"Puis-je, monsieur, vous proposer mes services sans risquer d'être importun ? " Ainsi débute cette chute annoncée et orchestrée par Jean-Baptiste Clamence, avocat de son état, qui s'improvise "juge pénitent", et qui depuis un bar d'Amsterdam, s'adresse à un consommateur, son voisin de table, ou à vous, ou à moi ... en un très long monologue, en fait une confession, durant laquelle il nous balade dans les méandres de sa pensée.
Revenant sur son vécu et sur l'événement qui a changé totalement le regard qu'il portait sur lui-même, en l'occurrence le fait d'avoir laissé, sans lui porter secours alors qu'il l'aurait pu, une femme accomplir son suicide en se jetant dans la Seine, il décortique avec esprit, humour, une ironie mordante et un cynisme complet le mode de fonctionnement de l'être humain.
Orgueil, vanité, fatuité, sentiment de supériorité, stupéfaction de découvrir ses faiblesses, culpabilité, oubli, débauche, toute une gamme d'émotions et de comportements qui façonnent la psyché de l'individu.
Tout y passe au cours de cette confession y compris le sens de la faute, la difficulté des choix, le fardeau de la liberté ... pour finir par se persuader qu'en s'accablant soi même on se donne le droit de juger les autres.
Et le savoir-faire éblouissant d'
Albert Camus éclate tout au long du récit.
Ah, qu'il écrit bien Camus. C'est une joie de se plonger dans ce discours élégant, fluide, ce phrasé impeccable... un vrai bonheur de langage ....
mais dans lequel se mêle aussi, hélas, un tantinet de verbiage !
En voici un exemple : ... "j'ai cessé de lire depuis longtemps. Autrefois, ma maison était pleine de livres à moitié lus. C'est aussi dégoûtant que ces gens qui écornent un foie gras et font jeter le reste. D'ailleurs, je n'aime plus que les confessions, et les auteurs de confessions écrivent surtout pour ne pas se confesser, pour ne rien dire de ce qu'ils savent." page 130
Ce qui est bien dommage. Car les digressions oiseuses auxquels il se livre parfois, enlèvent de la force à son verbe puissant et inspiré.