encore une enfant vivant pauvrement certes, mais entourée de sa famille, ne comprenant pas tout ou ne voulant pas comprendre puis, comment elle est devenue adulte dès son entrée au camp de concentration où elle a appris le pire de l'être humain.
Elle dit également combien il était atroce d'être arrêté, injurié et emmené par ses propres compatriotes.
Mais si elle a survécu, dit-elle, c'est que dans le noir absolu, il y a toujours un moment de lumière et cela a été pour elle la chose la plus importante. Elle raconte l'émotion immense qu'elle a ressentie à Dachau quand un cuisinier lui a demandé son nom, alors que depuis son arrivée au camp, elle n'était plus que le numéro 11152 : elle était à nouveau un être humain ! Autre point de lumière, le jour où un soldat lui a lancé sa gamelle avec un reste de confiture, signe qu'il fallait encore vivre et lutter pour la vie. C'était l'espoir et la force d'aller de l'avant.
Et que dire de l'après-guerre, à leur retour, quand personne ne les a vraiment accueillies, elle et sa soeur. Elles étaient devenues un poids pour la société, même pour la famille. Personne ne voulait entendre ce qu'elles avaient vécu. Elles se sentent de plus en plus seules et abandonnées. C'est en 1946 qu'Edith commence à écrire car elle se sent remplie et « enflée » des mots qu'elle ne peut pas dire et ne peut plus supporter ce vécu, personne ne voulant l'entendre, tous disant qu'eux aussi ont souffert, qu'ils ont subi les bombardements, comme si c'était la même chose… « Ils ne veulent pas nous écouter : c'est pour ça que je parlerai au papier ».
Leur restant de vie n'était plus qu'un poids alors qu‘elles avaient espéré un monde qui les aurait attendues…
Pour Edith, une existence aventureuse traversée d'espoirs et de désillusions va alors commencer la conduisant à travers l'Europe et l'Orient avant qu'elle ne se trouve une nouvelle patrie, l'Italie où elle trouvera refuge, ayant la sensation qu'elle pouvait enfin vivre là.
Dans un dernier chapitre, intitulé Lettre à Dieu, Edith Bruck non croyante, pose cette question : « Oh, Toi, grand silence, si Tu connaissais mes peurs, de tout, mais pas de Toi. Si j'ai survécu, ça doit avoir un sens, non ? »
Malgré ce vécu quasiment indicible tant il est inhumain, Edith Bruck croit en l'homme, en l'humanité, n'a pas de haine mais de la pitié en se demandant comment ils ont pu faire cela… Sa foi est de respecter l'être humain.
Se sentant chargée du devoir de mémoire, à l'image de son ami Primo Levi, elle cultive ce vécu, afin de le raconter aux jeunes pour qu'ils puissent comprendre ce qui s'est passé, et qui peut se passer un jour, qu'on a essayé de détruire un peuple avec la complicité et la collaboration de toute l'Europe. Tous ont permis, sont restés indifférents…
Témoigner de son expérience sans jamais recourir à la haine, tel est son but.
Le Pain perdu d'Edith Bruck, l'une des dernières grandes témoins de la Shoah, est un livre qu'il faut lire absolument, un témoignage bouleversant.
C'est en écoutant l'émission le masque et la plume, sur France Inter que j'ai entendu parler de ce livre, chacun des intervenants ne cessant de louer sa beauté et sa force. Quand, quelques jours plus tard, lors de la Masse critique, Babelio proposait ce bouquin, je n'ai pas hésité une seconde sur mon choix. Et super belle surprise, mon désir a été exaucé. Je ne peux que remercier chaleureusement Babelio et les Éditions du sous-sol !
Vous pouvez également réécouter sur France Inter, L'heure bleue de Laure Adler du jeudi 22 février 2022 consacrée à Edith Bruck.

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Il m'est impossible de rédiger un commentaire sur un tel récit .
Pour le contenu , il suffit de se référer à la quatrième de couverture , particulièrement explicite sur ce qu'on va découvrir dans ce " magnifique " texte plein de vérité mais d'où tous les sentiments de vengeance ou de haine ont été laissés en cours de route pour ne conserver que le souvenir permettant de se reconstruire et la nécessité de ne pas oublier .
De tous les ouvrages écrits sur la Shoah par des historiens , des journalistes , pour " méritoires " qu'ils soient , aucun n'a la force de ceux écrits par les rescapés eux -mêmes et nous en avons un bel exemple sous les yeux .
En couvrant une grande partie de sa vie , Edih Bruck nous place au coeur de la tragédie , ravivant un questionnement fort .Pourquoi ? Où ? Comment? Qu'est ce qui peut bien pousser des hommes à en massacrer d'autres avec tant de violence , de haine , de cynisme .Et encore des questions à la libération des camps , " pourquoi moi ?pourquoi pas ceux et celles dont les corps décharnés et nus pourissent entassés les uns sur les autres ...Oui , pourquoi ce retour au pays si difficile , rejetés par les uns , raillés par leurs anciens bourreaux libres de leurs mouvements ?
Si Edith Bruck nous donne à voir , elle ne s'apitoye pas , elle nous donne à réfléchir sur l'avenir et , notamment , nous envoie de percutants messages sur le devenir de notre société , sur Notre devenir et celui de nos descendants .
Pas de pathos , pas de haine mais , surtout et d'abord , pas d'oubli .
Ce livre m'a bouleversé tout autant que " le premier homme " de Primo Levi .A eux deux , aprés leur décés , ils nous laissent l'héritage .Lire ou relire ces ouvrages entretient une mémoire qui aurait tendance à fléchir si l'on n'y prend garde . C'est comme pour les enfants " expliquer , réexpliquer " pour qu'un jour , eux - mêmes ....
Allez , bon dimanche amis et amies ; L'orage arrive et l'on n'y peut rien mais peut-être que cette lecture nous permettra d'en repousser d'autres .A bientôt .
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Ce n'est bien évidemment pas le premier livre que je dis sur la déportation mais à chaque fois il y a ce même effarement devant les faits.
Dans ce récit autobiographique Edith Bruck, née en 32 ans en Hongrie s'est sentie le devoir de relater sa vie et celle des siens.
Quelle femme !! Après avoir été arrêtée et enfermée dans un ghetto en 44, elle n'a que douze ans, elle va être déportée à Auschwitz avec sa soeur mais ne verra plus jamais ses parents.
Elles feront toutes deux plusieurs camps et arriveront à s'en sortir. La vie ne sera pas simple par la suite non plus.
Sa force de caractère va la conduire à vivre en Israël en Grèce en Turquie et enfin en Italie, pays où elle se sent enfin chez elle et y vit encore aujourd'hui.
Je suis vraiment admirative devant tant de courage et de détermination.
Écrire est pour elle nécessaire, c'est un devoir. Elle écrit donc sans fioritures, sans rechercher la plainte, les larmes, l'émotion, elle écrit avec force. Sa plume transpire le courage, la détermination.
La lettre qu'elle adresse à Dieu à la fin de ce récit est extrêmement percutante et ne peut que susciter réflexion au plus croyant des hommes.
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Je ne comprends pas comment ce livre m'avait échappé. Mais on me l'a offert, c'est ce qui importe.

La première partie, « La petite fille aux pieds nus », suscite un maelstrom d'émotions. La petite fille aux pieds nus est absolument adorable : fine, vive, enjouée, heureuse de vivre, heureuse de sa famille, aimant l'école, adorant sa mère. Cette enfant pleine de bonheur va se cogner à l'antisémitisme, va devoir apprendre, sans comprendre, ce que c'est d'être juive, en Hongrie, en 1944. L'infernale injustice de cet apprentissage imposé à une petite fille, la brutalité aussi grande de l'impuissance de ses parents à expliquer cette situation et à en protéger leurs enfants, révoltent et soulèvent le coeur.
Tant que l'enfant pourra conserver un peu d'innocence, d'ignorance, l'auteur l'évoquera à la troisième personne, sous le diminutif de Ditke.

Mais Edith Bruck, si elle a pu préserver les souvenirs heureux d'enfance de Ditke, retrouve le « je » avec la mémoire de l'arrestation qui les conduit, elle et toute sa famille, dans le ghetto : « Je devins soudain adulte quand notre triste caravane de chariots tirés par des chevaux arriva à la gare, après avoir traversé le village. » La fracture qui massacre son enfance, Edith Bruck, en reprenant la parole, la date très précisément de ce jour-là, en mai 1944. Elle avait treize ans.

Elle a intitulé le deuxième chapitre du livre « 11152 », numéro qui lui a été attribué à son arrivée à Auschwitz où elle va survivre avec sa soeur Edit.
Une quarantaine de pages seulement, mais essentielles, pour évoquer les mois dans ce camp, puis à Dachau. « On aurait dit que le soleil s‘était éteint à jamais et que le mois des morts avait dévoré les vies ». Et après une marche de la mort, à Bergen Belsen où elle sera libérée le 15 avril 1945.

Commence alors une vie vagabonde, indépendante, souvent solitaire, d'expédients et de tâtonnements. Edith Bruck sait déjà qu'elle veut écrire, elle le savait avant même d'être déportée. Elle ne trouvera sa langue et son pays de prédilection qu'en arrivant en Italie, en 1954.

J'ai trouvé cette dernière partie un peu brouillonne, les évènements survolés sans qu'on comprenne bien leur enchaînement. Peut-être est-ce en raison de l'urgence, puisqu'elle a écrit ce texte à l'âge de 90 ans, et qu'elle souhaitait absolument l'achever.

Mais elle avait écrit, avec « « La petite fille aux pieds nus » et « 11152 », ce qui fait que ce livre est aussi indispensable que ceux de Charlotte Delbo ou Primo Levi.
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Vous allez certainement trouver le rapprochement que je vais faire un peu bizarre, incongru voire totalement déplacé, mais tant pis, j'ose, parce que dans les deux cas, c'est la vie qui parle, qui palpite, l'énergie qui est là, la détermination, l'ardeur qui dominent. Est-ce parce que je venais de finir le tome 2 du journal de Deborah Levy publié aux Éditions du sous-sol ? En tout cas, j'ai eu l'impression d'un lien, étrange certes car les deux textes n'ont rien à voir, mais d'une parenté tout de même, dans le ton notamment mais aussi dans le dynamisme du récit, le recours à la puissance du détail qui en dit beaucoup, l'insatiable recherche de la liberté, la dimension féministe omniprésente… J'avais parfois l'impression étrange que c'était Deborah Levy qui témoignait de la déportation. Il y a chez ces deux femmes, au-delà de vies et d'expériences complètement différentes, des points communs dans la personnalité qui se traduisent par un style parfois assez proche: des mots directs, crus, sans métaphore et une vitalité, une volonté, une force que l'on sent dans chaque phrase. J'imagine que cet étrange rapprochement n'a pour origine qu'une forme de collision temporelle de lecture entre deux oeuvres mais en moi, ces deux femmes resteront étonnamment liées à jamais. Revenons, après cette étrange expérience, au terrible destin d'Edith Bruck. Elle naît le 3 mai 1931 dans le petit village hongrois de Tiszabercel : elle est l'aînée d'une famille pauvre de six enfants et c'est à l'âge de 13 ans, en 44, qu'elle est déportée, enfermée tout d'abord dans le ghetto de Sátoraljaújhely puis à Auschwitz où elle devient le numéro 11152.
Ce qu'elle se rappelle du jour où tous les juifs du village ont été rassemblés autour de la synagogue, ce sont les cris de sa mère qui hurlait parce que le pain allait être perdu. Ce pain qui avait gonflé et qui était prêt à cuire dès l'aube. Ces cris… (ils me rappellent ceux du boulanger d'Oradour qui se lamentait pour les mêmes raisons…) Ils me feraient pleurer ces cris d'hommes et de femmes qui n'imaginent pas une seconde ce qui va leur arriver. Terribles...
Puis le train, les wagons à bestiaux, avec un seau pour les besoins. La violence quotidienne des nazis, l'absence de nourriture et toujours les paroles tragiques de la mère : « Rappelez-vous, nous dit maman, le bien existe, les saints existent, Dieu existe... » le discours direct, très présent dans l'oeuvre, restitue pleinement la voix des morts et il y a une sorte de décalage étrange entre ces voix vivantes qui apportent beaucoup d'énergie et de vivacité au récit et l'omniprésence de la mort. Oui, « Le Pain perdu » est un texte vivant sur la mort, un texte qui combat la mort par son énergie, sa vigueur, toute la vie dont il témoigne. Le contraste est saisissant d'autant que l'on a le sentiment au début que tout est perçu du point de vue de l'enfant qui s'attache aux plus petits détails pour tenter de comprendre ce qui a lieu. Il y a par exemple l'épisode de la Polonaise qui dit à l'enfant : «  - Viens, je vais te montrer où est ta mère ! … Tu vois cette fumée ? … Tu sens cette puanteur de chair humaine ? Ta mère était grosse ? Alors elle est devenue du savon comme la mienne. » Les camps de travail et d'extermination se succèdent : Auschwitz (où elle sera séparée de ses parents), Dachau, Kaufering, Landsberg, Bergen-Belsen, les marches forcées… La faim, les poux, le froid, les maladies, les suicides contre le fil barbelé et électrifié. Elle se retrouve seule avec une soeur aînée. Il faut tenir, lutter contre l'épuisement. « Est-ce que c'était trois mois ou trois années qui étaient passés ? Chaque jour, à chaque heure, à chaque minute on mourait. » « Nous n'avions plus grand-chose d'humain. » Des hommes qu'on laisse mourir, nus, sur le sol, c'est ce que l'enfant voit. L'un deux lui souffle ces mots : « Raconte-le, on ne nous croira pas, raconte-le, si tu survis, fais-le pour nous aussi. » Jusqu'au matin où personne ne vient faire l'appel, d'autres soldats arrivent, avec d'autres uniformes. « Away, away » crient-ils effrayés par ce qu'ils découvrent. Puis, il faut tenter de retrouver les siens. Et aller quelque part. Mais où ? Comment vivre « égarées dans le monde des vivants » ? S'ensuivent une errance, une recherche de lieu où se poser pour écrire… Des tensions naissent entre les membres de la famille. L'Allemagne, la France, Israël... Edith Bruck a du caractère, elle sait ce qu'elle veut et surtout ce qu'elle ne veut pas : la collectivité, la discipline militaire par exemple. C'est l'Italie qui sera la terre d'accueil et la langue du témoignage. « Il faudrait trouver des mots nouveaux, y compris pour raconter Auschwitz, une langue nouvelle, une langue qui blesse moins que la mienne, maternelle. » Ce sera l'italien.
« Le pain perdu » s'achève sur une « Lettre à Dieu » extrêmement touchante : « Je T'écris à Toi qui ne liras jamais mes gribouillis, ne répondras jamais à mes questions, à mes pensées ruminées pendant toute une vie. » Insupportable silence. Immense solitude.
C'est à la fin de sa vie qu'Edith Bruck écrit ce texte : la mémoire commence à lui faire défaut et sa vue est touchée par une dégénérescence maculaire. Elle doit témoigner de « l'invraisemblable », dire ce « conte dans la forêt obscure du XXe siècle », raconter au plus vite parce qu'il y a cette « ombre » qui plane encore et toujours sur le troisième millénaire.
Un texte bouleversant.
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Édith Bruck est née en Hongrie, et a vécu en Italie la plus grande partie de sa vie.
Le pain perdu, c'est celui que la famille n'a jamais pu manger car les soldats sont arrivés pour leur faire prendre le train qui devait les emmener dans le camp de concentration.
Le pain perdu, c'est la famille disloquée, la mère qui part à gauche, là où est le feu, les filles à droite, et Édith qui s'accroche à sa mère mais que le soldat fait changer de file, Édith qui ne finira pas dans la fumée du camp comme tant d'autres femmes, enfants, vieillards, hommes, arrivés là en même temps, avant ou après elle.

C'est une enfant née le 3 mai 1931 dans une famille juive pauvre, l'enfance heureuse d'une fillette qui travaille bien à l'école ; ce sont les premières manifestations de racisme contre les juifs dans son petit village de Tiszabercel, près de la frontière ukrainienne, un village jusque là plutôt tranquille ; puis a 13 ans en avril 1944, c'est la déportation, le matricule 11152, BirkenaAuschwitz, Kaufering, Dachau, Bergen-Belsen, les camps d'extermination, les privations, la faim, l'épuisement, les morts, les longues marches dans le froid ; la libération en 1945 ; l'exil en Israël, et toujours, ensuite, tenter de vivre après ça.

C'est n'avoir aucun mot pour dire, pas d'échange possible avec ceux qui n'ont pas connu cette horreur, et tant de questions, tant de pourquoi, tant de douleur. C'est le rêve fou d'aller en Israël, la désillusion, puis la vie en Italie, et les mots, toujours, pour dire.
C'est un récit autobiographique à la lecture nécessaire, douloureuse, indispensable. le témoignage des survivants, ceux qui bientôt ne seront plus là, ceux qui encore peuvent nous dire, à nous les générations suivantes ce que fut le mal absolu.

On ne peut que penser aux témoignages de Primo Levi, Marceline Loridan, Charlotte Delbo et tant d'autres en lisant ce livre qui se termine sur une lettre à Dieu, mais quel Dieu, celui qui a laissé faire tout cela ? le pain perdu, à faire lire, encore et encore, pour ne jamais oublier.

Lien : https://domiclire.wordpress...
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le jour où j'ai reçu ce livre il y avait Edith Bruck dans l'Heure Bleue sur France Inter. J'ai écouté cette femme, dont je n'avais jamais entendue parler et j'ai lu son récit le lendemain. le pain perdu, c'est celui que la famille n'a pas mangé, puisque pendant la nuit deux gendarmes embarqua la famille, eux juifs hongrois, déportés en 1944. Edith Bruck nous parle de son enfance, pauvre et rude dans cette Hongrie où le s juifs sont de plus en plus mal vus, du départ pour Auschwitz, des camps et puis de la suite de sa vie. Rêve d'une Palestine, pas si accueillante ... Des déceptions nombreuse et cette force de vivre, absolument, parmi toutes les embûches qu'aura connu cette petite fille, devenue dame très âgée et qui témoigne encore de ce que l'on ne peut imaginer et qu'il ne faut jamais oublier.
Dans ses pages il y a la famille, les humiliations, la haine, les coups, la douleur de vivre et la mort. C'est la guerre dans toute son horreur et je me demande si c'est une bonne idée de lire en ce moment ce genre de livre.
Un récit essentiel, qui se lit d'une traite, l'auteure fait son devoir de mémoire sans concession mais d'une écriture vibrante qui nous happe dés les premières lignes.
J'ai de suite acheté un autre titre d' Edith Bruck Qui t'aime ainsi, qui est encore le récit de sa vie. On retrouve des faits de son dernier récit, elle y parle plus des camps, je crois, de ses 3 premiers mariages aussi. C'est plus précis que dans le pain perdu. Mais cela s'arrête avant son départ en Italie. Les 2 récits se recoupent, se complètent et se répondent. On replonge dans l'horreur des camps, l'abjection de certains, et la prévenance d'autres ( plus rares)
Par contre je n'ai pas compris pourquoi les noms de ses frères et soeurs ont été changé entre les deux récits.
Il me reste à découvrir ses poèmes. Edith Bruck est un personnage important dans le monde culturel italien. Un personnage impressionnant qui fut une fillette courageuse et volontaire et une voix impressionnante que les SS et les fascistes n'ont pas réussie à faire taire.
Merci à Babelio et aux éditions du sous-sol pour cette découverte.
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Il y a déjà quelque temps que j'avais noté ce livre dans ma liste, et en lisant récemment "C'est moi François", je me suis enfin décidé à l'acheter.
Quelle destinée depuis la petite fille aux pieds nus qui courait dans les ruelles d'un village perdu de Hongrie jusqu'à la femme célèbre et honorée dans tant de cérémonies, et surtout quelle tragédie vécue dans notre vingtième siècle !
Tiszabercel est vraiment le lieu d'une enfance pauvre, tel qu'il apparaît dans certains poèmes de "Pourquoi ai-je survécu ?". La famille est parmi les plus pauvres du village, la mère élève les enfants, tout en croyant à la Providence divine, le père n'a pas de véritable profession. Elle est aussi mal vue par les autres juifs car elle ne pratique pas sa religion.
Même dans ce village reculé, l'antisémitisme gagne du terrain. Ensuite c'est l'enfermement dans un ghetto, puis la déportation à Auschwitz où la mère passe directement au four crématoire, encore d'autres camps, et finalement Bergen-Belsen. Si Edith survit, c'est grâce à sa soeur Judith qui prend soin d'elle même dans les situations les plus tragiques.
Après la guerre, comme pour tous les survivants de la Shoah, les deux soeurs subissent la difficulté de se faire entendre avant même d'être comprises, notamment par leurs autres frères et soeurs qui ont échappé à la déportation. Par la suite, leurs vies prennent des directions différentes : Judith, plus croyante, décide de s'installer en Israël ; Édith éprouve plus de difficultés pour se réadapter au monde. Elle essaie de retourner en Hongrie, puis d'émigrer en Israël, mais ce n'est pas vraiment la Terre promise dont rêvait sa mère. Elle se marie plusieurs fois, notamment pour échapper au service militaire en Israël,  elle divorce aussi plusieurs fois... Elle exerce plusieurs professions à Istanbul, à Athènes, à Zurich, avant de trouver une certaine stabilité en Italie, notamment grâce à l'écriture qui est quelque chose de très important pour elle depuis son enfance.
Edith Bruck a écrit cette autobiographie l'année de ses 90 ans, un peu avec un sentiment d'urgence car elle sent que sa mémoire commence à lui échapper. Elle se pose aussi toujours un peu la question : pourquoi avoir survécu ? Elle termine ce livre par sa superbe "Lettre à Dieu" qu'elle voulait écrire depuis ses neuf ans, dans laquelle elle évoque ses parents avec une certaine tendresse.
Aujourd'hui (je termine cette critique le 3 mai 2023), c'est l'anniversaire d'Edith Bruck. Je lui souhaite de pouvoir encore témoigner longtemps de son histoire !
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Les livres des survivants ou survivantes de l'Holocauste révèlent des personnalités fortes et très diverses. Edith Bruck est une écrivaine originale. 

Le Pain perdu débute dans un village hongrois en 1943 . La petite fille Ditke a déjà très conscience de l'antisémitisme des villageois et des lois antisémites qui s'appliquent aussi à l'école et les brimades de la part des adultes et des enfants

Le Pain perdu, c'est celui que la mère avait préparé avec la farine qu'une voisine avait offert, qui levait et qui devait être mis au four, quand les gendarmes sont venus en 1944 chercher la famille pour la déporter vers le ghetto. "le pain", " le pain", était la plainte de sa mère devant la catastrophe imminente.

Birkenau, Auschwitz, Landsberg, Dachau,  Bergen-Belsen...

Ditke et sa soeur Judit se soutiennent après avoir été séparées du reste de la famille


Quand la guerre se termine "une nouvelle vie" s'ouvre aux deux soeurs qui recherchent d'abord les survivants de leur famille à Budapest : Sara et Mirjam les soeurs ainées mariées,  David leur frère. Elles retournent au village où elles trouvent leur maison pillée et l'hostilité des voisins.

Judit persuade Ditke à la suivre en Palestine qui était le rêve de leur mère. Edith a une autre vocation : elle veut écrire. Elle pressent que la discipline qu'on exigera d'elle lui pèsera. Elle ne supportera pas "les dortoirs"

Pour suivre sa soeur et son frère Ditke essaye de s'installer à Haïfa, se trouve un mari, marin, un travail, rêve un moment d'une maison, et même d'un bébé. Fiasco, son mari est violent ; elle divorce



Pour fuir le service militaire, elle se remarie, avec Bruck qui lui donnera son  nom d'écrivaine. Mariage blanc, elle s'enfuit devient danseuse à Athènes. D'Athènes à Istanbul, à Zurich suivant sa troupe , et enfin Naples et Rome

Pour la première fois, je me suis trouvée bien tout de suite, après mon long et triste pèlerinage. “Voilà, me disais-je, c'est mon pays.” le mot “patrie”, je ne l'ai jamais prononcé : au nom de la patrie, les peuples commettent toutes sortes d'infamie. J'abolirais le mot “patrie”, comme tant d'autres mots et expressions : “mon”, “tais-toi”, “obéir”, “la loi est la même pour tous”, “nationalisme”, “racisme”, “guerre” et presque aussi le mot “amour”, privé de toute substance. Il faudrait des mots nouveaux, y compris pour raconter Auschwitz, une langue nouvelle, une langue qui blesse moins que la mienne, maternelle.

C'est donc en Italien qu'elle écrira comme elle l'avait toujours désiré. Coiffeuse des acteurs et actrices du cinéma italien, des critiques littéraires  des cinéastes, se marie avec le cinéaste Nisi. Toujours antifasciste, elle écrit :

"En fille adoptive de l'Italie, qui m'a donné beaucoup plus que le pain quotidien, et je ne peux que lui en être
reconnaissante, je suis aujourd'hui profondément troublée pour mon pays et pour l'Europe, où souffle un vent pollué par de nouveaux fascismes, racismes, nationalismes, antisémitismes, que je ressens doublement : des plantes vénéneuses qui n'ont jamais été éradiquées et où poussent de nouvelles branches, des feuilles que le peuple dupé mange, en écoutant les voix qui hurlent en son nom, affamé qu'il est d'identité forte, revendiquée à et à cri, italianité pure, blanche... Quelle tristesse, quel danger !"

Une leçon de vie!
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