Ce roman est une d'une grande originalité, parce qu'il lie la quête personnelle du personnage principal, à celle d'une île en crise et en proie à une situation digne de 1984 d'Orwell, à celle des femmes. Ce sont donc les questions de l'identité, du devoir de mémoire et du féminisme qui sont au coeur de l'intrigue.
J'ai été profondément touchée par l'histoire de ce peuple, que j'aime, que j'ai fréquenté assez régulièrement dans mon enfance, en France et là-bas, sur cette île paradisiaque, sans jamais me rendre compte de cette ambivalence, de cette déchirure entre l'attrait pour la métropole, la haine pour les maîtres des esclaves, l'envie d'appartenir encore à l'Afrique, et la colère envers ses Africains qui auraient vendu leurs propres frères. Comment dans ce cas, construire une identité propre aux Antilles, à la Martinique ?
A l'instar de cette île, Fèmi se sent incomplète, déchirée entre le Bénin qui l'a vue grandir, la Martinique qu'elle a rêvé à travers ce père qu'elle n'a jamais connu et la France, pays d'accueil parfois trop peu accueillant pour toutes ces cultures si différentes les unes des autres qui essaient de survivre ensemble au « pays de froidure ». Dans cette Martinique qui l'a toujours attirée, Fèmi ne se sent pas chez elle, car elle n'y est que la fille de la maîtresse, et en tant que telle, elle se sent indésirable. Comment se présenter ? Comment trouver sa famille, elle, qui n'est que la fille de sa mère ?
Dans ce contexte, l'autrice réunit ces deux destins grâce à une histoire effrayante de délégation qui, pour des raisons, que vous ne connaîtrez qu'à la fin du récit, tente d'effacer la mémoire sombre de l'esclavage des souvenirs des Martiniquais, officiellement pour les rendre plus heureux. Mais un peuple reste-t-il un peuple, sans son histoire, même douloureuse ? Une famille reste-t-elle une famille sans les histoires de ses ancêtres ? C'est contre cela que Sandrine, Da Léonie, Frida et Sonia vont se battre.
Des femmes, surtout. Des femmes seulement. Qui veulent profiter de l'absence de réactions des hommes pour rappeler qu'elles ne sont pas que des mères, qu'elles sont aussi la mémoire vive de cette île, qu'elles sont aussi l'intelligence fine et discrète des familles, qu'elles sont la force tranquille de toute famille et de tout peuple.
C'est une histoire riche de sens pour tous ces individus en nous qui cherchent à trouver leur place, dans leur famille, dans leur passé, dans leur pays. Les choix de l'autrice sont assez efficaces car le lecteur est autant pris par le désir de savoir comment la Martinique va se débarrasser de la délégation que par celui de savoir si Fèmi va retrouver les siens. Ce n'est pas un coup de coeur, mais c'est un livre que j'ai aimé découvrir et qui m'a poussée à me poser beaucoup de questions, sur une île que je pensais connaître. Et je pense que c'est salutaire…
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