Le personnage de Judas fait recette auprès des romanciers. La publication de l'Évangile de Judas en mars 2006 n'a fait que raviver l'intérêt.
Régis Burnet, maître de conférences à Paris-VIII, s'était déjà interrogé sur la figure de Marie-Madeleine (Éd. du Cerf, 2004). En introduction à ce nouvel ouvrage, il précise son objectif : étudier un personnage comme reflet de l'idéal ou des répulsions d'une époque. Objectif tout à fait valable en lui-même, mais alors pourquoi ce sous-titre, « Une biographie de Judas », qui trahit les conclusions de l'auteur ?
Pour l'étude des données évangéliques, R. Burnet reprend dans ses grandes lignes les explications solides de H.-J. Klauck, Judas, un disciple de Jésus (Éd. du Cerf, 2007). Un problème de traduction lui tient à coeur : de soi, le verbe paradidonai signifie « livrer » et non « trahir ». Cependant livrer son maître par un baiser, ce n'est pas la même chose que livrer un criminel au tribunal ! Pour rendre compte de la rédemption, les auteurs du Nouveau Testament font un large emploi du verbe paradidonai, et cela par allusion au texte d'Isaïe 53, 12 (selon la Septante) sur le Serviteur du Seigneur « qui fut livré à la mort ». le problème théologique est celui de la responsabilité propre de Judas par rapport à l'exécution du plan divin.
Autour de la mort du traître, les légendes se sont vite développées, comme le montrent déjà les deux récits de Matthieu et des Actes, inconciliables entre eux. L'évangile gnostique de Judas vise à réhabiliter celui qui a livré son maître pour lui permettre d'accéder à la condition spirituelle
Dans l'ensemble les Pères de l'Église se montrent sévères contre Judas.
Origène refuse cependant de le voir comme perdu d'avance et évoque la négligence de celui qui ne s'était pas prémuni contre la tentation diabolique. Au Moyen Âge, rien n'est épargné à la figure du traître, un usurier. Il faut attendre la période moderne pour qu'on s'intéresse à la psychologie de Judas et que l'on cherche à rendre compte de son action. La thèse la plus répandue parmi les exégètes modernes, et la plus vraisemblable, c'est que Judas a été déçu dans son espérance messianique d'un rétablissement du royaume d'Israël ; chez lui, l'amour blessé s'est changé en haine.
Ce brillant parcours à travers tant d'hypothèses et d'imaginations, souvent dirigées contre l'Église, provoque le tournis, pour parler familièrement. Il est heureux qu'en finale R. Burnet nous renvoie aux explications de
Benoît XVI dans sa catéchèse du 18 octobre 2006. Malgré le geste de désespoir que représente la pendaison de Judas, « la trahison de Judas demeure un mystère…. Il ne nous appartient pas de mesurer son geste en nous substituant à Dieu infiniment miséricordieux et juste » .
(Extrait de Esprit & Vie n°211 - mai 2009, p. 53.)