J'ai mis longtemps à me décider à lire ce roman, je l'imaginais sans doute bien plus difficile à lire. C'est vrai que c'est une lecture exigeante, pas vraiment en raison de la syntaxe ou du vocabulaire, mais parce qu'il demande pas mal de concentration. Il y a pas mal de personnages, et quand je les rencontrais de nouveau, j'avais quelques difficultés à me souvenir de qui était qui. Peut-être aurais-je dû me faire de petites fiches, mais c'est difficile à prévoir avec un roman plutôt court. Sinon, bien sûr, l'ambiance est lourde, plombée. Difficile qu'il en soit autrement avec un tel sujet.
Le début du livre est très prenant, avec la description de l'émergence de la pandémie de peste qui peu à peu perturbe le calme de la ville d'Oran. C'est écrit un peu comme un reportage, on sent que l'auteur a été journaliste avant d'être écrivain. Les pages sur les rats qui sortent des profondeurs pour fuir et venir mourir par milliers dans les rues, les cours, les maisons, sont impressionnantes. le récit est raconté comme une chronique, le narrateur (dont on découvre tardivement l'identité) adopte un ton distant, dénué d'émotions. Il n'y a pas d'intrigue à proprement parler, ce qui peut rebuter certains lecteurs.
La peste est là, le préfet ordonne, tardivement, de boucler la ville. Oran est isolée, coupée du reste du monde, les habitants deviennent « les prisonniers de
la peste», qui les oblige à ouvrir les yeux, à penser et à réagir.
Pour Camus cette peste qui piège les habitants et les coupe du monde est le prétexte pour analyser les réactions de chacun : personne ne sait s'il va s'en sortir ou pas. Il utilise la peur face à la maladie pour aborder la peur face à d'autres fléaux (guerre, montée du nazisme). Nous voyons une communauté qui partage la même lutte, et les mentalités, les visions du monde qui changent face à l'adversité. Chaque personnage représente une attitude : le prêtre Paneloux le fanatisme religieux (ses sermons sont vraiment mémorables), Cottart l'opportunisme cupide, Tarroux l'humanisme courageux, …. Y compris les comportements maniaques de Joseph Grand qui réécrit sans cesse la même phrase pour l'améliorer, alors que la mort rode. Quant au docteur Rieux qui est au centre du récit, il efface son individualité pour jouer son rôle médical, technique, sans s'impliquer et risquer de sacrifier sa santé ou son équilibre mental. Pourtant on voit qu'il a du mal à supporter l'indifférence qui gagne la population de la ville.
Ce livre est une belle réflexion sur les comportements humains quand une menace limite ses libertés. Camus a écrit une allégorie qui rentre curieusement en résonance avec notre actualité. Un ouvrage intemporel !