Sous la houlette éclairée et incroyablement juste de Sylvie Buisson, ce beau catalogue fait redécouvrir Foujita.
Les textes de Sylvie Buisson servent aussi de guide à la grande exposition du musée Maillol, dessinant un parcours intelligent et progressif de ce peintre finalement mal connu.
Très vite, on oublie les toiles convenues des nuits de Montparnasse, pour découvrir derrière le noceur, le mondain au look savamment travaillé, un peintre de la nuance, réservé, secret, exigeant jusqu'à la manie, acharné à associer, sans rien renier, les traditions de son Japon natal aux expérimentations audacieuses de l' École de Paris.
Et on s'émerveille de ces "nus blancs" diaphanes, opalescents et délicats - corps d'ivoire sur draps crème, froissés et sensuels, dont la transparence indolente est surlignée par les rayures finement dessinées d'un petit chat qui semble ronronner dans toute cette blancheur.
On reste médusés par ces visages d'enfants stylisés et graves dont les yeux sombres disent toute la tristesse du monde.
On découvre sa passion pour ses modèles- essentiellement celle qu'il appela Youki, Neige en japonais, qui tomba amoureuse de Desnos, et que Foujita, déchiré mais respectueux laissa vivre sa passion pour le poète qui était aussi un de ses amis. Il lui laissa tous les tableaux qu'il avait faits d'elle. Gentleman jusqu'au bout du pinceau.
Quelques oeuvres bien choisies de ses amis Montparnos - Ossip Zadkine, le Douanier Rousseau, Modigliani, Soutine- viennent dialoguer avec celles du plus parisien des Japonais-ou du plus Japonais des artistes parisiens , comme il le disait lui-même.
Petites aquarelles délicates, immenses toiles façon Sixtine revisitée en blanc et ocre: toute l'exposition - et la lecture de cet excellent catalogue- est une découverte, et, pour moi, une remise en question radicale de mes préjugés.
Le Foujita des années folles est un grand artiste.
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Foujita ne triche pas, il ne fait que dessiner la vérité que lui renvoie le modèle, son âme plus spécialement, mais il n'en retient que la moelle, évacuant toute anecdote éphémère. L'essence du modèle est dans le trait, non pas dessinée ou peinte avec des traits, des limites ou des contours. L'art de Foujita est différent de ce que l'Occident considère comme un tracé ou un contour. Le trait est vivant.
Foujita a l'audace d'une époque qui engendre l'une des productions multiculturelles les plus osées de tous les temps. Ceux que l'on nomme les Montparnos, électrons libres de la nuit, sont aussi dadaïstes, surréalistes, cubistes, orphistes, ou de l'École de Paris comme Foujita. "Sans doute Montparnasse est une Babel de la peinture, s'interrogent les critiques Adolph Basler et Charles Kunstler. Mais est-ce l'École de Paris ? Y a-t il même une École de Paris?" Le label "Montparnasse" définit mieux, en effet, un temps défini par l'école buissonnière !
Jaloux de ses secrets, l'artiste n'a jamais rien dévoilé de sa technique, découverte à la faveur de campagnes de restauration en France et au Japon. Foujita applique en fines couches successives un mélange d'huile de lin, de blanc de plomb ou de Meudon et de silicate de magnésium-du talc- auquel il ajoute des pigments en très petites quantités. Cette technique, inédite en Occident, confère à la matière une opalescence unique.
La finesse du détail et du tracé égale la fraîcheur des pigments végétaux et minéraux similaires à ceux des drapiers japonais.
Sylvie Buisson, commissaire de l'exposition "Femmes artistes".