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4,29

sur 1718 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
L.F.Céline était il :
Un écrivain de génie ?
Un antisémite pathologique ?
Un anarchiste pacifiste ?
Un salaud geignard ?
Un humaniste amer ?
Vaste débat, jamais terminé.
A mon humble avis, il était un complexe mélange de tout cela.
Ce qui se ressent dans ses écrits.
"Mort à crédit", est mon roman préféré de Céline. On y trouve une sorte de synthèse du fameux style si particulier.
Dans ce roman, l'auteur raconte son enfance, sa prime jeunesse.
Cela donne lieu à quelques morceaux d'anthologie.
Et met en scène une galerie de personnages inoubliables, des parents de Céline, petits bourgeois besogneux toujours paniqués par l'avenir, à l'extravagant Henri de Graffigny, inventeur, éditeur, culturiste.
Tout ce monde, sous la plume exceptionnelle de Céline, s'agite contre vents et marées, dans une sorte de combat perdu d'avance.
J'ai la chance, de posséder l'édition illustrée par Tardi, publiée conjointement par Gallimard et Futuropolis en 1991, et vous savez quoi, si je ne devais conserver qu'un seul livre (choix déchirant !), je crois bien que ce serait celui là !
Ps :L.F Céline, a écrit sept versions de "Mort à crédit "avant de choisir la définitive, ses plus féroces détracteurs ne peuvent lui enlever ça :il n'était pas feignant.
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SBN : 9782070376926

Sur un plan purement technique et bien qu'il soit le second roman de son auteur, "Mort A Crédit" précède le "Voyage Au Bout de la Nuit." Tout simplement parce qu'il effectue un retour, sacrément pimenté, sur l'enfance et l'adolescence du jeune Louis - Ferdinand. Pimenté et sans pitié. L'essentiel de la haine que Céline portera en lui toute sa vie contre l'Autorité et toutes les figures qui la symboliseront, sa volonté farouche de provoquer, fût-ce parfois pas très intelligemment, tout ça y trouve ses racines, tordues, énormes, difformes même pour certaines. Mais les plantes qu'elles donnent sont si belles ...

Comme il le fera plus tard dans "Guignol's Band", pour lequel Denoël vint le voir en lui disant, accablé : "Mais on n'y comprend rien !", Céline déstabilise son lecteur dès le début en l'emportant dans une sorte de délire où se mélangent des bribes et des bribes - réelles ou rêvées ? - de sa vie. Si on n'avait peur de le vexer au Paradis des Ecrivains de Génie Les Plus Haïs Par Les Crétins Redondants, on évoquerait volontiers la tornade diabolique qui, dans le Kensas de Franz Baum, emporte la petite Dorothy au Pays d'Oz. Seulement, avec Céline, la petite Dorothy, c'est vous, c'est moi, c'est tout lecteur digne de ce nom, et le Pays d'Oz, bien sûr, c'est le Pays de Céline. Seul point commun entre les deux : s'il y a des monstres à Oz, il y en a aussi chez Céline mais alors, ceux-là, franchement, faut pas les faire voir à n'importe quelle petite tête blonde - même de nos jours, avec Internet, Hollande et Valls à la télé et tout ça ...

D'abord, y a les parents de Céline. le Père, le Géniteur. Raide, digne, ayant voué sa vie aux assurances (quel beau mot ! ) et aux comptes (quel beau mot aussi, pour certains ! ),trimant en vain pour une augmentation que pourrait lui apporter la maîtrise de le technique, toute neuve, de la dactylographie - maîtrise que, bien entendu, il n'arrive pas à acquérir. Les descriptions du père Destouches, Le Normand, face à cette foutue machine à écrire dernier cri (et à l'époque, croyez-moi, c'était encore pire que les toutes dernières épaves à frappe mécanique qu'il nous arrivait encore de dénicher, dans les années quatre-vingt, dans telle ou telle antique officine, chez les huissiers par exemple, ces monstres qui, par ailleurs, avaient le mérite de vous faire des doigts d'acier, dignes de Robocop en personne ), peintes par l'encre empoisonnée de son rejeton, sont tout simplement épiques. Surtout que le type est plutôt costaud, la machine aussi et qu'ils finissent par en arriver tous les deux aux ... ma foi, comment dire ? ... aux mains et aux touches ! Et tout cela, bien sûr, par la faute de notre Ferdinand qui fait rien qu'énerver son père, ce fils indignement dégénéré !

J'ai eu la chance - si l'on peut dire - de connaître un père du même modèle dont le plaisir le plus merveilleux était, outre de "corriger" son fils à la ceinture (parfois pour rien de valable, d'ailleurs), de l'insulter, de le traiter de tous les noms, de lui prédire un avenir de poubelle, bref, de le rabaisser systématiquement et en le piétinant avec frénésie pour faire bonne mesure. Ce genre de choses - ce type de pères met d'ailleurs un temps incroyable à le comprendre - ça ne peut pas durer éternellement. le jour arrive où le "petit", brusquement devenu aussi grand et aussi costaud, vous rend la politesse avec tous les raffinements du genre. C'est le jour, fameux entre tous, où le Fils "tue" le Père - le jour où, dans "Mort A Crédit", Céline "tue" enfin son Géniteur.

Mais il a beau être Céline, il est comme tous les ados, comme tous les enfants que nous avons été : il "tue", oui, mais il le fait autant par légitime défense que par vengeance et si la rage lui vrille le coeur, ce même coeur verse aussi ses ultimes larmes sur le Père qui aurait pu être - et qui n'a pas été, qui ne sera jamais. Cela se passe au dernier tiers du livre et c'est d'une beauté, d'une grandeur, ça véhicule une émotion si intense que l'on ne parvient pratiquement pas à en dire plus.

Et puis, comme l'eût chanté Brel, et puis, il y a la mère. Bretonne, elle et "calancheuse." On ne sait pas très bien ce qui est à l'origine de sa boiterie mais une chose est sûre : cette femme est de la race de ces mères, bretonnes ou pas, qui sont plus des épouses que des mères. Oh ! Elle n'est pas dure avec son fils, elle l'aime, à sa manière. C'est-à-dire qu'il doit s'incliner devant le Père-Roi, le Père-Qui-Sait-Tout, le Père-Brutal, le Père-Monarque-du-Ceinturon, qui envoie valdinguer la mère autant qu'il envoie valdinguer son fils mais qui est "le Chef", l'"Autorité." Mme Destouches appartient aussi à l'espèce, si dérangeante et qui m'a toujours donné envie de vomir (oui, des mères comme ça, j'en ai bien connu aussi, toutes les chances, on vous dit !) de ces femmes qui donnent toujours, en pleurnichotant bien fort, tort à leurs enfants et raison à leur mari (ou compagnon). Si le jeune Céline se fait battre, même pour pas grand chose et dans des proportions que ne mérite pas la sottise qu'il vient de faire, c'est sa faute. Son père le bat, son père l'insulte, son père le rabaisse, son père le serpilliérise, son père le piétine, son père lui fendrait la colonne vertébrale, oui, bien sûr mais attention : POUR SON BIEN.

C'est beau, quand même, l'amour d'une femme pour son époux, hein ?

Et puis, Mme Destouches, elle adore faire toujours plus qu'elle ne devrait en faire - notamment à cause de sa jambe. Est-elle née avec une mentalité de martyre ou est-ce un acquis de l'existence ? Perso, je dirai un mélange des deux - et c'est incurable . le spectacle est outrancier, pitoyable, émouvant, on a pitié d'elle tout en ayant envie de lui flanquer des rafales de gifles et de la ligoter sur son lit pour qu'elle se repose enfin, et cet amour qu'elle a pour SA souffrance, SON statut d'épouse et de mère parfaites (du moins le croit-elle), franchement, ça m'a donné je ne sais trop combien de fois l'envie de gerber.

Petits bourgeois sans grande intelligence et sans un seul atome d'imagination, momifiés vivants dans leurs certitudes que la terre est plate et que le Soleil tourne autour, convaincus, à chaque mois qui passe, qu'ils ont donné le jour à un enfant quasi démoniaque ou qui, en tous cas, causera leur perte, jamais ils n'essaient de comprendre le phénomène que, pénomènes eux-mêmes, ils ont mis au monde. Ferdinand a toujours tort, Ferdinand est un misérable, Ferdinand ne sait plus quoi inventer, Ferdinand est impossible, Ferdinand finira, qui sait ? sur l'échafaud. (C'est très bien : comme ça, pour une fois, il donnera enfin raison à ses parents. ) Pour le petit garçon, ça allait un peu mieux du temps de la grand-mère Caroline - sa grand-mère maternelle - la seule, avec l'oncle Edouard, le frère, lui, du côté là encore maternel, non seulement à vouer à l'enfant une affection sincère mais toujours prêts à le faire vivre et à le laisser vivre tout en lui indiquant les garde-fous nécessaires. Mais grand-mère Caroline meurt trop tôt.

C'est le lot des bonnes grands-mères. Vous avez connu, vous aussi ? Elles font ce qu'elles peuvent pour vous et puis, elles sont obligées de partir et de vous laisser au milieu des monstres du Pays d'Oz - ou du Pays de Céline ... ou de votre propre Pays. N'empêche : elles vous insufflent l'une de ces forces morales qui jamais, quelque piège que vous tendent vos chers parents, ne vous quittera ... Merci à vous, grands-mères ! ;o)

Vous décrire la mort de la grand-mère Caroline, les si belles pages que Céline le Cynique, l'Affreux, le Collabo, le Calomnié, le Haï, le Génie, dédie à cette femme, serait inutile : pour mieux comprendre un tout petit morceau du puzzle Céline, mais un morceau décisif, il vous FAUT les lire.

Heureusement qu'il reste l'oncle Edouard. L'oncle Edouard aime sa soeur (en toute justice, le jeune Ferdinand lui aussi préfère sa mère à son père car il voit bien l'état lamentable dans laquelle elle se met, poussée à la fois par sa triste existence et aussi par les failles de son caractère, et puis, une mère, on n'en a qu'une : c'est bien ça, le problème ! Et un foutu problème de merde ! Lâchons-nous, oui : vous verrez, si vous ne l'avez déjà expérimenté et si vous êtes un minimum au-dessus de la moyenne : le seul Véritable Problème qu'on a dans Sa Vie, c'est sa Mère : bonne, on s'effondre quand elle n'est plus là et tout n'est plus que douleur ; mauvaise, on s'effondre aussi car ses coups et les affrontements, verbaux ou physiques, avec elle, vous manquent tout aussi douloureusement - fin de l'aparté, les potes, on passe à autre chose ou on essaie, capice ? ) mais il aime aussi son neveu dont il devine la sensibilité, l'originalité profonde et l'intelligence non moins réelle d'enfant probablement surdoué sous ses airs de cancre buté.

Après l'"héneaurme" bagarre avec le Père-Géniteur, l'Oncle Edouard confie son neveu comme apprenti à l'un de ses amis, un drôle de type, à vrai dire, le Courtial des Pereires, une véritable encyclopédie vivante, qui joue aux courses, mène une vie de bâton de chaises, dirige une revue, "Le Génitron", traitant de toutes les inventions possibles et imaginables, prône le plus léger que l'air, fait des excursions, tout à fait accablantes en ballon et qui, peu à peu, sans que l'un ou l'autre en ait pleinement conscience, devient, en quelque sorte, le "Père spirituel" de Ferdinand.

Oui, ça aussi, on a connu. Enfin, les plus chanceux d'entre nous. Là aussi, j'en étais (Eh ! Quand on s'est farci tous les autres, on a tout de même le droit d'avoir un père spirituel, non ? ). Vu mes repères personnels, je ne puis dire que Courtial des Péreires - dont ce n'était d'ailleurs pas le vrai nom - était un saint, pas même un exemple fabuleux à suivre. Mais il avait ce truc ... Ce truc merveilleux : l'imagination, le rêve, ce désir de s'allonger dans l'herbe et de contempler les étoiles, la curiosité de savoir ce qu'il y avait au-delà ... Voilà : il voulait toujours apprendre, toujours en savoir plus. Sur l'univers, sur soi même - pas sur ses voisins.

L'influence, sur Céline, de cet homme à la fois si brillant et si exaspérant, si irresponsable et si égoïste envers sa femme et pourtant si aimant et si aimable, sera si décisive que son décès (ou plutôt son suicide) poussera le tout jeune homme à s'engager. L'Oncle Edouard lui conseille bien de ne pas agir sur un coup de tête mais ce n'est pas possible. D'ailleurs, nous sommes encore en 1911 et personne ne peut savoir que, trois ans plus tard ...

Les trois coups vont sonner pour le "Voyage au Bout de la Nuit", pour la vie d'homme de Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline. Il a "tué" son Géniteur qui, d'ailleurs, ne l'aimait pas et même, redoutait son étrangeté, tout ce qui ne cadrait pas avec sa raideur, avec ses certitudes d'homme bien-pensant. Et son Père spirituel, lui, s'est tué parce qu'il n'en pouvait plus. La Vie n'est pas tendre, elle est cynique, elle aime ça, le cynisme ... et pourtant, avec tout son cynisme et ses grimaces affreuses, avec toutes ses douleurs et ses injustices apparentes, elle nous apprend tant de choses. Si elle ne nous brise pas, elle nous fortifie à jamais.

C'est ce qu'elle a fait pour Céline. Dans le fond, Céline, la Vie l'a beaucoup aimé. Mais quand il a saisi la comédie qu'elle lui avait jouée, il était entré dans une autre Vie. Sûr, qu'il a dû être vachement étonné. Sûr aussi qu'il a dû s'en payer une sacrée tranche en comprenant l'astuce. Faites comme lui : lisez "Mort A Crédit" et, par pitié, réservez toute une étagère à son auteur. Oubliez les libelles où il aurait mieux fait de fermer sa grande gueule et ne prêtez l'oreille qu'à l'écrivain qui pense, réfléchit et se dit quand même : "Non, arrête, Ferdinand : là, t'es plus Céline. Alors, écris et fais pas de la politique. Surtout que, si, question écriture, tu sais sacrément bien tricher, question politique, t'es fin nul.";o)
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J'hésitais à relire « le voyage », j'ai ouvert « mort à crédit » en édition Folio. Mais que c'est écrit petit...! Comme le texte déjà concentré est dense ! Alors j'ai recherché la version illustrée par Tardi, avec des dessins du même charbon que le texte.

Céline, son enfance, il la raconte grise avec un soleil si moche qu'on l'éclipse, son humanité est sombrement décrite.

Quelle densité dans le texte avec sa foultitude de vomissures de mots à lire à voix haute. Je l'ai lu doucement comme on déguste un petit Lu par ses 4 oreilles avant ses 48 dents, sachant que de scénario point.
Quelle logorrhée ! Comme Coltrane, à l'Olympia en mars 1960, débutait le free jazz et se faisait siffler, Céline fait dans la free littérature.
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Attention chef d'oeuvre !

Après le Voyage au Bout de la Nuit, Louis-Ferdinand Céline abandonnait Bardamu mais gardait Ferdinand pour nous accompagner dans les recoins sombres du Paris et du Londres de son enfance. Il affirmait son style décapant et imagé pour nous délivrer ce fruit d'un labeur de plusieurs années qui reste une de ses toutes meilleures productions.

Si vous n'avez jamais ouvert un livre de Céline (il vaut mieux en laisser certains fermés) les premières pages de Mort à Crédit vous diront tout de suite à quel génie vous avez à faire. Les réflexions sur la mort de Madame Bérenge comptent parmi les plus belles pages de la littérature française.
Vous suivrez ensuite les péripéties de Ferdinand, de son enfance au passage Choiseul jusqu'à son désir de rentrer dans l'armée. Ce livre devait constituer le début d'une trilogie "Mort à Crédit - Casse-Pipe - Guignol's Band" dont le second volet n'a jamais été terminé. Je vous invite à lire, si vous souhaitez en savoir plus sur l'auteur, sa vie, ses choix, l'excellent "Céline", d'Henri Godard.

Sans rentrer dans le détail des mésaventures de Ferdinand, j'insisterai sur le sentiment jouissif que procure la lecture de ce livre et sur l'étendue du talent de son auteur. Céline sait se faire drôle, haletant, émouvant, profond, ordurier... On ne sait jamais vers quelle rive il va nous emporter avec sa galerie de personnages et d'aventures.

La Méhon qui colle son papier sur la vitrine de la boutique du passage Choiseul lorsque le père raconte ses histoires à un public de plus en plus dense, Courtial qui disparaît des jours dans sa cave pour échapper aux créanciers, Madame Divonne qui, de commerce en commerce, vient pleurer sur les proches décédés des commerçants dans l'espoir d'avoir un peu plus de nouilles, et bien d'autres personnages tout à la fois désespérément humains et hors du commun vous accompagneront au long des six cents et quelques pages de ce monument joyeux, cynique, et volontiers ordurier.

Il faut lire Céline comme on goûte une petite tasse de thé bien chaud, parfois brûlant, au coin d'une cheminée, par petites gorgées. Ou pas. Mais il faut lire Céline.
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J'ai retrouvé le Céline que j'avais adoré dans "voyage au bout de la nuit" , mais ici tout est poussé à l'extrême : son écriture atypique, la violence, le sordide du propos...j'ai eu quelquefois l'impression que Céline jouait la surenchère, trop c'est trop...et pourtant ce livre est fascinant, son charme exceptionnel. Il ne détrônera pas le "voyage..." dans mon panthéon mais restera pour moi un monument de la littérature française...à lire absolument.
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Ce deuxième roman de Céline, paru après "Voyage au bout de la nuit", a le mérite de révéler le véritable style célinien. L'auteur l'a, d'ailleurs, lui-même reconnu: dans le "Voyage", son écriture restait encore relativement classique, malgré un certain nombre de cassures et de dissonances. Avec "Mort à crédit", la rupture s'affirme et s'affiche clairement, non sans provocation: phrases courtes, souvent nominales, reliées entre elles par les fameux trois points de suspension, rythme haché, saccadé, emploi fréquent d'assonances et d'allitérations... Céline utilise la langue bien plus à la façon d'un poète que d'un romancier. C'est en cela, me semble-t-il, qu'il est unique et qu'il est un des plus grands auteurs du XXe siècle! Sa voix est à jamais inoubliable.
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On remonte dans ce roman autobiographique aux origines de la dette mais le crédit et la mort sont tournés , par définition, vers l'avenir. C'est « l'avenir à crédit », selon la Vitruve, celle qui prédit le futur pour se faire un peu d'argent, qui abuse de la crédulité des gens. Le médecin fait aussi son commerce en s'appuyant sur la superstition populaire. On rencontre des malades qui se fabriquent leur mort. On apprend de manière optimale comment contracter des ardoises, au débit de boisson, ou par et pour le jeu, on mise sur les courses ou on apprend comment faire des investissements foireux. Ferdinand assiste à la mort du petit commerce qui souffre des évolutions, qu'on ne peut suivre. Le commerce de ses parents, c'est une boutique de vieilleries, et on arpente les rues comme des cloportes clopinants, une clope au bec, pour colporter la mort, du bric à brac invendable. Courtial des Péreires, son maître, mise sur les évolutions, lui, mais le visionnaire l'est un peu trop. Les promesses ne valent plus rien, on ne rend jamais le capital, ni la somme empruntée ni les intérêts. Le crédit, c'est basé sur la confiance à la base mais ça devient de la défiance dès la mort du crédit. On se fait même bien pigeonner, et les pigeons se noient dans un sac comme des petits chatons ou comme des petits chiots ou bien ils se font bouffer. On essaie de réduire les dépenses, on se serre la ceinture, on souffre de malnutrition, c'est l'austérité. S'il y a une rentrée d'argent, on le dépense en débauche, à s'en faire vomir. C'est une richesse fictive, parce que c'est de l'argent qui se bouffe tout seul. C'est alors la dépression. En fait, ce bouquin, c'est l'économie pour les nuls.
Les personnages ne sont ni solvables ni sortables. Le père écrit à son fils qu'il sera « plutôt à charge qu'à crédit, le jour où se régleront [l]es comptes » (p.61) Les parents passent « quarante ans toujours ensemble à se suicider ». L'enfant Ferdinand se voit comme une charge, un poids, un boulet. Quand il pense à sa mère qui se tue à la tâche, pour la tache qu'il est, ou plutôt qu'on lui dit qu'il est, il se dit qu'«  elle a tout fait pour que je vive, c'est naître qu'il aurait pas fallu » (p.56) Il se sent coupable. Quand le père l'engueule, c'est le déluge, un mélange diluvien d'eau, de salive, de sueur, de sperme, de merde et de vomis. Le motif du déluge revient et il faut le sentir ce désir du père, ce bateau tempétueux, de prendre la mer, de mettre les voiles, parce que tout fout le camp. C'est assez mythique cette traversée en bateau, où ils dégueulent tellement qu'ils en rempliraient la Manche. C'est un liquide bien dégueulasse qu'ils se prennent dans la gueule, et nous, de même.
Ferdinand, à force de se faire (dé)gueuler dessus, contracte un dégoût pour le langage, d'où son mutisme, en Angleterre. Il est pourtant paradoxalement fasciné par la musique des mots de l'Anglaise, qu'il n'écoute que pour leur sonorité. Le rythme de la phrase de Céline est masturbatoire, éjaculatoire, jubilatoire. Céline nous invite dans la danse de l'outrance et de l'outrecuidance avec ces femmes dont les jupons se soulèvent, avec ces jambes, sonores, qui gesticulent de manière grotesque. La chanson paillarde devient de la littérature chez Céline. On retrouve de la « bite » et du « Dudule », c'est quand même incroyable ! Céline fait de la langue vulgaire une langue littéraire, et même si ça pique les yeux, c'est extraordinaire, puis c'est pas commun de voir du commun, ouais. Céline fait dans la surenchère, et ça surprend, au début. Je n'avais pas le souvenir d'une telle logorrhée, d'une telle chiasse, dans le Voyage au bout de la nuit ( l'un des titres les plus beaux de la littérature). Je l'imagine bien se dire en écrivant : «  Ils en veulent de la merde ? du vomis ? Pouah ! Voilà ! Ils ont ce qu'ils veulent ! » Céline souffre peut-être aussi de syllogomanie, cette forme d'accumulation compulsive. C'est un bordel impressionnant les boutiques qu'il décrit, et plus encore chez Courtial, où on se laisse littéralement enfouir sous les détritus et les petits trésors, les souvenirs, du patron. Ferdinand, c'est Diogène, un cynique, un de ces bonhommes qui se promène à poil et qui commettrait des attentats (à la pudeur). C'est « l'autre douteux », qu'on soupçonne sans cesse, mais douteux dans le sens de gros dégueulasse aussi.  « C'était évident que je finirais sur l'échafaud » (p.158) On fabrique de la délinquance à force de surveiller et de punir, ou parce qu'on laisse les enfants livrés à eux-mêmes. Les enfants fauchent (à) la campagne pour subvenir aux besoins de la famille. Ce roman d'apprentissage à l'éducation foireuse est quand même l'un des meilleurs que j'ai lu, même si j'ai souffert des yeux, un peu (et puis, c'est écrit tout minuscule dans la version Folio, mais quitte à souffrir, autant faire les choses à fond). J'ai souffert, mais j'ai adoré. C'est une écriture anti-hygiénique, qui gêne, qui fout la haine parfois mais qu'on aime.

P.S - S.OS : Merci de ne pas lire tout ce que j'écris pour de l'argent comptant parce que j'en dis pas mal des conneries. En plus, j'en chie pour lire du Céline.
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Un tourbillon qui vous emporte et ne vous lâche plus. Passé les quarante premières pages où on est un peu perdu, Mort à Crédit se révèle passionnant. La verve employée, l'argot, l'écriture, le ton cynique... Une écriture tour à tour pince-sans-rire, désabusée, sensible, burlesque... Et parfois tout en même temps. Un grand roman.
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"Mort à crédit c'est l'histoire d'un gamin solitaire, dans le Paris d'avant la Grande Guerre, élevé par des petits-bourgeois qui n'étaient ni riches ni intelligents ni ouverts au monde en marche, et qui se gonflaient pour paraître, pour avoir l'air de, pour ressembler aux riches qu'ils révéraient. Ce petit monde a été décrit par Céline avec une férocité, une truculence et un humour incomparables, qui sont des constantes de toute son oeuvre. On y trouvera la démonstration du fait qu'il était incapable de dissocier la représentation de la vacherie des hommes du besoin qu'il avait d'en rire, passant tout naturellement de l'horreur au grotesque de cette manière si française, dénoncée par Beaumarchais, de prendre au sérieux les choses futiles et les vraies tragédies le plus comiquement possible. On y trouvera aussi l'ineffable portrait de Raoul Marquis, dit Henri de Graffigny, ingénieur, aérostier, inventeur, écrivain prolixe, faux marquis et vrai mythomane, dont Céline a fait le très rocambolesque Courtial des Pereires. Chacun connaît le talent et la manière de Tardi, son trait si particulier et la façon dont il a déjà rendu l'atmosphère tragi-comique de Voyage au bout de la nuit et de Casse-Pipe. Il était l'homme qu'il fallait pour illustrer ce livre dans lequel Céline, à force d'outrances, a donné de la société française de son temps une image plus vraie que nature, dans ce langage vivant, moderne et vert, qui a fait scandale, mais qui vaut à Mort à crédit, bientôt sexagénaire, de n'avoir pas pris une ride et de demeurer l'un des grands romans français du XXe siècle"
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le deuxième livre publié de Céline.
Plus ou moins autobiographique cet ouvrage raconte l'enfance et la jeunesse de Ferdinand .

Et quelle jeunesse !

On suit les élucubrations de ce tout jeune homme, dont les aventures incroyables s'enchainent à folle allure.
On ne s'ennuie pas un instant, tant l'imagination de Céline déborde par tous les orifices.
Nous sommes à Paris, dans un milieu de petits commerçants sans talent donc sans beaucoup d'argent , on se retrouve en Angleterre pour un pseudo voyage linguistique et on on achève le périple dans une cambrousse perdue au milieu de nulle part.
C'est un roman plutôt noir, où le sexe, la violence physique et verbale sont omni présents.
Au delà de l'histoire rocambolesque , grotesque , dramatique, ce qui est le plus incroyable est le style de l'Ecriture.

Je n'arrive pas à imaginer comment ce livre a pu être perçu lors de sa parution en ...1936, tant l'écriture à une modernité incroyable.

Cela ne ressemble à rien d'autre que du Céline.
On est dans une façon d'écrire absolument atypique et qui me fascine complétement .
Les mots sont vomis et pourtant ils expriment avec précision ce qu'on leur demande de dire.
Et lorsque les mots manquent, Celine les invente et on comprends tout pourtant !
C'est un peu difficile au début de rentrer dans le style, mais une fois qu'on y est le texte coule comme une évidence.

On parle beaucoup de Céline et bien souvent ceux qui en parlent n'en n'ont jamais rien lu.
Céline est une vraie révolution littéraire et je pense qu'on ne peut pas aimer la littérature sans avoir eu la curiosité de le lire.
Lire Céline est une expérience et j'encourage vivement ceux qui n'y ont jamais touché à le faire.
J'ai pour ma part préféré Mort à Crédit à Voyage au bout de la nuit.




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