The Problem of the Wire Cage /
Meurtre Après La Pluie
Un petit, un très petit Dickson Carr, auteur qui reste pourtant le père de chefs-d'oeuvre tels que "
La Chambre Ardente", qui flirte ouvertement et, peut-on dire, avec génie, avec le fantastique le plus pur, ou encore "
Celui qui murmure", roman policier proprement diabolique. A côté d'eux, ce "
Meurtre Après la Pluie" nous a une mine bien pâlotte : des personnages qui ressemblent à des clichés figés sous verre, le classique mariage sous condition d'héritage, des rivaux bien sûr, tournant autour de la fiancée en devenir et se provoquant l'un l'autre sans beaucoup de subtilité, un troisième rival qui demeure inconnu jusqu'à la fin (mais qu'on peut tout de même suspecter de très mauvaises intentions parce que, à trop vouloir faire l'ange, on fait la bête), une ou deux femmes un peu "fatales" mais guère mauvaises dans le fond, la vieille servante malveillante qui, jadis, fut l'une des amantes du maître de maison, désormais paraplégique ou aux trois quarts, un propriété somptueuse, de l'argent qui semble jaillir de partout, un jeune avocat qui, lui, n'en a guère, de fortune, mais qui est amoureux désespéré de l'héroïne, un policier aussi têtu qu'un petit ratier anglais et qui voit des coupables là où ils ne sont pas et, par-dessus tout, son vieil ami, le Dr Gedeon Fell, criminologue distingué et héros récurrent de Dickson Carr, qui trouve, lui aussi, que toute cette histoire de meurtres, avec ces empreintes bizarres dont on ne s'explique pas l'agencement, ce corps découvert sous une pluie battante au beau milieu du court de tennis (ce mort si coquet qui, jamais, n'aurait accepté de mouiller la pointe de ses chaussures de luxe), cet étranglement avec une écharpe qui présente, en commun avec les empreintes, un troublant caractère d'inachevé, de bizarre, de décalé ...
A peine se dit-on : "C'est lui !" ou alors "C'est elle !" que l'on est obligé de revoir sa copie . Et puis, la victime était si antipathique : beau gosse, riche certes, bourré d'arrogance, fils-à-papa sans papa mais élevé tendrement par son oncle (le paraplégique) selon des principes moraux qui peuvent se ramener à ce proverbe bien connu : "En mai, fais ce qu'il te plaît !" En un sens, c'est bien fait, qu'il soit mort, ce Franck Dorrance, na ! Comme ça, Brenda ne sera plus obligée de l'épouser - si elle en épousait un autre, elle perdait sa part d'héritage, d'où l'obligation qu'elle avait envers Dorrance et qui était d'ailleurs réciproque - et pourra se consacrer à Hugh, son bel avocat.
Ah ! mais alors, c'est Brenda qui a tué cet insupportable Franck Dorrance ! Mais non, voyons, mon cher (ou ma chère) ! Cela se verrait trop comme le nez au milieu du visage et, puis, en plus, ce serait d'un naïf ! Bon, alors, c'est Hugh qui s'est dévoué ? Mais non ! Réfléchissez un instant avec le pois-chiche qui vous sert de cervelle : ce ne peut être ni l'un, ni l'autre, voyons . La chose est beaucoup plus complexe. D'abord, hein, que faites-vous de cette ancienne maîtresse de Dorrance que celui-ci avait laissée tomber comme une vieille chaussette et qu'un ami avait juré de rétablir dans son honneur ? ...
Et pourquoi Nick - l'oncle paraplégique - s'acharne-t-il tellement sur le pauvre Hugh ? A croire qu'il en est jaloux ! ... Vous plaisantez, mon cher (ou ma chère !) : comment Nick, aux trois quarts immobilisé dans son fauteuil roulant, aurait-il pu trouver le moyen d'assassiner Dorrance (ou un autre d'ailleurs) de cette manière si compliquée ? Et puis, pourquoi Dorrance et non pas Hugh ? ...
Ah ! là, non, je vous arrête ! Dr Fell, qu'en pensez-vous ? Pouvez-vous nous donner la solution - et une solution qui ne nous fasse pas tous pouffer de rire ou écarquiller les yeux d'incrédulité ? Reprenez donc un verre de cet excellent cognac, concentrez-vous sur votre cigare et allez-y : nous vous écoutons ...
Même dans "
Celui Qui Murmure" - que je vous recommande - je n'ai jamais beaucoup apprécié le Dr Fell, qui fait partie de ces détectives que je qualifierais de "pédants." Pédant, Poirot l'est aussi, si vous voulez mais sa créatrice tempère avec un humour que Dickson Carr l'Américain n'a jamais su manier. Fell a un certain embonpoint, une grande culture et la certitude épouvantablement suffocante d'être le meilleur de tous. Et c'est vrai qu'il est bon, excellent dans sa partie. C'est un spécialiste des meurtres en chambres closes ou qui se déroulent dans des endroits étonnants. Il a de l'entregent, de l'allure et une forme de génie comme en ont les plus grands joueurs d'échecs. Hélas ! comme eux aussi, il est froid. Poirot doit peut-être à sa nature belge (et donc romane) de bénéficier d'une excentricité plus "vivante."
Si vous êtes un inconditionnel des meurtres en lieux clos et plus encore de
John Dickson Carr, n'hésitez pas, foncez. Pour les autres, ma foi, essayez plutôt "
La Chambre Ardente", roman dont l'intrigue est habile et vraiment hors norme, la seule je crois où
John Dickson Carr entremêla superbement assassinat et fantastique. :o)