Un roman poignant, qui m'a mis plusieurs fois les larmes aux yeux pour ses personnages et leurs souffrances, liées à la maîtrise ou à la non-maîtrise des mots. C'est un roman sur l'enfance, certes, mais c'est aussi un roman sur le langage et la force des mots : les mots qui ont une histoire, une origine, une musicalité, un sens, et, surtout, les mots qui servent à exprimer ses sentiments, en particulier l'amour. Car, qu'est-ce que l'amour lorsqu'il ne peut se dire, lorsqu'il est tu ?
La Mère n'arrive pas à dire son amour pour son fils ; alors, elle l'exprimer par de petites actions machinales du quotidien : lui préparer son lait, lui recoudre un bouton, le nourrir de purée parce que c'est son plat préféré. le Père non plus n'a pas les mots ; alors, il cogne, il frappe pour dire sa colère, ou il tapote le nez de son fils pour dire qu'il l'apprécie. Jacques, lui, a du mal à parler. Alors il s'entraîne, il cherche des synonymes, il a un carnet à mots, il s'entraîne devant la glace. Il n'y a qu'avec Bonzi qu'il est à l'aise, même s'il n'a pas besoin de lui dire qu'il l'aime, c'est comme ça, l'amitié depuis l'enfance, c'est son presque frère : il n'a pas besoin de mots avec lui.
Et puis, il y a Manu, le maître. Un maître, c'est celui qui incarne le savoir, la science, la grammaire. Il devrait savoir parler. Mais lui aussi a du mal, du mal à dire à ses élèves qu'il les aime, surtout ce petit Jacques si triste, si recroquevillé, si seul. Les mots ne lui viennent pas, parce qu'il n'a pas le droit de les dire. Alors, il regarde par la fenêtre, et il pleure. Et puis, il tord les mots, leur fait dire autre chose, les manipule, utilise des métaphores, des paraphrases, des mensonges même. Il se sert de la langue pour dire et ne pas dire. Plus que ce petit Jacques, c'est ce maître qui m'a touchée par sa fragilité.