Lâcher la proie pour l'ombre. Voici une fort belle locution, trop peu usitée, que l'on voit que de loin en loin dans les vieux livres vénérables et qui signifie se laisser distraire de ses intérêts, abandonner un avantage réel pour un profil illusoire. Or dans l'histoire qui nous intéresse, ce brave
Peter Schlemihl, a quant à lui, inconsidérément, et bien plutôt, abandonner son ombre pour les richesses de ce monde! Talonné par le besoin, notre héros s'est laissé berner par le Malin, qui a plus d'un tour dans son sac, et en l'occurrence, la poche fort profonde et jamais avare en ressources, y puisant des merveilles comme le prestidigitateur le fait de son chapeau. Dans un premier temps amadoué par ses ducats et par sa prodigalité toute orientale, les braves gens, qui ne s'illustrent guère par la gratitude, se détournent de lui comme d'un sujet d'opprobre, lui l'homme dépourvu de la sempiternelle et fidèle compagne de chaque instant, hormis les jours de pluie, de brouillard à couper au couteau : j'ai nommé l'ombre que chaque homme, du manant au sultan, partage, avec la mort, dans son humaine condition.
Cette sympathique étrange histoire de
Peter Schlemihl est un abordable et fort distrayant épigone du
Faust de
Goethe. L'histoire du fameux et décevant pacte que l'homme, dans sa vanité, signe avec le diable qui sait fort bien tourner les traités. Ce classique de la littérature allemande, écrit par un français d'origine, à la langue élégante et fleurie, au succès immédiat et jamais démenti, est un joli petit conte philosophico-fantastique sur le chemin de l'homme vers l'acquisition de la véritable richesse : la sagesse dans la connaissance de soi et de ses besoins profonds.