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Citations sur Les nuits difficiles (13)

— Une chose très simple. Tu es mort. »

Trattori n’est pas un plaisantin, surtout dans son cabinet médical.

Je balbutie : « Mort ? Comment cela, mort ? Une maladie incurable ?

— Pas la moindre maladie. Je n’ai pas dit que tu dois mourir. J’ai dit seulement que tu es mort.

— Drôle de discours. Si toi-même tu disais il y a un moment que je suis l’image de la santé ?

— Sain oui. On ne peut plus sain. Mais mort. Tu t’es conformé, tu t’es intégré, tu t’es homogénéisé, tu t’es inséré âme et corps dans le tissu social, tu as trouvé ton équilibre, la tranquillité, la sécurité. Et tu es un cadavre.

— Ah ! tant mieux. C’est une allégorie, une métaphore. Tu m’avais fait prendre une de ces peurs !

— Pas si allégorique que ça. La mort physique est un phénomène éternel et au fond extrêmement banal. Mais il y a une autre mort, qui quelquefois est encore pire. L’abandon de la personnalité, le mimétisme par habitude, la capitulation devant le milieu, le renoncement à soi-même… Mais regarde un peu autour de toi.

Mais parle avec les gens. Mais ne te rends-tu pas compte qu’au moins soixante pour cent d’entre eux sont morts ? Et le nombre augmente chaque année. Éteints, nivelés, asservis. Ils désirent tous la même chose, ils font le même discours, ils pensent tous la même chose, exactement la même. Ignoble civilisation de masse.

— Ce sont des histoires. Maintenant que je n’ai plus les cauchemars d’autrefois, je me sens bien plus vivant. Bien plus vivant maintenant quand j’assiste à une belle partie de football, ou quand j’écrase l’accélérateur à fond.

— Pauvre Enrico. Et bénies tes angoisses d’autrefois. »

J’en ai assez. Trattori a réussi à me porter vraiment sur les nerfs.

« Et alors, si je suis mort, comment expliques-tu que je n’ai jamais si bien vendu mes sculptures que ces derniers temps ? Si j’étais aussi ramolli que tu le dis…

— Pas ramolli. Mort. Il y a aujourd’hui des nations entières qui ne sont faites que de morts. Des centaines de millions de cadavres. Et ils travaillent, construisent, inventent, se donnent un mal terrible, sont heureux et contents. Mais ce sont de pauvres morts. À l’exception d’une microscopique minorité qui leur fait faire ce qu’elle veut, aimer ce qu’elle veut, croire en ce qu’elle veut. Comme les zombis des Antilles, les cadavres ressuscités par les sorciers et envoyés travailler aux champs. Et quant à tes sculptures, c’est précisément le succès que tu as et qu’autrefois tu n’avais pas qui démontre que tu es mort. Tu t’es adapté, tu t’es mis aux mesures, tu t’es ajourné, tu t’es mis au pas, tu as coupé tes épines, tu as baissé le drapeau, tu as démissionné de ta folie, de ta révolte, de tes illusions. C’est pour cela qu’aujourd’hui tu plais au grand public, au grand public des morts. »

Je me lève d’un bond. Je n’y tiens plus.

« Et toi, alors ? lui demandé-je furieux. Comment se fait-il que tu ne parles pas de toi ?

— Moi ? » Il secoue la tête. « Moi aussi, bien sûr. Mort. Depuis des années. Comment résister, dans une ville comme celle-ci ? Cadavre moi aussi. Il ne m’est resté qu’un soupirail… peut-être par scrupule professionnel… un soupirail par lequel je réussis encore à voir. »

Maintenant il fait vraiment nuit. Et le beau brouillard industriel a la couleur du plomb. À travers les vitres, on réussit à peine à distinguer la maison d’en face.

[CHEZ LE MÉDECIN]
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Dans la trame du temps existent des fissures, des brèches. C'est une chose plutôt abstruse, il faudrait un physicien pour te l'expliquer, et, probablement tu ne comprendrais pas non plus, moi-même au fond, je n'ai pas compris. Bien, une de ces déchirures s'est produite ici, dans ce coin perdu des Alpes. Au-dessus de nous, il y a comme un trou qui nous met en communication avec l'avenir.

Personne ne croira
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L'homme est une anomalie imprévue qui s'est vérifiée au cours du processus évolutif de la vie, il n'est pas le résultat auquel l'évolution devait nécessairement arriver. (...) Et pourtant le phénomène-homme, si difficile qu'il soit de le croire, s'est vérifié une seconde fois. Ce qui équivaut à dire que dans l'univers des univers il n'existe pas une mais deux planètes, avec des caractéristiques morphologiques identiques, et habitées par l'homme. La première est celle où vit le professeur Splitteri. L'autre, infiniment plus petite, est celle qui tourne dans l'atome à l'extrémité de la seconde patte droite de la mouche qui est en train de tourmenter le professeur. (...) Le problème est celui-ci : moi qui écris et vous qui lisez, (...) sommes-nous des collègues du professeur Splitteri, ou au contraire vivons-nous dans la patte de la mouche persécutrice ? Ce n'est pas une question indifférente.
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La mort physique est un phénomène éternel et au fond extrêmement banal. Mais il y a une autre mort, qui quelque fois est encore pire. L'abandon de la personnalité, le mimétisme par habitude, la capitulation devant le milieu, le renoncement à soi-même... Mais regarde un epu autour de toi. Mais parle avec les gens. Mais ne te rends-tu pas compte qu'au moins soixante pour cent d'entre eux sont morts? Et le nombre augmente chaque année. Eteints, nivelés, asservis. Ils désirent tous la même chose, ils font le même discours, ils pensent tous la même chose, exactement la même. Ignoble civilisation de masse.
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pourquoi l'homme a-t-il peur de mourir? La réponse est presque trop simple. L'homme a peur parce que, après sa mort, il ne pourra plus vivre, c'est-à-dire agir, voir, entendre, etc, toutes les choses qu'il faisait pendant qu'il était en vie. Et cela le ferait énormément souffrir. Mais pour pouvoir éprouver de la douleur il est nécessaire, condition sine qua non, d'être vivant. Donc qui est mort ne souffre plus, ne peut même pas avoir des regrets, des nostalgies et autres afflictions du même genre. En peu de mots, une fois le décès advenu, l' homme ne peut plus souffrir d'être mort. Morale: l'aspect négatif de la mort qui, généralement inspire tant de terreur, est une illusion stupide.
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La mort physique est un phénomène éternel et au fond extrêmement banal. Mais il y a une autre mort, qui quelquefois est encore pire. L'abandon de la personnalité, le mimétisme par habitude, la capitulation devant le milieu, le renoncement à soi-même... Mais regarde un peu autour de toi. Mais parle avec les gens. Mais ne te rends-tu pas compte qu'au moins soixante pour cent d'entre eux sont morts ? Et le nombre augmente chaque année. Éteints, nivelés, asservis. Ils désirent tous la même chose, il font le même discours, ils pensent tous la même chose, exactement la même. Ignoble civilisation de masse.

- Chez le médecin -
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Délicieuse est la volupté du malheur d'autrui quand on est si nombreux et qu'on se sent solidaires dans la contagion.
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Jusqu'alors, en vérité, je n'avais jamais donné le moindre crédit à l'astrologie. Mais on ne sait jamais.

[ L'influence des astres ]
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- Exactement, madame... Dans cinquante ans, nous serons tous sous terre, c'est pour le moins probable. Mais il y a une différence, la différence qui nous sauve, nous deux, et au contraire condamne votre mari... Pour nous deux, pour autant qu'on le sache, rien n'est encore décidé... Nous pouvons encore vivre, peut-être dans une béatitude imbécile, comme quand nous avions dix ou douze ans. Nous pourrons mourir dans une heure, dans dix jours, dans un mois, cela n'a pas d'importance, c'est autre chose. Lui non. Pour lui, la sentence existe déjà. La mort, en soi, n'est peut-être pas une chose si horrible, après tout. Nous l'aurons tous. Mais malheur à nous si nous savons, même si c'est dans un siècle ou deux siècles, le temps précis où elle viendra.

[ Équivalence ]
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Galope, fuis, galope, imagination encore survivante ! Avide de t'exterminer, le monde civilisé est à tes trousses, et il ne te laissera plus jamais en paix.

[ Le Croquemitaine ]
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