" Qu'est-ce que vous vous voulez savoir ?... Ma jeunesse ? Mais ça n'intéresse personne... ça a si peu d'importance. Ce n'est rien, ma jeunesse, ça n'existe plus... Vous feriez mieux de demander à d'autres... ça leur ferait plaisir de parler d'eux... Ils ont une carrière à faire, ils y croient... l'Académie... Moi, aujourd'hui on ne m'aime pas... Et puis c'est triste, ma jeunesse... Vos lecteurs, ils veulent des choses gaies, le monde est bien assez moche comme ça... Alors, inventez, c'est pas moi qui vous contredirai... "
(Entretien avec
Claude Bonnefoy, 1961).
Louis Ferdinand Céline était un salaud qui se savait salaud et en rajoutait une couche.
Mais il a d'abord laissé cet incipit de «
Mort à crédit » :
« Nous voici encore seuls. Tout cela est si lent, si lourd, si triste… Bientôt je serai vieux. Et ce sera enfin fini. Il est venu tant de monde dans ma chambre. Ils ont dit des choses. Ils ne m'ont pas dit grand-chose. Ils sont partis. Ils sont devenus vieux, misérables et lents chacun dans un coin du monde.
Hier à huit heures Madame Bérange, la concierge, est morte. Une grande tempête s'élève de la nuit. Tout en haut, où nous sommes, la maison tremble. C'était une douce et gentille fidèle amie. Demain on l'enterre rue des Saules. Elle était vraiment vieille, tout au bout de la vieillesse. Je lui ai dit dès le premier jour quand elle a toussé : « Ne vous allongez pas, surtout !… Restez assise dans votre lit ! » Je me méfiais. Et puis voilà… Et puis tant pis.
Je n'ai pas toujours pratiqué la médecine, cette merde. Je vais leur écrire qu'elle est morte Madame Bérange à ceux qui l'ont connue. Où sont-ils ? »
Une histoire ? : Oui, oui, il y a une histoire. Souvenirs d'enfance et de jeunesse dans un délire fiévreux. « Alors, j'ai bien vu revenir les mille et mille petits canots au-dessus de la rive gauche…ils avaient chacun dedans un petit mort ratatiné dessous sa voile... Et son histoire…ses petits mensonges pour prendre le vent. »
Et pourtant il y a l'oncle Édouard.
Des Personnages ? : À foison, ça en pleut dans tous les coins, décrits, faut voir … ! Des secondaires et des principaux, mélangés. le Ferdinand, bien sûr, celui qui nous parle .Des Ratés et inadaptés, émouvants, tragiques autant que ridicules ; figures géniales : enfin… ce ne sont pas les personnages mais la façon de les décrire. Des « tètes » à la « frères Joël et
Ethan Coen » mais en moins caricaturales, plus tragiques, plus agitées, plus…
Mais tendresse aussi de Céline pour ses personnages. La grand-mère Caroline qui meurt: « elle a voulu me dire quelque chose,……travaille bien mon petit Ferdinand, qu'elle a chuchoté…j'avais pas peur d'elle. On se comprenait au fond des choses. Apres tout, c'est vrai, en somme, j'ai bien travaillé…ça regarde personne »
Et il y a l'oncle Edouard et son tricycle mono cylindre
Un style ? : La « fameuse musique » de Céline. Descriptions collectives hallucinées. L'argot y devient
une création littéraire musicale et lyrique, qui passe outre toutes les règles grammaticales.
Et le correcteur orthographique de « Word » ne veut pas !!!
Les points d'exclamations scandent les fureurs et des horreurs.
Et pourtant, il y a l'oncle Edouard qui est toujours là quand il faut.
Pour quelles raisons pourrait-on ne pas aimer ce livre ?
Pour les mêmes raisons qu'il peut nous époustoufler.
C'est du genre bavard bien sûr, parce que même dans les descriptions, on entend le Ferdinand qui parle.
Essayez, vous verrez. Si vous « ne rentrez pas dedans » ce n'est pas grave.