C'était un Sénégalais, gigantesque, condamné au bagne pour meurtre, et qui travaillait à la chaîne, au chantier des incorrigibles. Samba était fort comme un boeuf. Un matin, à la corvée, en forêt, ayant deux surveillants à la portée de son bras, il les fend de deux coups de sabre. Les deux forçats enchaînés avec lui hurlent. Samba abat l'un, épargne l'autre qui fait le mort, brise sa chaîne et se sauve en criant "Samba prend la brousse".
L'homme noir entre en forêt. A la chute du jour, Samba, qui savait la manière de cheminer sans faire de bruit, avise une case d'Indiens. Il se cache. L'Indien sort et Samba l'exécute d'un revers de son coupe-coupe. Puis, il entre dans la case, chasse la femme et l'enfant, prend le fusil et la poudre, s'en va en mettant de feu à l'habitation.
Il y a dans la forêt un réseau de communications mystérieuses. Les nouvelles se répandent vite, on ne sait comment. La terreur régna, lorsque les hommes des placers et les chercheurs de balata apprirent que le Sénégalais était lâché et tenait la brousse. Les meurtres se succédaient, soudains, imprévus, parfois à de grandes distances les uns des autres, car Samba était un marcheur terrible et infatigable. Les balatistes, pour extraire la gomme, montent à la cime de l'arbre. Il faut pratiquer la saignée le plus haut possible. Ils se servent de crampons de fer qui les tiennent attachés au tronc. Samba les guettait, au pied ; quand ils étaient bien installés à l'ouvrage, il les tuait à coups de fusils et les laissait là à sécher, dans les feuilles. Puis il pillait leur carbet.
(...)
Samba terrorisa la forêt plusieurs semaines. Un jour, il se trouva face à face avec un autre évadé qui, lui, n'avait pas de fusil. L'homme bondit sur le Sénégalais et d'un coup de sabre d'abatis lui trancha net le bras. Puis il le lia à un arbre, prit le fusil et laissa le mutilé à la jungle. Deux jours plus tard, les gendarmes blessèrent cet homme d'un coup de feu. Mourant, il raconta qu'il avait tué Samba et indiqua où était le cadavre. On en trouva ce que les vautours et les fourmis en avaient laissé.
Un boa avait élu le dégrad et s'y posait à l'aube pour guetter son gibier. Il ne faut pas troubler un boa à l'affût. C'est une bête, respectable, large et lisse comme le tronc d'un jeune arbre, et qui se détend avec la rapidité élastique d'un lasso, ce qui peut causer des surprises aux indiscrets. Le boa avait choisi cette place d'affût. Un gendarme eut le tort de la lui disputer. Ce gendarme n'avait pas le sens de l'à-propos. Le dit pandore vint, chaque matin, prendre l'affût à côté du boa, que d'ailleurs il ne distinguait pas d'un tronc d'arbre. Les coups de fusils malencontreux chassèrent les paks, les agamis, les flamants et toutes les bonnes nourritures du serpent. Le boa, un beau jour, tandis que le gendarme ajustait son gibier, se déclencha à la manière d'un ressort de montre et noua sur l'infortuné, sa giberne et son fusil, un de ces nœuds qu'il est malaisé de défaire. Un boa commence par enduire sa proie d'une bave visqueuse qui facilite la déglutition; ce faisant, il la malaxe entre ses vertèbres. Un compagnon du pandore survint et d'une balle bien placée interrompit la préparation. On dégagea le corps gluant de bave hors des anneaux. Un médecin en fit l'autopsie. Il déclara que les os du gendarme avaient été moulus fin comme de la farine de froment.