La littérature de certains pays nous est très difficilement accessible, même les principaux auteurs ou les "classiques" sont quasiment introuvables en bibliothèque. Ce n'est pas toujours pour des raisons de traduction puisque je vais vous parler ici d'un pays hispanophone... et vous reconnaitrez avec moi que l'espagnol ne manque pas de traducteurs en France. Certes, ce pays n'est clairement pas le plus grand de son continent, l'Amérique du Sud. Certes il y est enclavé, sans accès à l'Océan qu'il soit Atlantique ou Pacifique, ce qui a sans doute renforcé son isolement culturel. Si vous êtes férus de géographie, il ne vous reste normalement que deux possibilités. Si ce n'est la Bolivie, c'est donc le Paraguay.
Par la combinaison de plusieurs challenges Babelio, il m'est venu l'envie de m'intéresser à ce pays en particulier. Très vite, je suis tombé sur les livres de
Roa Bastos et notamment
Moi, le suprême, qui lui a valu le prix
Cervantes, prix considéré comme le plus prestigieux en langue espagnole. Mais malgré cette renommée, impossible de me le procurer à ma bibliothèque, à part en version originale, et mon espagnol est bien trop pauvre pour me lancer dans ce genre d'aventures. Heureusement, il y a quelques avantages à avoir épousé une universitaire, et notamment l'accès privilégié à une bibliothèque bien mieux achalandée en littérature internationale.
Et là pour le coup, c'est le jackpot puisque j'ai même accès à des livres auxquels je n'aurais pas osé rêvé, notamment cette Limace de
Gabriel Casaccia, précurseur de la littérature paraguayenne que
Roa Bastos lui-même salue comme ayant eu le mérite de "lancer un genre dans un pays fictionnellement inconnu". Quelle meilleure introduction à cette littérature paraguayenne si inaccessible.
L'édition date de 1959 pour un livre sorti au Paraguay en 1951, ça sent le vieux livre, avec des pages inégalement coupés (et oui les livres sortaient à l'époque souvent non coupés, c'est le lecteur qui finissait le travail et c'était presque considéré comme un privilège de découvreur). On part pour l'aventure littéraire, la vraie, l'originelle. le style est plutôt classique, on ne recherche pas l'originalité maximale quand on lance une littérature nationale. Mais le projet reste d'ampleur, décrire la vie d'un petit village de la campagne paraguayenne, non loin de la capitale par la distance mais si éloigné dans les mentalités.
La narration est parfaite pour rendre l'atmosphère de ce village, sautant d'un habitant à l'autre, n'ayant finalement pas de personnage principal (alors que le personnage de l'auteur à la recherche de son premier roman semblait calibré pour le rôle). Car Casaccia veut se donner toute liberté pour pénétrer les pensées les plus profondes de chacune des grandes figures d'Aregua (village dont il se dit en avant-propos le fils spirituel).
Et le résultat est particulier puisque tout à la fois particulièrement juste et cru, sans aucune concession pour ces êtres pétris de contradictions, insatisfaits perpétuels de leur condition mais tout à la fois incapables d'en mener le changement, englué dans leurs petites habitudes, leurs guerres intestines, leurs inimitiés établies, leurs alliances régulièrement reniées. Et malgré ce portrait au vitriol, on sent aussi toute l'affection de l'auteur pour ses personnages, qu'il prend plus en pitié qu'il ne les juge. Les oppositions province-capitale, campagne-ville, paysans-bourgeois, guarani (langue locale)-espagnol traversent tout le récit et dressent ainsi un portrait cruel et touchant à la fois d'un pays totalement instable politiquement à l'époque et que la fragilité finira quelques années plus tard par faire tomber dans les bras du dictateur Alfredo Stroessner qui restera au pouvoir pendant plus de 30 ans.
Pour finir, vous me direz sans doute "et le rapport de tout cela avec
la limace ?"... Je vous laisse découvrir qui est cette limace du titre par vous-même... il ne vous reste qu'à épouser un(e) universitaire pour avoir accès à l'information, rien d'insurmontable vous en conviendrez.