Lui seul, encore dans le coma, ne savait pas qu'il était vivant et que ceux qu'il aimait étaient morts de sa main. Cette absence n'allait pas durer. Il allait sortir des limbes. Que verrait-il en ouvrant les yeux ? Que se rappellerait-il ? Qui allait croiser son regard ? Une infirmière, sans doute. Est-ce qu'elle allait lui sourire, comme elles doivent faire toutes dans ces moments là parce qu'alors une infirmière est une mère qui accueille son enfant au sortir d'un très long tunnel. Oui mais à lui ?
Un ami, un véritable ami, c'est aussi un témoin, quelqu'un dont le regard permet d'évaluer mieux sa propre vie, et chacun depuis vingt ans avait sans faillir, sans grands mots, tenu ce rôle pour l'autre.
"Des heures durant, il en répétait les préliminaires. Peut-être pourrait-il raconter cette étrange histoire comme si elle était arrivée à un autre : un personnage complexe et tourmenté, un cas psychologique, un héros de roman. [...] Jusqu'alors maître de lui, dominant en virtuose toutes les situations, l'affabulateur devenait humain, fragile. Le défaut de la cuirasse se révélait."
Que serait-ce une amitié qui se laisserait si facilement convaincre de son erreur ?
Mais je sais ce que c’est de passer toutes journées sans témoin : les heures couché à regarder le plafond, la peur de ne plus exister.
Le problème, c’est qu’il serait en vie et que seul, même avec de l’argent, il ne saurait que faire de cette vie. Sortir de la peau du docteur Romand voudrait dire se retrouver sans peau, plus que nu : écorché.
Il lisait beaucoup, avec une prédilection pour les essais semi-philosophiques écrits par de grands noms de la science, sur le modèle du Hasard et la Nécessité.
En le quittant, un des psychiatres a dit à son confrère: "S'il n'était pas en prison, il serait déjà passé chez Mireille Dumas !" (p.185)
Sous le faux docteur Romand il n'y avait pas de vrai Jean-Claude Romand.
Comment se serait-il douté qu’il y avait pire que d’être rapidement démasqué, c’était de ne pas l’être [...] ?