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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Excellente idée de la part de la maison d'édition La Manufacture de livres que de rééditer ce Clouer l'Ouest ( initialement paru en 2015 ), dans le cadre de l'opération 10 ans / 10 livres. Ce livre s'inscrit avec bonheur dans la lignée du roman rural noir à la nature writing.

C'est l'histoire d'un retour : celui de Karl, plus de 20 ans après avoir fui sa famille et son village limousin. Il va bousculer l'équilibre fragile qui s'est établi chez lui, entre son père, intransigeant et craint, sa mère bouffée par les cachetons, son frère qui s'est exilé à sa façon en vivant dans les bois au contact de la nature, son ex Maryline, son ami d'enfance Serge.

Les chapitres sont très courts, alternant classiquement passé / présent. Ils instaurent d'emblée une tension, sourde, menaçante, omniprésente , qui ne semble avancer que vers une fatalité terrible. Comme si le drame qui est en train de se construire à partir de ce retour n'était en fait que celui qui avait commencé 20 ans auparavant et qui devait s'achever là, maintenant que tous les protagonistes sont à nouveau réunis.

Le plus formidable dans ce roman, c'est l'écriture de Séverine Chevalier, ciselée, chaque mot sonnant juste, placé juste pour s'insérer dans une prose poétique et terrienne qui dévoile les âmes de façon évidente. Cette écriture superbe transcende le banal drame familial, le hisse au niveau d'un drame shakespearien qui convoquerait le poids des haines recuites. C'est violent et beau à la fois.

Voilà comment elle raconte les retrouvailles entre le père et le fils :

" Une bête au fond de l'eau lui bouffe les pieds et l'attire vers le bas, dans la tourbière, et il n'y a rien à faire, il s'enfonce inexorablement. Il ne peut rien faire d'autre que de s'entendre aligner des mots stupides et vains tant qu'il peut encore respirer, tant qu'il a encore une langue qui se débat, une limace folle dans la bouche, une langue qui glougloute et qui déballe tout. Plus de boulot, le jeu, la séparation, les dettes, les emprunts occultes à 30%, les menaces, la petite fille qui ne parle pas, la vie nouvelle, les rideaux, ce qui va changer, ce qui changera si ... Il en appelle à la miséricorde, la bondé, l'infinie sagesse de Dieu son Père, caché derrière l'ordinateur. Il s'aplatit, pauvre pêcheur, il rampe, il lui baiserait les pieds pour un geste, une parole. Il est le grand Coupable qui expie et qui se vautre, s'étale encore, ne peut plus s'arrêter de se vautrer, et là, précisément l'abjection, dans tous ces amas spongieux dans lesquels pourtant il se brise ( amas spongieux de la supplique au père.
Si ça se trouve, de la mousse s'est agglutinée aux commissures, mais quajnd il les touche avec le pouce et l'index écartés pour se sentir, c'est sec et fenfillé comme du bois.
Le Doc se lève, contourne le bureau, ouvre la porte qu'il laisse grande ouverte et sort d'un pas mesuré, lent et égal, sans un mot. Et Karl, désossé, ventre ouvert, tête cassée, si piteusement risible qu'il en pleurerait de rire, s'il continuait à s'observer de haut, comme un insecte."

Ce sens du tragique s'appuie également sur une très belle idée, celle de faire traverser le roman par deux « personnages » singuliers : Angèle et la Bête. Angèle, la fille de Karl, 5 ans, dérangeante par son mutisme et le regard insondable qu'elle porte sur la folie qui couve, c'est elle la narratrice, celle qui raconte son père. Et la Bête, un sanglier à la dimension quasi mythique qui est traqué sans fin par le village, comme une métaphore.

Un roman concis et intense que j'ai lu comme hypnotisée. Il ne m'a juste manqué que de vibrer d'émotions autant que j'ai vibré de plaisir esthétique en découvrant l'écriture de Séverine Chevalier.
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Encore sous le charme de la découverte de Séverine Chevalier avec Jeannette et le crocodile, j'enchaîne à rebours avec Clouer l'ouest. Same player shoot again : même grand plaisir à baigner dans ce ton et cette atmosphère singulière, tendue, dérangeante.

On est là au coeur du pays de Creuse, dans un de ces villages hors du temps, enfin d'un certain temps. Un lieu digne d'un JT de Pernaut, où les basiques sont les invariants : vieilles maisons, petits boulots, chasse, café… Un lieu dont on ne part que peu.

Karl, lui, est parti, un jour, convoyer des bateaux, loin. Pour fuir Doc, un père capable de flinguer même le père Noël. Et fuir un peu les autres aussi. Une dizaine d'années plus tard, il revient au pays avec dans ses bagages, Angèle sa fillette qui ne parle pas et 42 000 euros de dettes de jeu.

Retrouvailles bizarres : son frère Pierre dit l'Indien ; Maryline amour d'autrefois qui vit désormais avec Serge, barman névrosé ; et aussi Odile, la mère ; et l'oncle ; et Doc, qui porte l'espoir d'une dette soldée et d'un rebond attendu. Personne n'a oublié Karl mais personne ne l'attend non plus.

Au coeur d'un village davantage tourné vers la traque de la Bête, vieux sanglier qui n'en finit pas de déjouer les viandards revanchards, que vers le retour de Karl, les éléments du drame sont posés. Les règlements de comptes familiaux peuvent commencer.

Car Clouer l'ouest est construit comme un véritable drame antique qu'on aurait transposé dans la Creuse moderne ou comme un western de la grande époque qu'on aurait tourné sur le plateau de Millevaches. Western d'hiver, m'avait-on dit. Parfaitement vu.

Fait de petits chapitres courts entrecoupés de flashbacks (un jour) tout aussi courts, la construction y est virtuose, faisant monter crescendo un à un, sans en avoir l'air, les éléments du drame que l'on sent poindre.

Lire Séverine Chevalier, c'est entrer dans un univers aux mots économisés, c'est-à-dire pensés, probablement doutés, soupesés et enfin souhaités, comme pour mieux leur rendre leur sens et leur force. Et parfois, les mots deviennent jeu, se libérant de leur positionnement académique pour permettre au texte de devenir poésie. Et là, ça claque fort !

Amis de Vleel et d'ailleurs, le message est simple : on se précipite si ce n'est déjà fait !
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Ce roman n'est pas commun, l'écriture de l'auteure n'est pas commune. Les premières pages sont mystérieuses, elles ressemblent à des pensées jetées sur le papier.

Karl est un personnage torturé, il a des ennuis, il souhaite les fuir en retournant à ses origines, le village ou vivent encore ses parents, son frère, son oncle, et tout son passé.

Ce livre, c'est l'histoire d'une famille, elle est abîmée, chaque membre a ses blessures.

Ce roman est très noir, les personnages que nous dépeint Séverine Chevalier, ne semblent pas connaitre le bonheur, un peu comme si celui ci s'était arrêté à une frontière imaginaire.

Leurs vies s'écoulent avec son lot de souffrance, mais rien ne semble pouvoir mettre un terme à cela, ils attendent et laissent venir.

C'est en tout cas le ressenti que j'ai après la fin de ce roman, qui m'a dérangé, dans le sens ou il m'a amené à me questionner, me mettre plein de questions en tête: Pourquoi? Que s'est-il réellement passé avant le départ de Karl?

Pas de conte de fée et de sentiment dégoulinant ici, ni d'ailleurs de violence verbale, mais de la noirceur que l'auteure nous fait ressentir grâce à ses mots, des phrases et des pages courtes, comme des gifles littéraires.
Lien : http://livresque78.wordpress..
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Karl revient avec sa fille autiste , dans la ferme de son enfance , après 20 ans d'absence avec une vie un peu ratée .
Il va mettre en danger l'équilibre de ceux qui ne l'attendaient plus .
Un roman froid comme le temps qui enveloppe cette histoire , froid comme la neige qui tombe et rend ce récit sombre .
C'est bien écrit et presque poétique , mais c'est vrai que ça ressemble beaucoup a du Franck Bouysse .
Un bon roman , bien écrit et bien prenant .
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Il y a là Odile la mère qui se perd dans le brouillard des médicaments et veille Mémé, sa propre mère placée en maison de retraite depuis qu'elle a Alzheimer. Il y a le Doc, mari d'Odile, et leurs deux enfants, "l'indien', taiseux et sauvage, souffre-douleur de Karl, l'autre fils, celui qui est parti un jour vers la mer et qui revient, endetté et accompagné de sa fille de cinq ans, Angèle, muette.

Et autour, Mariline et Serge (brisé psychiquement par la guerre en Afghanistan), Joël le frère d'Odile, seul dans sa ferme avec le chien Tak. Il y a aussi l'ombre d'Henri Des Courts, le père de Doc, mort d'un accident de chasse.
Partout, la forêt dense et inquiétante dans laquelle vit un vieux sanglier noir que personne ne réussit à ajouter à ses trophées de chasse, et la neige qui tombe sur le plateau dans un hiver qui semble ne jamais finir.

"Il faut bien que les choses se soient passées d'une certaine façon."

Il y a surtout l'étrange narration de Séverine Chevalier dont les mots se posent comme une évidence, parfois dans la brutalité, diffusant un malaise, posant des questions auxquelles personne parmi les personnages ne semblent pourvoir -ou vouloir- trouver des réponses. Des mots parfois en vrac comme ceux de la femme mourante de Joël et qui ressemblent à une étrange comptine qui cacherait un secret.

J'ai été déroutée par cette narration peu ordinaire et par la noirceur de ce roman, son ambiance impénétrable, épaisse comme la neige. Pourtant la fin ne m'a qu'a demi étonnée, comme si le drame était prévisible, dès les premières neiges et qu'il faille aligner les cadavres comme à l'issue d'une partie de chasse !

Tout est violence dans ce polar sauf la langue qui joue avec les mots en douceur, qui virevolte et se pose, fine, sur un sombre portrait de famille.
Tout est violence et pourtant tout est lumière, un sacré bouquin !!
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Polar, chronique sociale, drame psychologique, western rural... "Clouer l'ouest" est un peu tout ça, mais c'est surtout un roman original, intense, et admirablement bien écrit (bon, si après ça vous ne vous précipitez pas dans la librairie la plus proche, c'est que vous n'avez rien compris, que vous êtes immobilisé chez vous avec une jambe dans le plâtre, que la librairie la plus proche est à 50 kilomètres, ou que vous ne me faites pas confiance -et c'est votre droit, même si là, je vous jure, vous devriez...).

D'emblée, la brièveté des paragraphes, le dépouillement de l'écriture, pourtant fortement évocatrice, instaurent un sentiment d'urgence et d'oppression, annoncent cet impératif qui, tout au long du récit, semblera placer les héros sous le joug de leurs pulsions, de traumatismes enfouis qui, en leur dictant leurs gestes, leurs décisions, les mènent vers l'inéluctable tragédie.

Karl est de retour dans la région des Millevaches après des années d'exil et de silence loin de ces terres de chasseurs et de forêts embrumées. Acculé par les dettes, il vient réclamer de l'argent à son père. Avec lui Angèle, sa fille de cinq ans, qui, bien qu'exempte de tout handicap, est muette.

Il y retrouve la communauté villageoise presque telle qu'il l'a laissée 20 ans plus tôt : Maryline, son ancien flirt, mariée à Serge, l'ami d'enfance et de jeunesse. Son frère, Pierre, surnommé L'indien, qui vit isolé au coeur de la forêt, en quelque sorte exilé lui aussi, malgré tout assez proche pour pouvoir nuire au père s'il en a l'occasion, et visiter de temps à autre Odile, la mère, qui n'a plus jamais été la même depuis le départ de son fils préféré et qui, abrutie par les cachets, sombre doucement dans la démence. Et enfin, celui à la seule évocation duquel sourd un sentiment d'angoisse, de malaise, dont on devine rapidement, bien que ses apparitions dans le récit ne sont que sporadiques, qu'il est au centre du drame qui se joue... l'homme qui suscite à la fois haine et respect, impénétrable, intransigeant, et pourtant séduisant, du moins pour certaines... le père, dit "le Doc", médecin du village dorénavant à la retraite, mais toujours actif en tant que membre influent de la communauté.

Le poids de haines filiales qui se transmettent, d'années de non dits dans le terreau desquels poussent la folie, le mal-être, confère au récit une ambiance délétère, et une tension grandissante. Tout est suggéré et pourtant étonnamment criant : la détresse, les frustrations, et surtout cette violence et ce désespoir latents, dont on guette à chaque instant l'explosion.
"Clouer l'ouest" est à la fois dense et concis, parfaitement maîtrisé. Séverine Chevalier sait, en quelques mots, convoquer des émotions fortes ou subtiles, nous immerger dans son univers certes sombre mais terriblement prenant.
Lien : http://bookin-inganmic.blogs..
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Retour aux sources en chien battu, faux-semblants qui éclatent, au bord de la sombre forêt.

Sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2015/06/26/note-de-lecture-clouer-louest-severine-chevalier/

Lien : http://charybde2.wordpress.c..
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