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sur 1710 notes
Aujourd'hui, attention, danger ! Je m'en viens vous recauser du CAS CÉLINE et ça ne va jamais tout seul. Pour Céline, il y a les pro, farouchement pro, et les anti, farouchement anti. Au milieu, un maigre contingent de personnes qui se regardent en se grattant les tempes et en ne comprenant pas pourquoi au juste tout ce vacarme autour d'un homme, d'un écrivain, qui n'était pas fait pour les laisser indifférents et qui pourtant les laisse sans opinion.

J'ai exprimé dans une critique combien j'étais fan du Voyage au bout de la nuit. J'ai exprimé dans une autre critique sur l'un de ses pamphlets combien je ne souhaitais pas me tromper de cible, ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain mais dire tout de même combien me révulsait ce que ce livre avait de révulsant à mes yeux.

Or, de tout ça finalement, je me rends compte que le débat sur l'homme prend très souvent le pas sur les débats sur le littéraire. Alors pour tâcher de trancher là-dedans, je m'en viens brandir Marcel Proust, qui, en sa qualité de " juif, pédéraste et mondain " était l'exacte image, le vivant portrait de tout ce qu'exécrait le plus Louis-Ferdinand Céline. Que dit Marcel Proust dans sa critique de Sainte-Beuve ?

« L'oeuvre de Sainte-Beuve n'est pas une oeuvre profonde. La fameuse méthode, qui en fait, selon Taine, selon Paul Bourget et tant d'autres, le maître inégalable de la critique du XIXe, cette méthode, qui consiste à ne pas séparer l'homme et l'oeuvre, à considérer qu'il n'est pas indifférent pour juger l'auteur d'un livre, si ce livre n'est pas " un traité de géométrie pure ", d'avoir d'abord répondu aux questions qui paraissent les plus étrangères à son oeuvre (comment se comportait-il, etc.), à s'entourer de tous les renseignements possibles sur un écrivain, à collationner ses correspondances, à interroger les hommes qui l'ont connu, en causant avec eux s'ils vivent encore, en lisant ce qu'ils ont pu écrire sur lui s'ils sont morts, cette méthode méconnaît ce qu'une fréquentation un peu profonde avec nous-mêmes nous apprend : qu'un livre est le produit d'un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices. Ce moi-là, si nous voulons essayer de le comprendre, c'est au fond de nous-mêmes, en essayant de le recréer en nous, que nous pouvons y parvenir. Rien ne peut nous dispenser de cet effort de notre coeur. Cette vérité, il nous faut la faire de toutes pièces et il est trop facile de croire qu'elle nous arrivera, un beau matin, dans notre courrier, sous forme d'une lettre inédite, qu'un bibliothécaire de nos amis nous communiquera, ou que nous la recueillerons de la bouche de quelqu'un, qui a beaucoup connu l'auteur. »

Je partage entièrement et j'applaudis chaleureusement l'analyse de M. Marcel Proust. Je suis de celles qui considèrent que si l'on a des choses à reprocher à la littérature de M. Louis-Ferdinand Céline — j'entends par là ses romans bien sûr et non ses pamphlets — si l'on a des choses à reprocher à la littérature de Céline, donc, il faut les lui reprocher sur le plan littéraire et non sur un quelconque autre plan. (Les pamphlets c'est tout à fait autre chose car ça se prétend développer quelque chose dans les idées et là, bien sûr, on peut et l'on doit cracher sur les idées quand elles ne nous conviennent pas.)

Je suis de celles qui admirent presque jusqu'à la sacralisation le Voyage au bout de la nuit, pourtant, j'ose prétendre que littérairement, Céline s'est trompé à de nombreuses reprises. Et c'est là-dessus qu'il convient de l'attaquer sur sa littérature si l'on souhaite l'attaquer, plutôt que sur tout autre aspect de sa personnalité.

Oui, Céline s'est trompé. Il a pensé qu'il suffisait d'un style pour faire un grand roman. Or non. le style est un ingrédient principal de la recette, essentiel même — comme la farine pour le pain — mais c'est loin d'être le seul en cause. Combien de baguettes ratées s'appuyant sur une farine d'exception ? Et même à supposer que tous les ingrédients soient parfaits, que la recette et la boulange soient admirables, il reste la cuisson, et, à elle seule, elle a le pouvoir de tout gâcher ou de tout magnifier.

Face au succès du Voyage, animé par un style il est vrai tout à fait nouveau pour l'époque et ô combien époustouflant, Céline a cru que cela suffisait or, les chiffres parlent d'eux-mêmes. Aujourd'hui, 5 janvier 2018, sur Babelio : Voyage au bout de la nuit = 13871 lecteurs, Mort à crédit = 2648 (soit moins de 20 % du précédent), D'un Château l'autre = 710 (soit 5 % du Voyage), Casse-Pipe = 490 (soit 3,5 % du Voyage). Je m'arrête ici et je ne compte que les 4 romans les plus lus de l'auteur. Constat accablant : le style est toujours là mais pas le succès. Pourquoi ?

J'ai essayé d'analyser ce que j'aimais vraiment dans le Voyage. Les trois premiers " épisodes " sont pour moi et resteront un must. (Et je pense pour des siècles.) Ce que j'entends par les " trois premiers épisodes ", ce sont premièrement les réalités concrètes du front lors du début de la guerre de 1914. le deuxième concerne une colonie imaginaire et composite d'Afrique sub-saharienne. Enfin le troisième touche à, ce que j'appelle de façon simpliste, l'Amérique.

Entre ces trois épisodes on trouve des transitions plus ou moins longues, l'une d'elle, assez longue correspondant à la vie sur l'arrière pendant la Première guerre mondiale. Mais dès le retour d'Amérique et jusqu'à la fin, excepté un bref intermède à Toulouse, tout le reste n'est qu'un seul et même épisode couvrant plus de la moitié du roman, ayant lieu en proche banlieue parisienne et s'étalant sur une dizaine d'années (un peu plus, un peu moins, on ne sait pas trop).

Or, quand je parle un peu autour de moi, je m'aperçois que tous ou presque, parmi ceux qui ont apprécié le roman, gardent un souvenir ému des trois fameux premiers épisodes et que peu me parlent de la suite. (L'explosion du clapier à lapin, le meurtre de la vieille, les affaires de coeur de Robinson, etc.) Peut-être est-ce justement dû au fait que l'auteur a fait un effort de concision, de symbolisation plus marqué pour ces épisodes qui correspondaient à une réalité vécue par lui depuis plus longtemps.

Tandis que l'autre, la banlieue, il la vivait encore lors de l'écriture et ça se sent, ça se vit, ça s'éprouve… On sent le marasme, le gris, la noirceur, la suffocation du quotidien, plein la figure à longueur de pages. Peut-être a-t-il moins condensé cette partie, peut-être aurait-il dû, qui sait ? Peut-être Gaston Gallimard avait-il raison lorsqu'il a refusé le manuscrit prétextant qu'il fallait faire des coupes ?

Je ne suis pas capable de répondre, je ne fais que constater les effets de l'oeuvre sur ma propre jouissance de lecture et je constate qu'elle est superbe et maximale pour les trois épisodes en question et qu'elle a décliné par la suite, notamment dans le dernier quart du roman. C'est tout, rien de plus.

Toutefois, j'ai pu interpréter un peu mieux mon ressenti en lisant l'essai (assez ardu à lire, j'en conviens mais très intéressant) de Mikhaïl Bakhtine qui s'intitule Esthétique de la création verbale. Dans cet essai, le critique analyse le rapport de l'auteur à son héros et cela m'a permis de comprendre ce qui me plaisait moins dans la fin de roman et qui me semble différent dans les fameux trois épisodes.

Le personnage de Robinson, qui devient prépondérant justement dans cette fin de roman m'apparaît être une béquille maladroite. Il n'a aucune épaisseur, ce n'est qu'un dédoublement de Bardamu ayant pour unique fonction de permettre à Bardamu de continuer d'exprimer son jugement. Je dirais même que tout est un dédoublement de Bardamu dans la longue partie parisienne.

On voit Bardamu, on entend Bardamu, on parle Bardamu, on perçoit Bardamu et à propos de quoi ? de Robinson, qui n'est autre qu'une image affadie de Bardamu dans un miroir. Bardamu devient le castelet dans lequel les pantins jouent leurs scènes, or de pantins il n'y en a qu'un, et c'est Robinson. D'où mon manque d'intérêt dans cette partie et que j'ai revécu ici dans Mort à crédit même si Bardamu ne s'appelle plus Bardamu mais simplement Ferdinand.

Dans les trois épisodes sus-mentionnés, c'est Bardamu le pantin qui s'agite dans un décor donné et là c'est intéressant, captivant, même. Car au fond, le style de Céline fait des merveilles quand il veut dynamiter un système, c'est-à-dire quand il tient un propos résolument anarchiste. Par la suite, quand il essaie de devenir petit bourgeois (car qu'est-ce d'autre qu'un médecin dans la société d'alors ?), il y a dissonance selon moi.

C'est là qu'il s'est trompé, tel que je le comprends, sur ce qui faisait son succès. Il pensait que c'était son style or c'était une combinaison entre style et propos. Quand le propos change, qu'il cesse d'être anarchiste pour devenir un peu geignard, pour dire que tout est mal et que tout va mal et bien je m'ennuie. Ici, dans Mort à crédit, l'auteur a poussé son style jusqu'à l'outrance, dans le but de taper encore plus fort, de marquer encore plus les esprits mais, hormis les vrais aficionados de Céline, ça fait globalement flop ! car un roman c'est plus que ça, beaucoup plus que ça.

Alors quand ici, l'auteur essaie de nous intéresser à ses jeunes années, il n'y a pas vraiment de propos particulier, si ce n'est : « écoutez-moi vous parler de moi-même quand j'étais petit, comment je suis devenu l'extraordinaire moi-même, sordide parmi les sordides, tous plus sordides les uns que les autres dans mon petit théâtre sordide. » Les scènes pléthoriques de premières expériences professionno-sexuelles dans Paris, le voyage linguistique à Folkestone, les parents, le long passage avec le pseudo-journaliste pseudo-inventeur Courtial des Pereires (alias Henry de Graffigny dans la réalité), le chanoine, les patates en Picardie etc., etc., etc., etc. Quel ennui malgré le style : je n'en retire rien. Pas même franchement un plaisir à la lecture, malgré le style je le répète. C'était donc bien l'anarchisme du Voyage que j'aimais, pas le nihilisme glauque exubérant, ventripotent développé dans Mort à crédit.

Car ici, quant au style, y a rien à dire sur le style, rien à reprocher au style, c'est du Céline meilleur cru, c'est toujours aussi féroce, toujours aussi puissant, mais c'est sur l'organisation et les fins du roman que je m'interroge surtout. Ce n'est finalement rien beaucoup plus qu'une succession d'anecdotes creuses, plus ou moins réelles, plus ou moins retouchées, beaucoup retouchées même, dans le but d'être encore un peu plus glauques, encore un peu plus outrées, car Céline met toute la gomme, il pense que c'est là que réside son succès alors il en rajoute, il en fait des tonnes, devient baroque : ça lui suffit pas, il en remet un petit coup jusqu'à patauger franchement dans le rococo, la turgescence… et, pour moi, l'overdose.

Car voilà, ces successions d'anecdotes vraiment pas sensationnelles en soi, présentées à peu près de façon chronologique, en ayant délayé au maximum là où il aurait peut-être mieux valu faire réduire le potage pour n'en garder que la quinte essence, eh bien oui, malgré tout le respect que j'éprouve pour ses talents de maniement de la langue, je ne trouve pas ça très captivant, dès qu'on sort de l'examen du style, et encore.

Est-ce qu'un roman n'est qu'un exercice de style ? Les gens qui admirent l'Oulipo vous répondront peut-être que oui, mais moi en tout état de cause, je vous dis non. Et ma conclusion de tout ça, tout bien pesé, c'est que l'ami Céline fut sans doute sans le savoir le premier, tout premier représentant de l'Oulipo, sans le savoir, sans le vouloir, il aurait crié que non, surtout pas, mais en fait si.

Dans les trois épisodes du Voyage qui m'ont tant plu, il y avait une condensation, une synthèse, une digestion de l'information. Il ne s'étalait pas sur des pages et des pages d'une logorrhée basse densité. Tout était percussion, tout était impact et tout faisait mouche mais en fait, je crois que c'est un peu par hasard, parce qu'il voulait dire ça en passant avant d'arriver à sa conclusion. Or sa conclusion nous est égale et c'est le " en passant " qui nous captive. Dès qu'il ne fait plus du " en passant " (c'est-à-dire en synthétisant sa perception sur un phénomène plus vaste que lui-même), je m'y ennuie et ce malgré le style, malgré les fulgurances.

Bien entendu, ce n'est là qu'un avis, un simple petit avis, plus critiquable plus insignifiant peut-être que jamais. Pas grand-chose, soyez-en certains.
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L.F.Céline était il :
Un écrivain de génie ?
Un antisémite pathologique ?
Un anarchiste pacifiste ?
Un salaud geignard ?
Un humaniste amer ?
Vaste débat, jamais terminé.
A mon humble avis, il était un complexe mélange de tout cela.
Ce qui se ressent dans ses écrits.
"Mort à crédit", est mon roman préféré de Céline. On y trouve une sorte de synthèse du fameux style si particulier.
Dans ce roman, l'auteur raconte son enfance, sa prime jeunesse.
Cela donne lieu à quelques morceaux d'anthologie.
Et met en scène une galerie de personnages inoubliables, des parents de Céline, petits bourgeois besogneux toujours paniqués par l'avenir, à l'extravagant Henri de Graffigny, inventeur, éditeur, culturiste.
Tout ce monde, sous la plume exceptionnelle de Céline, s'agite contre vents et marées, dans une sorte de combat perdu d'avance.
J'ai la chance, de posséder l'édition illustrée par Tardi, publiée conjointement par Gallimard et Futuropolis en 1991, et vous savez quoi, si je ne devais conserver qu'un seul livre (choix déchirant !), je crois bien que ce serait celui là !
Ps :L.F Céline, a écrit sept versions de "Mort à crédit "avant de choisir la définitive, ses plus féroces détracteurs ne peuvent lui enlever ça :il n'était pas feignant.
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SBN : 9782070376926

Sur un plan purement technique et bien qu'il soit le second roman de son auteur, "Mort A Crédit" précède le "Voyage Au Bout de la Nuit." Tout simplement parce qu'il effectue un retour, sacrément pimenté, sur l'enfance et l'adolescence du jeune Louis - Ferdinand. Pimenté et sans pitié. L'essentiel de la haine que Céline portera en lui toute sa vie contre l'Autorité et toutes les figures qui la symboliseront, sa volonté farouche de provoquer, fût-ce parfois pas très intelligemment, tout ça y trouve ses racines, tordues, énormes, difformes même pour certaines. Mais les plantes qu'elles donnent sont si belles ...

Comme il le fera plus tard dans "Guignol's Band", pour lequel Denoël vint le voir en lui disant, accablé : "Mais on n'y comprend rien !", Céline déstabilise son lecteur dès le début en l'emportant dans une sorte de délire où se mélangent des bribes et des bribes - réelles ou rêvées ? - de sa vie. Si on n'avait peur de le vexer au Paradis des Ecrivains de Génie Les Plus Haïs Par Les Crétins Redondants, on évoquerait volontiers la tornade diabolique qui, dans le Kensas de Franz Baum, emporte la petite Dorothy au Pays d'Oz. Seulement, avec Céline, la petite Dorothy, c'est vous, c'est moi, c'est tout lecteur digne de ce nom, et le Pays d'Oz, bien sûr, c'est le Pays de Céline. Seul point commun entre les deux : s'il y a des monstres à Oz, il y en a aussi chez Céline mais alors, ceux-là, franchement, faut pas les faire voir à n'importe quelle petite tête blonde - même de nos jours, avec Internet, Hollande et Valls à la télé et tout ça ...

D'abord, y a les parents de Céline. le Père, le Géniteur. Raide, digne, ayant voué sa vie aux assurances (quel beau mot ! ) et aux comptes (quel beau mot aussi, pour certains ! ),trimant en vain pour une augmentation que pourrait lui apporter la maîtrise de le technique, toute neuve, de la dactylographie - maîtrise que, bien entendu, il n'arrive pas à acquérir. Les descriptions du père Destouches, Le Normand, face à cette foutue machine à écrire dernier cri (et à l'époque, croyez-moi, c'était encore pire que les toutes dernières épaves à frappe mécanique qu'il nous arrivait encore de dénicher, dans les années quatre-vingt, dans telle ou telle antique officine, chez les huissiers par exemple, ces monstres qui, par ailleurs, avaient le mérite de vous faire des doigts d'acier, dignes de Robocop en personne ), peintes par l'encre empoisonnée de son rejeton, sont tout simplement épiques. Surtout que le type est plutôt costaud, la machine aussi et qu'ils finissent par en arriver tous les deux aux ... ma foi, comment dire ? ... aux mains et aux touches ! Et tout cela, bien sûr, par la faute de notre Ferdinand qui fait rien qu'énerver son père, ce fils indignement dégénéré !

J'ai eu la chance - si l'on peut dire - de connaître un père du même modèle dont le plaisir le plus merveilleux était, outre de "corriger" son fils à la ceinture (parfois pour rien de valable, d'ailleurs), de l'insulter, de le traiter de tous les noms, de lui prédire un avenir de poubelle, bref, de le rabaisser systématiquement et en le piétinant avec frénésie pour faire bonne mesure. Ce genre de choses - ce type de pères met d'ailleurs un temps incroyable à le comprendre - ça ne peut pas durer éternellement. le jour arrive où le "petit", brusquement devenu aussi grand et aussi costaud, vous rend la politesse avec tous les raffinements du genre. C'est le jour, fameux entre tous, où le Fils "tue" le Père - le jour où, dans "Mort A Crédit", Céline "tue" enfin son Géniteur.

Mais il a beau être Céline, il est comme tous les ados, comme tous les enfants que nous avons été : il "tue", oui, mais il le fait autant par légitime défense que par vengeance et si la rage lui vrille le coeur, ce même coeur verse aussi ses ultimes larmes sur le Père qui aurait pu être - et qui n'a pas été, qui ne sera jamais. Cela se passe au dernier tiers du livre et c'est d'une beauté, d'une grandeur, ça véhicule une émotion si intense que l'on ne parvient pratiquement pas à en dire plus.

Et puis, comme l'eût chanté Brel, et puis, il y a la mère. Bretonne, elle et "calancheuse." On ne sait pas très bien ce qui est à l'origine de sa boiterie mais une chose est sûre : cette femme est de la race de ces mères, bretonnes ou pas, qui sont plus des épouses que des mères. Oh ! Elle n'est pas dure avec son fils, elle l'aime, à sa manière. C'est-à-dire qu'il doit s'incliner devant le Père-Roi, le Père-Qui-Sait-Tout, le Père-Brutal, le Père-Monarque-du-Ceinturon, qui envoie valdinguer la mère autant qu'il envoie valdinguer son fils mais qui est "le Chef", l'"Autorité." Mme Destouches appartient aussi à l'espèce, si dérangeante et qui m'a toujours donné envie de vomir (oui, des mères comme ça, j'en ai bien connu aussi, toutes les chances, on vous dit !) de ces femmes qui donnent toujours, en pleurnichotant bien fort, tort à leurs enfants et raison à leur mari (ou compagnon). Si le jeune Céline se fait battre, même pour pas grand chose et dans des proportions que ne mérite pas la sottise qu'il vient de faire, c'est sa faute. Son père le bat, son père l'insulte, son père le rabaisse, son père le serpilliérise, son père le piétine, son père lui fendrait la colonne vertébrale, oui, bien sûr mais attention : POUR SON BIEN.

C'est beau, quand même, l'amour d'une femme pour son époux, hein ?

Et puis, Mme Destouches, elle adore faire toujours plus qu'elle ne devrait en faire - notamment à cause de sa jambe. Est-elle née avec une mentalité de martyre ou est-ce un acquis de l'existence ? Perso, je dirai un mélange des deux - et c'est incurable . le spectacle est outrancier, pitoyable, émouvant, on a pitié d'elle tout en ayant envie de lui flanquer des rafales de gifles et de la ligoter sur son lit pour qu'elle se repose enfin, et cet amour qu'elle a pour SA souffrance, SON statut d'épouse et de mère parfaites (du moins le croit-elle), franchement, ça m'a donné je ne sais trop combien de fois l'envie de gerber.

Petits bourgeois sans grande intelligence et sans un seul atome d'imagination, momifiés vivants dans leurs certitudes que la terre est plate et que le Soleil tourne autour, convaincus, à chaque mois qui passe, qu'ils ont donné le jour à un enfant quasi démoniaque ou qui, en tous cas, causera leur perte, jamais ils n'essaient de comprendre le phénomène que, pénomènes eux-mêmes, ils ont mis au monde. Ferdinand a toujours tort, Ferdinand est un misérable, Ferdinand ne sait plus quoi inventer, Ferdinand est impossible, Ferdinand finira, qui sait ? sur l'échafaud. (C'est très bien : comme ça, pour une fois, il donnera enfin raison à ses parents. ) Pour le petit garçon, ça allait un peu mieux du temps de la grand-mère Caroline - sa grand-mère maternelle - la seule, avec l'oncle Edouard, le frère, lui, du côté là encore maternel, non seulement à vouer à l'enfant une affection sincère mais toujours prêts à le faire vivre et à le laisser vivre tout en lui indiquant les garde-fous nécessaires. Mais grand-mère Caroline meurt trop tôt.

C'est le lot des bonnes grands-mères. Vous avez connu, vous aussi ? Elles font ce qu'elles peuvent pour vous et puis, elles sont obligées de partir et de vous laisser au milieu des monstres du Pays d'Oz - ou du Pays de Céline ... ou de votre propre Pays. N'empêche : elles vous insufflent l'une de ces forces morales qui jamais, quelque piège que vous tendent vos chers parents, ne vous quittera ... Merci à vous, grands-mères ! ;o)

Vous décrire la mort de la grand-mère Caroline, les si belles pages que Céline le Cynique, l'Affreux, le Collabo, le Calomnié, le Haï, le Génie, dédie à cette femme, serait inutile : pour mieux comprendre un tout petit morceau du puzzle Céline, mais un morceau décisif, il vous FAUT les lire.

Heureusement qu'il reste l'oncle Edouard. L'oncle Edouard aime sa soeur (en toute justice, le jeune Ferdinand lui aussi préfère sa mère à son père car il voit bien l'état lamentable dans laquelle elle se met, poussée à la fois par sa triste existence et aussi par les failles de son caractère, et puis, une mère, on n'en a qu'une : c'est bien ça, le problème ! Et un foutu problème de merde ! Lâchons-nous, oui : vous verrez, si vous ne l'avez déjà expérimenté et si vous êtes un minimum au-dessus de la moyenne : le seul Véritable Problème qu'on a dans Sa Vie, c'est sa Mère : bonne, on s'effondre quand elle n'est plus là et tout n'est plus que douleur ; mauvaise, on s'effondre aussi car ses coups et les affrontements, verbaux ou physiques, avec elle, vous manquent tout aussi douloureusement - fin de l'aparté, les potes, on passe à autre chose ou on essaie, capice ? ) mais il aime aussi son neveu dont il devine la sensibilité, l'originalité profonde et l'intelligence non moins réelle d'enfant probablement surdoué sous ses airs de cancre buté.

Après l'"héneaurme" bagarre avec le Père-Géniteur, l'Oncle Edouard confie son neveu comme apprenti à l'un de ses amis, un drôle de type, à vrai dire, le Courtial des Pereires, une véritable encyclopédie vivante, qui joue aux courses, mène une vie de bâton de chaises, dirige une revue, "Le Génitron", traitant de toutes les inventions possibles et imaginables, prône le plus léger que l'air, fait des excursions, tout à fait accablantes en ballon et qui, peu à peu, sans que l'un ou l'autre en ait pleinement conscience, devient, en quelque sorte, le "Père spirituel" de Ferdinand.

Oui, ça aussi, on a connu. Enfin, les plus chanceux d'entre nous. Là aussi, j'en étais (Eh ! Quand on s'est farci tous les autres, on a tout de même le droit d'avoir un père spirituel, non ? ). Vu mes repères personnels, je ne puis dire que Courtial des Péreires - dont ce n'était d'ailleurs pas le vrai nom - était un saint, pas même un exemple fabuleux à suivre. Mais il avait ce truc ... Ce truc merveilleux : l'imagination, le rêve, ce désir de s'allonger dans l'herbe et de contempler les étoiles, la curiosité de savoir ce qu'il y avait au-delà ... Voilà : il voulait toujours apprendre, toujours en savoir plus. Sur l'univers, sur soi même - pas sur ses voisins.

L'influence, sur Céline, de cet homme à la fois si brillant et si exaspérant, si irresponsable et si égoïste envers sa femme et pourtant si aimant et si aimable, sera si décisive que son décès (ou plutôt son suicide) poussera le tout jeune homme à s'engager. L'Oncle Edouard lui conseille bien de ne pas agir sur un coup de tête mais ce n'est pas possible. D'ailleurs, nous sommes encore en 1911 et personne ne peut savoir que, trois ans plus tard ...

Les trois coups vont sonner pour le "Voyage au Bout de la Nuit", pour la vie d'homme de Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline. Il a "tué" son Géniteur qui, d'ailleurs, ne l'aimait pas et même, redoutait son étrangeté, tout ce qui ne cadrait pas avec sa raideur, avec ses certitudes d'homme bien-pensant. Et son Père spirituel, lui, s'est tué parce qu'il n'en pouvait plus. La Vie n'est pas tendre, elle est cynique, elle aime ça, le cynisme ... et pourtant, avec tout son cynisme et ses grimaces affreuses, avec toutes ses douleurs et ses injustices apparentes, elle nous apprend tant de choses. Si elle ne nous brise pas, elle nous fortifie à jamais.

C'est ce qu'elle a fait pour Céline. Dans le fond, Céline, la Vie l'a beaucoup aimé. Mais quand il a saisi la comédie qu'elle lui avait jouée, il était entré dans une autre Vie. Sûr, qu'il a dû être vachement étonné. Sûr aussi qu'il a dû s'en payer une sacrée tranche en comprenant l'astuce. Faites comme lui : lisez "Mort A Crédit" et, par pitié, réservez toute une étagère à son auteur. Oubliez les libelles où il aurait mieux fait de fermer sa grande gueule et ne prêtez l'oreille qu'à l'écrivain qui pense, réfléchit et se dit quand même : "Non, arrête, Ferdinand : là, t'es plus Céline. Alors, écris et fais pas de la politique. Surtout que, si, question écriture, tu sais sacrément bien tricher, question politique, t'es fin nul.";o)
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J'hésitais à relire « le voyage », j'ai ouvert « mort à crédit » en édition Folio. Mais que c'est écrit petit...! Comme le texte déjà concentré est dense ! Alors j'ai recherché la version illustrée par Tardi, avec des dessins du même charbon que le texte.

Céline, son enfance, il la raconte grise avec un soleil si moche qu'on l'éclipse, son humanité est sombrement décrite.

Quelle densité dans le texte avec sa foultitude de vomissures de mots à lire à voix haute. Je l'ai lu doucement comme on déguste un petit Lu par ses 4 oreilles avant ses 48 dents, sachant que de scénario point.
Quelle logorrhée ! Comme Coltrane, à l'Olympia en mars 1960, débutait le free jazz et se faisait siffler, Céline fait dans la free littérature.
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Attention chef d'oeuvre !

Après le Voyage au Bout de la Nuit, Louis-Ferdinand Céline abandonnait Bardamu mais gardait Ferdinand pour nous accompagner dans les recoins sombres du Paris et du Londres de son enfance. Il affirmait son style décapant et imagé pour nous délivrer ce fruit d'un labeur de plusieurs années qui reste une de ses toutes meilleures productions.

Si vous n'avez jamais ouvert un livre de Céline (il vaut mieux en laisser certains fermés) les premières pages de Mort à Crédit vous diront tout de suite à quel génie vous avez à faire. Les réflexions sur la mort de Madame Bérenge comptent parmi les plus belles pages de la littérature française.
Vous suivrez ensuite les péripéties de Ferdinand, de son enfance au passage Choiseul jusqu'à son désir de rentrer dans l'armée. Ce livre devait constituer le début d'une trilogie "Mort à Crédit - Casse-Pipe - Guignol's Band" dont le second volet n'a jamais été terminé. Je vous invite à lire, si vous souhaitez en savoir plus sur l'auteur, sa vie, ses choix, l'excellent "Céline", d'Henri Godard.

Sans rentrer dans le détail des mésaventures de Ferdinand, j'insisterai sur le sentiment jouissif que procure la lecture de ce livre et sur l'étendue du talent de son auteur. Céline sait se faire drôle, haletant, émouvant, profond, ordurier... On ne sait jamais vers quelle rive il va nous emporter avec sa galerie de personnages et d'aventures.

La Méhon qui colle son papier sur la vitrine de la boutique du passage Choiseul lorsque le père raconte ses histoires à un public de plus en plus dense, Courtial qui disparaît des jours dans sa cave pour échapper aux créanciers, Madame Divonne qui, de commerce en commerce, vient pleurer sur les proches décédés des commerçants dans l'espoir d'avoir un peu plus de nouilles, et bien d'autres personnages tout à la fois désespérément humains et hors du commun vous accompagneront au long des six cents et quelques pages de ce monument joyeux, cynique, et volontiers ordurier.

Il faut lire Céline comme on goûte une petite tasse de thé bien chaud, parfois brûlant, au coin d'une cheminée, par petites gorgées. Ou pas. Mais il faut lire Céline.
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J'ai retrouvé le Céline que j'avais adoré dans "voyage au bout de la nuit" , mais ici tout est poussé à l'extrême : son écriture atypique, la violence, le sordide du propos...j'ai eu quelquefois l'impression que Céline jouait la surenchère, trop c'est trop...et pourtant ce livre est fascinant, son charme exceptionnel. Il ne détrônera pas le "voyage..." dans mon panthéon mais restera pour moi un monument de la littérature française...à lire absolument.
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Autant que Balzac, Céline aurait pu appeler l'ensemble de son oeuvre "La comédie humaine". Y 'en a pour tout le monde, braves gens ne vous battez pas : parents hystériques,bourgeois mesquins,commerçants malhonnêtes,cantatrice psychédélique (avant l'heure), inventeurs mythos, directeurs d'école ratés, anglaises aux dents longues, et j'en passe. Heureusement qu'au bout du compte le tonton sauve l'affaire et nous réconcilierait presque avec le genre humain.
Et fichtre, quelle margoulette, quelle richesse de vocabulaire ! Il m'aurait fallu un dico à certains moments, genre "la méthode à Mimile".... Emporté par un rythme dément, on ressort ahuri, époumonné, bluffé, confondu, au bout de 600 pages qu'on n'a pas vu passer.
Un bémol toutefois : on a parfois l'impression que Céline s'auto-parodie tellement il en fait, et ce surtout dans les quarante premières pages. Si j'osais je comparerai à... Proust (si si) : c'est le début qui est dur, une fois rentré dedans on ne peut plus lâcher. J'ai beaucoup aimé, même si j'ai préféré "Voyage au bout de la nuit" que je trouve plus analytique sur cette fameuse condition humaine justement.
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Ce deuxième roman de Céline, paru après "Voyage au bout de la nuit", a le mérite de révéler le véritable style célinien. L'auteur l'a, d'ailleurs, lui-même reconnu: dans le "Voyage", son écriture restait encore relativement classique, malgré un certain nombre de cassures et de dissonances. Avec "Mort à crédit", la rupture s'affirme et s'affiche clairement, non sans provocation: phrases courtes, souvent nominales, reliées entre elles par les fameux trois points de suspension, rythme haché, saccadé, emploi fréquent d'assonances et d'allitérations... Céline utilise la langue bien plus à la façon d'un poète que d'un romancier. C'est en cela, me semble-t-il, qu'il est unique et qu'il est un des plus grands auteurs du XXe siècle! Sa voix est à jamais inoubliable.
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On remonte dans ce roman autobiographique aux origines de la dette mais le crédit et la mort sont tournés , par définition, vers l'avenir. C'est « l'avenir à crédit », selon la Vitruve, celle qui prédit le futur pour se faire un peu d'argent, qui abuse de la crédulité des gens. Le médecin fait aussi son commerce en s'appuyant sur la superstition populaire. On rencontre des malades qui se fabriquent leur mort. On apprend de manière optimale comment contracter des ardoises, au débit de boisson, ou par et pour le jeu, on mise sur les courses ou on apprend comment faire des investissements foireux. Ferdinand assiste à la mort du petit commerce qui souffre des évolutions, qu'on ne peut suivre. Le commerce de ses parents, c'est une boutique de vieilleries, et on arpente les rues comme des cloportes clopinants, une clope au bec, pour colporter la mort, du bric à brac invendable. Courtial des Péreires, son maître, mise sur les évolutions, lui, mais le visionnaire l'est un peu trop. Les promesses ne valent plus rien, on ne rend jamais le capital, ni la somme empruntée ni les intérêts. Le crédit, c'est basé sur la confiance à la base mais ça devient de la défiance dès la mort du crédit. On se fait même bien pigeonner, et les pigeons se noient dans un sac comme des petits chatons ou comme des petits chiots ou bien ils se font bouffer. On essaie de réduire les dépenses, on se serre la ceinture, on souffre de malnutrition, c'est l'austérité. S'il y a une rentrée d'argent, on le dépense en débauche, à s'en faire vomir. C'est une richesse fictive, parce que c'est de l'argent qui se bouffe tout seul. C'est alors la dépression. En fait, ce bouquin, c'est l'économie pour les nuls.
Les personnages ne sont ni solvables ni sortables. Le père écrit à son fils qu'il sera « plutôt à charge qu'à crédit, le jour où se régleront [l]es comptes » (p.61) Les parents passent « quarante ans toujours ensemble à se suicider ». L'enfant Ferdinand se voit comme une charge, un poids, un boulet. Quand il pense à sa mère qui se tue à la tâche, pour la tache qu'il est, ou plutôt qu'on lui dit qu'il est, il se dit qu'«  elle a tout fait pour que je vive, c'est naître qu'il aurait pas fallu » (p.56) Il se sent coupable. Quand le père l'engueule, c'est le déluge, un mélange diluvien d'eau, de salive, de sueur, de sperme, de merde et de vomis. Le motif du déluge revient et il faut le sentir ce désir du père, ce bateau tempétueux, de prendre la mer, de mettre les voiles, parce que tout fout le camp. C'est assez mythique cette traversée en bateau, où ils dégueulent tellement qu'ils en rempliraient la Manche. C'est un liquide bien dégueulasse qu'ils se prennent dans la gueule, et nous, de même.
Ferdinand, à force de se faire (dé)gueuler dessus, contracte un dégoût pour le langage, d'où son mutisme, en Angleterre. Il est pourtant paradoxalement fasciné par la musique des mots de l'Anglaise, qu'il n'écoute que pour leur sonorité. Le rythme de la phrase de Céline est masturbatoire, éjaculatoire, jubilatoire. Céline nous invite dans la danse de l'outrance et de l'outrecuidance avec ces femmes dont les jupons se soulèvent, avec ces jambes, sonores, qui gesticulent de manière grotesque. La chanson paillarde devient de la littérature chez Céline. On retrouve de la « bite » et du « Dudule », c'est quand même incroyable ! Céline fait de la langue vulgaire une langue littéraire, et même si ça pique les yeux, c'est extraordinaire, puis c'est pas commun de voir du commun, ouais. Céline fait dans la surenchère, et ça surprend, au début. Je n'avais pas le souvenir d'une telle logorrhée, d'une telle chiasse, dans le Voyage au bout de la nuit ( l'un des titres les plus beaux de la littérature). Je l'imagine bien se dire en écrivant : «  Ils en veulent de la merde ? du vomis ? Pouah ! Voilà ! Ils ont ce qu'ils veulent ! » Céline souffre peut-être aussi de syllogomanie, cette forme d'accumulation compulsive. C'est un bordel impressionnant les boutiques qu'il décrit, et plus encore chez Courtial, où on se laisse littéralement enfouir sous les détritus et les petits trésors, les souvenirs, du patron. Ferdinand, c'est Diogène, un cynique, un de ces bonhommes qui se promène à poil et qui commettrait des attentats (à la pudeur). C'est « l'autre douteux », qu'on soupçonne sans cesse, mais douteux dans le sens de gros dégueulasse aussi.  « C'était évident que je finirais sur l'échafaud » (p.158) On fabrique de la délinquance à force de surveiller et de punir, ou parce qu'on laisse les enfants livrés à eux-mêmes. Les enfants fauchent (à) la campagne pour subvenir aux besoins de la famille. Ce roman d'apprentissage à l'éducation foireuse est quand même l'un des meilleurs que j'ai lu, même si j'ai souffert des yeux, un peu (et puis, c'est écrit tout minuscule dans la version Folio, mais quitte à souffrir, autant faire les choses à fond). J'ai souffert, mais j'ai adoré. C'est une écriture anti-hygiénique, qui gêne, qui fout la haine parfois mais qu'on aime.

P.S - S.OS : Merci de ne pas lire tout ce que j'écris pour de l'argent comptant parce que j'en dis pas mal des conneries. En plus, j'en chie pour lire du Céline.
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Je vous avais parlé dans le bilan de Novembre d'un documentaire que j'avais vu avec beaucoup d'intérêt sur Arte concernant Céline, documentaire qui avait retenu mon attention car je connaissais peu de choses sur ce
"scandaleux" écrivain, connu et marqué du sceau de l'infamie pour ses propos et actions antisémites mais dont j'entendais de temps à autres également beaucoup d'éloges sur l'écriture entre autres par Patrice Lucchini, grand admirateur et, ce que j'ai découvert dans le documentaire, ami du couple Destouches (nom de ville de l'écrivain).

J'ai deux livres de Céline dans ma PAL : Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit. J'ai choisi ce dernier parce qu'il raconte l'enfance de Ferdinand Bardamu, "héros" du Voyage au bout de la nuit, roman qui fut couronné par le prix Renaudot et que j'aime bien prendre les choses chronologiquement partant du principe que l'enfance explique ou annonce beaucoup sur le devenir d'un humain.

Et là je découvre une écriture faite de courtes phrases, très rythmées qui vont construire pendant 623 pages un récit hallucinant. Tout commence par le délire de Ferdinand adulte, médecin, revenant sur son travail de médecin, de sauveur des pauvres et indigents, des rebus de la société. Je ne comprenais pas grand-chose à part qu'il semblait vouloir s'offrir le visage du défenseur des pauvres et opprimés. Puis Ferdinand enfant fait son entrée, au début du XXème siècle, avec la gouaille du poulbot parisien, au langage cru et imagé, racontant le milieu d'où il vient, ses parents, sa mère courage tenant un commerce de frivolités féminines (dentelles et fanfreluches) et son père, agent aux assurances La Coccinelle, en butte à l'arrivée du modernisme avec le passage de l'écrit à la frappe sur machine à écrire (d'où des soirées délirantes d'apprentissage dans le grenier et que je me suis amusée à transposer à notre époque avec la découverte de l'ordinateur ou d'internet...).

Après maints déboires et aventures à la fois parentales, professionnelles et personnelles de Ferdinand marquées par la déchéance et pauvreté progressives de chacun souvent sauvées in-extremis par la grand-mère maternelle ou l'oncle Edouard (le bon samaritain), Ferdinand est envoyé en Angleterre en pension pour apprendre une langue qui lui ouvrirait les portes d'un avenir florissant mais également pour l'éloigner d'une sombre histoire d'escroquerie dans laquelle il est impliqué et se dit innocent. Une fois de plus cela va tourner vinaigre et peu à peu la pension va sombrer dans la déchéance après l'arrivée d'un collège aux méthodes plus conventionnelles. Ferdinand porterait-il la poisse ?

Retour en France et grâce à l'oncle Edouard (celui-là il y a qu'à demander il a toujours une solution) il va être embauché (sans salaire) par un personnage facétieux, Roger-Marin Courtial Des Pereires (Courtial ou Des Pereires pour les intimes) un inventeur jamais en mal d'une invention, d'un projet ou d'un voyage en ballon pour sortir sa petite entreprise de la faillite, faillite en partie due à son goût des paris hippiques dans lesquels il dilapide le peu qu'il possède. Une fois de plus cela va tourner au vaudeville et même au drame, devant quitter Paris avec femme et apprenti pour éviter créanciers, inventeurs floués et se retrouver au vert pour se lancer dans la culture des pommes de terre avec une invention révolutionnaire : l'agriculture radio-tellurique et une pension pour enfants (idée géniale pour avoir de la main-d'oeuvre gratuite) ayant besoin d'une vie au grand air ! Que ce soit à Paris ou à la campagne, les Des Pereires et Cie vont tomber de Charybde en Scylla pour finir dans un final dont on ne sait si on doit le considérer comme tragique ou ubuesque....

Les personnages féminins sont ceux pour lesquels il a le plus de respect : sa grand-mère qui les sauvera d'une faillite, sa mère-courage qui malgré sa boiterie traversera par tous les temps Paris et sa province pour trouver trois francs six sous, pour Irène Des Pereire qui trouvera toujours un moyen pour soutenir les entreprises désastreuses de son mari sans pour autant fermer les yeux sur ces vices sans oublier les prostituées qui apporteront réconfort dans les moments difficiles.

Je dois avouer que j'ai trouvé ma lecture assez vertigineuse dans le sens où dans un premier temps le style m'a déconcertée. Je pensais que cela allait évoluer au fil du temps, Ferdinand prenant de l'âge mais non jusqu'au bout l'écriture a gardé le même ton mêlant propos orduriers, délires et hallucinations mais également des propos (ou idées) que j'ai trouvés très actuels ou dans l'air du temps présent comme le retour à la terre. Mais j'ai tenu bon le gouvernail et j'ai réussi à suivre Ferdinand (Bardamu, Céline ou Destouches.... désolée mais on ne sait plus qui tient la plume finalement) jusqu'au bout dans son délire même si j'ai eu envie de l'abandonner à son triste destin à plusieurs reprises car son style fouillé me lassait par moments.

J'ai aimé finalement mais je n'irai pas jusqu'à dire que j'ai beaucoup aimé car ce fut un peu laborieux pour les raisons indiquées ci-dessus.  J'aurai préféré qu'il ne s'attarde pas dans les milles détails de son enfance qui offrent certes un panorama du Paris de l'époque, avec ses petits commerces, ses débrouilles et la vie misérable de certains de ses habitants, une écriture qui finalement fait jaillir les images?  une écriture qui peut se révéler presque un scénario de film tellement tout y est. Mais j'ai eu du mal avec Ferdinand qui ne nous épargne aucun de ses troubles que ce soit la "merde" dans sa culotte, ses vomissements et nausées, son argot pas toujours compréhensible, ses activités nocturnes personnelles en solitaire ou avec ses compagnons d'infortune, ses idées farfelues et son rôle d'innocent brinquebalé par les mésaventures des autres. Mais je reconnais à l'auteur le mérite de tenir de bout en bout son récit, jusqu'à l'écoeurement parfois, tant il n'épargne au lecteur aucun des détails de sa triste jeunesse.

"On avait si hâte d'arriver que je faisais dans ma culotte... d'ailleurs j'ai eu de la merde au cul jusqu'au régiment tellement j'ai été pressé tout le long de ma jeunesse. (p48)"

Je ne dirai pas que je vais devenir une inconditionnelle de Céline mais je lirai Voyage au bout de la nuit pour savoir comment Bardamu va se transformer (de ce que je sais) en être immonde et parce que je ne veux et peux juger un auteur qu'après avoir lu ses écrits et veux différencier l'écrivain et son oeuvre, de l'homme et de ses idées. Je vous parlerai prochainement d'un très beau livre illustré revenant sur son exil au Danemark après la seconde guerre mondiale quand sa vie ne tenait qu'à un fil. Vous voyez le cas Céline m'intéresse....

Je dois reconnaître que je ne m'attendais pas du tout à ce type de récit, une sorte de roman d'apprentissage mais quel apprentissage car après une telle jeunesse, de telles expériences comment voulez-vous devenir un homme sain de corps et d'esprit. Je sais que Voyage au bout de la nuit risque de m'emmener sur les rails de l'immonde dans ce que l'homme peut avoir de plus sombre et de plus noir. Alors j'attends le bon moment, dans quelques mois ou semaines mais une chose est sûre je ne suis pas prête d'oublier Ferdinand et sa Vie à crédit dont il paiera sûrement le capital et les intérêts toute sa vie !

Un aveu de dernière minute : je pensais avoir beaucoup de mal à rédiger ma chronique et finalement je m'aperçois que le ressenti a été facile à mettre en mots.
Lien : https://mumudanslebocage.wor..
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