Nous vivons avec des idées qui, si nous les éprouvions vraiment, devraient bouleverser toute notre vie.
(p.35)
L'absurde n'a de sens que dans la mesure où l'on n'y consent pas.
(p.52)
En ces deux certitudes, mon appétit d'absolu et d'unité et l'irréductibilité de ce monde à un principe rationnel et raisonnable, je sais encore que je ne puis les concilier
(p.75)
S'il suffisait d'aimer, les choses seraient trop simples. Plus on aime et plus l'absurde se consolide. Ce n'est point par manque d'amour que Don Juan va de femme en femme. (...) Pourquoi faudrait-il aimer rarement pour aimer beaucoup ?
(p.99)
Il n'y a que dans les romans qu'on change d'état ou qu'on devient meilleur.
(p.102)
Sachant qu'il n'est pas de causes victorieuses, j'ai du goût pour les causes perdues: elles demandent une âme entière, égale à sa défaite comme à ses victoires passagères.
(p.119)
Les conquérants savent que l'action est en elle-même inutile. Il n'y a qu'une action utile, celle qui referait l'homme et la terre. Je ne referai jamais les hommes. Mais il faut faire "comme si".
(p.120)
L'oeuvre d'art naît du renoncement de l'intelligence à raisonner le concret. Elle marque le triomphe du charnel.
(p.134)
Il n'est pas de destin qui ne se surmonte par le mépris.
(p.166)
Créer, c’est ainsi donner une forme à son destin.
Galilée, qui tenait une vérité scientifique d'importance, l'abjura le plus aisément du monde dès qu'elle mit sa vie en péril. Dans un certain sens, il fit bien. Cette vérité ne valait pas le bûcher. Qui de la Terre ou du Soleil tourne autour de l'autre, cela est profondément indifférent. Pour tout dire, c'est une question futile. En revanche, je vois que beaucoup de gens meurent parce qu'ils estiment que la vie ne vaut pas la peine d'être vécue. J'en vois d'autres qui se font paradoxalement tuer pour les idées ou les illusions qui leur donnent une raison de vivre ( ce qu'on appelle une raison de vivre est en même temps une excellente raison de mourir). Je juge donc que le sens de la vie est la plus pressante des questions. Comment y répondre ? Sur tous les problèmes essentiels, j'entends par là deux qui risquent de faire mourir ou ceux qui décuplent la passion de vivre, il n'y a probablement que deux méthodes de pensée, celle de La Palisse, et celle de Don Quichotte. C'est l'équilibre de l'évidence et du lyrisme qui peut seul nous permettre d'accéder en même temps à l'émotion et à la clarté. Dans un sujet à la fois si humble et si chargé de pathétique, la dialectique savante et classique doit donc céder la place, on le conçoit, à une attitude d'esprit plus modeste qui procède à la fois du bon sens et de la sympathie.
ô mon âme, n'aspire pas à la vie immortelle, mais épuise le champ du possible.
Conscience et révolte, ces refus sont le contraire du renoncement. Tout ce qu'il y a d'irréductible et de passionné dans un coeur humain l'anime au contraire de sa vie. Il s'agit de mourir irréconcilié et non pas de plein gré. Le suicide est une méconnaissance. L'homme absurde ne peut que tout épuiser et s'épuiser. (...) Il témoigne de sa seule vérité qui est le défi.
(p.80)
Toutes les expériences sont à cet égard indifférentes. Il en est qui servent ou desservent l’homme. Elles le servent s’il est conscient. Sinon, cela n’a pas d’importance : les défaites d’un homme ne jugent pas les circonstances, mais lui-même.
[…] Pour m’en tenir aux philosophies existentielles, je vois que toutes, sans exception, me proposent l’évasion. Par un raisonnement singulier, partis de l’absurde sur les décombres de la raison, dans un univers fermé et limité à l’inhumain, ils divinisent ce qui les écrase et trouvent une raison d’espérer dans ce qui les démunit. Cet espoir forcé est chez tous d’essence religieuse.
Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie.
Dans l'attachement d'un homme à sa vie, il y a quelque chose de plus fort que toutes les misères du monde.
(p.22)