Myers fixait la chaussée devant lui en silence. Il arrivait aux dernières lignes d'une nouvelle.
La veille de la cérémonie, ils s’étaient pris par la main juste avant de dormir et ils avaient fait vœu de préserver à tout jamais la ferveur et le mystère de leur union.
Un soir que Ralph remontait la route poussiéreuse qui menait à la casita qu’ils avaient louée, il aperçut Marian accoudée à la balustrade de fer forgé de leur balcon. Elle était immobile, ses longs cheveux qui pendaient lui masquaient les épaules, et son regard était perdu au loin, vers l’horizon. Elle portait un corsage blanc et s’était noué autour du cou un foulard d’un rouge vif. Ralph distingua nettement le relief de ses seins qui palpitaient doucement sous l’étoffe blanche du corsage. Il avait sous le bras une bouteille de vin d’un rouge sombre, dépourvue de toute étiquette, et cette vision le fit songer à une image de cinéma, une scène d’une intensité dramatique poignante où Marian avait naturellement sa place, mais dont il était lui-même exclu.
- Mon Dieu, dit-elle. mon Dieu, je vous en supplie, aidez-nous.
Un voile de brume obscurcissait encore la rue, et il dut marcher avec précaution pour ne pas écraser les escargots qui rampaient sur le trottoir mouillé.
[Tais-toi, je t'en prie]
Oui, se dit-il, un grand mal presse l'univers de toutes parts, et il lui suffirait de la moindre crevasse, de la plus minuscule fissure pour s'y introduire.
[Personne disait rien]
George, c'est vraiment le roi des cons.
Il resta muet. Le timbre de cette voix l'interloquait.
Il se sentait vide, merveilleusement léger.
Aux yeux de Ralph, il se dégageait de ce spectacle une impression d'indicible sérénité. Les gestes silencieux des joueurs lui semblaient à la fois pleins de grâce et lourds de sens.