Alors qu’on préparait la ciguë, Socrate était en train d’apprendre un air de flûte. A quoi cela servira-t-il ? lui demande-t-on. - A savoir cet air avant de mourir.
La philosophie de Raymond Queneau
Prêt à reconnaître sa dette envers les classiques, Queneau n'était certes pas avare d'attentions envers les écrivains obscurs et laissés pour compte. Le premier travail d'érudition qu'il avait tenté pendant sa jeunesse avait été une recherche sur les "fous littéraires", les auteurs "hétéroclites" que la culture officielle considérait comme fous: créateurs de systèmes philosophiques en dehors de toute école, de modèles cosmologiques en dehors de toute logique et d'univers poétiques en dehors de toute classification stylistique. A travers un choix de ses textes, Queneau voulait rassembler une -Encyclopédie des sciences inexactes-; mais aucun éditeur ne voulut prendre le projet en considération, et l'auteur finit par l'utiliser dans un de ses romans- , Les Enfants du limon.- (p. 219 / Seuil, "Librairie du XXe siècle", octobre 1993)
Si l'étincelle ne jaillit pas, rien à faire : on ne lit pas les classiques par devoir ou par respect, mais seulement par amour.
… qu’on ne croie pas, surtout, que les classiques doivent être lus parce qu’ils servent. La seule chose qu’on puisse affirmer, c’est que lire les classiques vaut mieux que de ne pas les lire.
Je ne crois pas avoir à me justifier d’user le terme classique sans distinction d’antiquité, de style, d’autorité
La lecture des classiques atteint donc son rendement maximum quand on la fait alterner, selon un savant dosage, avec les lectures d’actualité
Un classique est une œuvre qui provoque sans cesse un nuage de discours critiques, dont elle se débarrasse continuellement.
Notre classique est celui qui ne peut pas nous être indifférent et qui nous sert à nous définir nous-mêmes par rapport à lui, éventuellement en opposition à lui.
Les classiques sont des livres que la lecture rend d’autant plus neufs, inattendus, inouïs, qu’on a cru les connaître par ouï-dire.
Est classique ce qui persiste comme rumeur de fond, là même où l’actualité qui en est
la plus éloignée règne en maître.
Reste que lire les classiques semble en contradiction et avec notre rythme de vie, qui
ne connaît plus la lenteur du temps, les respirations de l’otium humaniste, et avec
l’éclectisme de notre culture, qui serait bien incapable d’établir une définition du
classicisme qui nous soit adaptée. (…)
A ce point, je devrais récrire tout mon article pour faire apparaître bien clairement
que les classiques nous servent à comprendre qui nous sommes et où nous en
sommes arrivés ; (…) …il me faudrait récrire une troisième fois cet article, pour qu’on
ne croie pas, surtout pas, que les classiques doivent être lus parce qu’ils « servent ».
La seule chose qu’on puisse affirmer, c’est que lire les classiques vaut mieux que de
ne pas les lire.
Et, si quelqu’un objecte qu’il ne vaut pas la peine de se donner tant de mal, je citerai
Cioran (qui n’est pas un classique, du moins jusqu’à présent, mais un penseur
contemporain qu’on commence à peine à traduire en Italie) : « Alors qu’on préparait
la ciguë, Socrate était en train d’apprendre un air de flûte. ‘’A quoi cela servira-t-il ?
lui demanda-t-on. – A savoir cet air avant de mourir.’’ »