Tombée dans l'oubli durant une longue période, s'étendant de l'après-guerre au milieu des années 80, la photographe Lee Miller est devenue depuis lors une icône, archétype de la femme libre, créative, engagée et d'une beauté sublime, inspirant romans (dont
Marc Lambron «
L'oeil du Silence »), BD et documentaires (2 diffusés sur Arte en 1995 et 2021)…bref, Lee Miller est désormais partout et la pléthore succède à la rareté.
L'impulsion de la redécouverte de Lee Miller avait été donné par son propre fils, Anthony Penrose, qui, s'appuyant sur l'exploitation d'archives familiales inédites, lui avait consacré une belle biographie en 1985, justement intitulée « Les Vies de Lee Miller ».
Il s'agit ici d'une autre biographie, écrite par l'universitaire américaine francophile
Carolyn Burke (également autrice, notamment, d'une bio d'
Edith Piaf). L'ouvrage paru en anglais en 2005 avait fait l'objet d'une première publication en français par Autrement en 2007. C'est une nouvelle traduction qui est proposée ici, sous un nouveau titre -« Lee Miller – Une Vie sans Filtre »- par Nouveau Monde Editions.
« Lee Miller – Une Vie sans Filtre » est un ouvrage imposant -500 pages denses- qui allie le caractère rigoureux de la recherche universitaire à la fluidité de la narration d'une écrivaine de talent. Bien que copieux, le livre n'est donc jamais rébarbatif. Une iconographie bien choisie ponctue en outre opportunément le récit.
Les différentes « vies » de Lee Miller sont bien retracées, de son enfance dans une petite ville de l'Etat de New York jusqu'à sa vie retirée après-guerre avec son mari –l'artiste et critique
Roland Penrose- dans une maison du Sussex, en passant bien sûr par sa carrière de modèle (« cover-girl ») pour Vogue à New York, son rôle d'égérie de
Man Ray à Paris, ses travaux de photographe d'avant-garde, son engagement comme correspondante de guerre de la bataille de Normandie jusqu'à la libération des camps sans oublier un curieux intermède en Egypte en 1934-37 lorsqu'elle fut l'épouse -mais pas trop- d'un richissime dandy cairote. L'intérêt des unes et des autres de ces « vies » étant inégal, on aurait sans doute pu passer plus rapidement sur les moins exceptionnelles, la biographe par scrupule et honnêteté a choisi de donner une importance à peu près égale aux différentes phases. Cela a le mérite d'éclairer les différentes facettes d'une personnalité complexe à la vie tantôt exaltante de « top-model », d'artiste avant-gardiste ou de correspondante de guerre en première ligne à celle plus plan-plan, de ménagère et cuisinière avertie vivant dans l'ombre d'un artiste de second ordre dont la notoriété n'a jamais guère dépassé les frontières de l'Angleterre.
Ainsi, c'est non seulement l'oeuvre et le rôle majeur dans l'histoire de la photo de Lee Miller qui sont traités mais aussi le caractère d'un personnage exceptionnel, attachant, difficile à percer totalement, à la vie d'une richesse incroyable mais non exempte de traumatismes dont « Lee Miller – Une Vie sans Filtre » rend compte de façon remarquable et plaisante.