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Excellente idée de la part de la maison d'édition La Manufacture de livres que de rééditer ce Clouer l'Ouest ( initialement paru en 2015 ), dans le cadre de l'opération 10 ans / 10 livres. Ce livre s'inscrit avec bonheur dans la lignée du roman rural noir à la nature writing.

C'est l'histoire d'un retour : celui de Karl, plus de 20 ans après avoir fui sa famille et son village limousin. Il va bousculer l'équilibre fragile qui s'est établi chez lui, entre son père, intransigeant et craint, sa mère bouffée par les cachetons, son frère qui s'est exilé à sa façon en vivant dans les bois au contact de la nature, son ex Maryline, son ami d'enfance Serge.

Les chapitres sont très courts, alternant classiquement passé / présent. Ils instaurent d'emblée une tension, sourde, menaçante, omniprésente , qui ne semble avancer que vers une fatalité terrible. Comme si le drame qui est en train de se construire à partir de ce retour n'était en fait que celui qui avait commencé 20 ans auparavant et qui devait s'achever là, maintenant que tous les protagonistes sont à nouveau réunis.

Le plus formidable dans ce roman, c'est l'écriture de Séverine Chevalier, ciselée, chaque mot sonnant juste, placé juste pour s'insérer dans une prose poétique et terrienne qui dévoile les âmes de façon évidente. Cette écriture superbe transcende le banal drame familial, le hisse au niveau d'un drame shakespearien qui convoquerait le poids des haines recuites. C'est violent et beau à la fois.

Voilà comment elle raconte les retrouvailles entre le père et le fils :

" Une bête au fond de l'eau lui bouffe les pieds et l'attire vers le bas, dans la tourbière, et il n'y a rien à faire, il s'enfonce inexorablement. Il ne peut rien faire d'autre que de s'entendre aligner des mots stupides et vains tant qu'il peut encore respirer, tant qu'il a encore une langue qui se débat, une limace folle dans la bouche, une langue qui glougloute et qui déballe tout. Plus de boulot, le jeu, la séparation, les dettes, les emprunts occultes à 30%, les menaces, la petite fille qui ne parle pas, la vie nouvelle, les rideaux, ce qui va changer, ce qui changera si ... Il en appelle à la miséricorde, la bondé, l'infinie sagesse de Dieu son Père, caché derrière l'ordinateur. Il s'aplatit, pauvre pêcheur, il rampe, il lui baiserait les pieds pour un geste, une parole. Il est le grand Coupable qui expie et qui se vautre, s'étale encore, ne peut plus s'arrêter de se vautrer, et là, précisément l'abjection, dans tous ces amas spongieux dans lesquels pourtant il se brise ( amas spongieux de la supplique au père.
Si ça se trouve, de la mousse s'est agglutinée aux commissures, mais quajnd il les touche avec le pouce et l'index écartés pour se sentir, c'est sec et fenfillé comme du bois.
Le Doc se lève, contourne le bureau, ouvre la porte qu'il laisse grande ouverte et sort d'un pas mesuré, lent et égal, sans un mot. Et Karl, désossé, ventre ouvert, tête cassée, si piteusement risible qu'il en pleurerait de rire, s'il continuait à s'observer de haut, comme un insecte."

Ce sens du tragique s'appuie également sur une très belle idée, celle de faire traverser le roman par deux « personnages » singuliers : Angèle et la Bête. Angèle, la fille de Karl, 5 ans, dérangeante par son mutisme et le regard insondable qu'elle porte sur la folie qui couve, c'est elle la narratrice, celle qui raconte son père. Et la Bête, un sanglier à la dimension quasi mythique qui est traqué sans fin par le village, comme une métaphore.

Un roman concis et intense que j'ai lu comme hypnotisée. Il ne m'a juste manqué que de vibrer d'émotions autant que j'ai vibré de plaisir esthétique en découvrant l'écriture de Séverine Chevalier.
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Du noir de noir sur fond de neige. La Creuse servie sur un plateau. 

Un retour au bercail pour éviter la déroute. Une route qui se termine dans une forêt.

Une forêt où se retrouver pour se perdre. Une forêt où chasser.

Une chasse .

Qui est le gibier? le vieux sanglier blessé?  le hobereau arrogant ? le fils revenu et humilié? Qui est le chasseur? L'Indien silencieux? L'aîné à l'oreille arrachée? le Doc au chapeau decoiffé? L'ancien d'Afghanistan  à la tête chamboulée?

Une famille.

Une mère perdue dans ses fantômes. Une Mémé sans mémoire. Une morte aux rimes énigmatiques. Deux frères , ennemis, deux frères complices,   et un arc brisé.  Un père arquebouté sur son mépris. Dont la respectabilité masque le crime. Deux fils tendus comme la corde de l'arc. D'où jaillira la flèche qui mettra fin à la tension? Une petite fille muette, protagoniste du drame, sans les  mots, plus tard,   romancière  du drame, avec les  mots. Cloués dans les silences et les non dits, ses mots.

 Encore une fois, Séverine Chevalier m'a captée,  capturée, captivée.

Séverine ma clouer.

Même incroyable qualité d'écriture pour ce western creusois que pour Les Mauvaises , cantaliennes et funambulesques. Un peu désorientée pendant les premières pages, je me suis fait prendre à ce retour de l'enfant prodigue qui déclenche des catastrophes à la chaîne, et entraîner derrière Karl, derrière l'Indien, derrière la petite Angèle, au coeur de la forêt,  au coeur de l'hiver, au coeur du piège.


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Encore sous le charme de la découverte de Séverine Chevalier avec Jeannette et le crocodile, j'enchaîne à rebours avec Clouer l'ouest. Same player shoot again : même grand plaisir à baigner dans ce ton et cette atmosphère singulière, tendue, dérangeante.

On est là au coeur du pays de Creuse, dans un de ces villages hors du temps, enfin d'un certain temps. Un lieu digne d'un JT de Pernaut, où les basiques sont les invariants : vieilles maisons, petits boulots, chasse, café… Un lieu dont on ne part que peu.

Karl, lui, est parti, un jour, convoyer des bateaux, loin. Pour fuir Doc, un père capable de flinguer même le père Noël. Et fuir un peu les autres aussi. Une dizaine d'années plus tard, il revient au pays avec dans ses bagages, Angèle sa fillette qui ne parle pas et 42 000 euros de dettes de jeu.

Retrouvailles bizarres : son frère Pierre dit l'Indien ; Maryline amour d'autrefois qui vit désormais avec Serge, barman névrosé ; et aussi Odile, la mère ; et l'oncle ; et Doc, qui porte l'espoir d'une dette soldée et d'un rebond attendu. Personne n'a oublié Karl mais personne ne l'attend non plus.

Au coeur d'un village davantage tourné vers la traque de la Bête, vieux sanglier qui n'en finit pas de déjouer les viandards revanchards, que vers le retour de Karl, les éléments du drame sont posés. Les règlements de comptes familiaux peuvent commencer.

Car Clouer l'ouest est construit comme un véritable drame antique qu'on aurait transposé dans la Creuse moderne ou comme un western de la grande époque qu'on aurait tourné sur le plateau de Millevaches. Western d'hiver, m'avait-on dit. Parfaitement vu.

Fait de petits chapitres courts entrecoupés de flashbacks (un jour) tout aussi courts, la construction y est virtuose, faisant monter crescendo un à un, sans en avoir l'air, les éléments du drame que l'on sent poindre.

Lire Séverine Chevalier, c'est entrer dans un univers aux mots économisés, c'est-à-dire pensés, probablement doutés, soupesés et enfin souhaités, comme pour mieux leur rendre leur sens et leur force. Et parfois, les mots deviennent jeu, se libérant de leur positionnement académique pour permettre au texte de devenir poésie. Et là, ça claque fort !

Amis de Vleel et d'ailleurs, le message est simple : on se précipite si ce n'est déjà fait !
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Ce roman n'est pas commun, l'écriture de l'auteure n'est pas commune. Les premières pages sont mystérieuses, elles ressemblent à des pensées jetées sur le papier.

Karl est un personnage torturé, il a des ennuis, il souhaite les fuir en retournant à ses origines, le village ou vivent encore ses parents, son frère, son oncle, et tout son passé.

Ce livre, c'est l'histoire d'une famille, elle est abîmée, chaque membre a ses blessures.

Ce roman est très noir, les personnages que nous dépeint Séverine Chevalier, ne semblent pas connaitre le bonheur, un peu comme si celui ci s'était arrêté à une frontière imaginaire.

Leurs vies s'écoulent avec son lot de souffrance, mais rien ne semble pouvoir mettre un terme à cela, ils attendent et laissent venir.

C'est en tout cas le ressenti que j'ai après la fin de ce roman, qui m'a dérangé, dans le sens ou il m'a amené à me questionner, me mettre plein de questions en tête: Pourquoi? Que s'est-il réellement passé avant le départ de Karl?

Pas de conte de fée et de sentiment dégoulinant ici, ni d'ailleurs de violence verbale, mais de la noirceur que l'auteure nous fait ressentir grâce à ses mots, des phrases et des pages courtes, comme des gifles littéraires.
Lien : http://livresque78.wordpress..
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"(...) La mécanique du récit est tranchante, parfaite, sobre, sans fioritures. Dans cet agencement, chaque personnage est un continent. le seul qui semble incapable d'évolution et conserve sa stature monolithique est le doc, le père du père. Ce roman court, parfait, sec et mélancolique, qui ressemble à une improvisation manouche, fait comme Karl quand il boit : “…plus il raconte et plus ça devient vrai, comme le sont parfois les rêves.” Et finalement, vrai ou pas, comme il est posé dès le départ, on s'en fout. On est invité dans une variation, pour un éblouissant tour de piste dans différentes temporalités, dans la mosaïque brillante des souvenirs possibles, la sensorialité intense des tricotages de l'esprit. (...) quand on l'a lu, on a envie de le relire encore et encore, comme on revient à une anamorphose, ou à certains tableaux. Parce que la langue de Séverine est lumineuse, claire, à la limite de la brutalité parfois, servie par une économie du récit toute en équilibres délicats, dépouillée, limpide. Un univers."
Les papiers de Lonnie in DM
Lien : https://doublemarge.com/clou..
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Clouer l'ouest, c'est l'histoire d'un retour, celui de Karl. Vingt ans après avoir quitté le village du plateau de Millevaches où vivent les siens avec la ferme intention de n'y pas revenir, la vie, les dettes, le forcent à rentrer au moins provisoirement. Mais en retrouvant cette famille qui s'est depuis deux décennies construite – ou a fini de se déconstruire – sans lui, Doc, le père honni, brutal, autoritaire, Odile, la mère aimée qui ne sort désormais plus du monde cotonneux dans lequel la plongent les médicaments, Pierre le frère souffre-douleur fou de nature qui vit à l'écart du monde, Karl vient bousculer l'équilibre précaire sur lequel à continuer à se bâtir en son absence la communauté villageoise qu'il retrouve.
Clouer l'ouest se construit sur des allers-retours entre l'enfance de Karl et le présent, entre les vieux rêves, les rêves brisés et ceux, bien moins ambitieux – au moins d'apparence – auxquels il aspire maintenant :
« le Doc fera un chèque, il en a largement les moyens, et ce sera plié. Il lui dira bonne chance et il pourra repartir, régler ce qu'il doit à l'autre. Il ira à Marseille et trouvera un boulot. Il habitera non loin de Sabine et Thierry et Angèle. La mer le narguera encore, mais ce sera sans importance, alors. Plus aucune importance pour la vie nouvelle. Il achètera des rideaux pour les fenêtres du petit appartement qu'il louera pour pas trop cher. Voilà à quoi il pense : aux rideaux colorés qu'il achètera pour les fenêtres du petit appartement au fond d'une impasse tranquille. S'il croit aux rideaux qu'il accrochera, tout est encore possible. Il n'a pas besoin d'avoir peur. »
Il ressort du roman de Séverine Chevalier une violence latente, la conviction du drame qui se joue ou qui, commencé il y a bien longtemps, finit de se jouer. Il en ressort aussi l'atmosphère froide et désolée des lieux et du coeur des femmes et des hommes qui prennent chair sous la plume de l'auteure. Car – et il faut vraiment lire Clouer l'ouest pour bien comprendre ce que les mots du chroniqueur peineront à dire – Séverine Chevalier a ce talent qui consiste a faire entrer dans des phrases dont chacune est finement ciselée a l'aide de peu de mots et avec des mots simples, tout ce qu'il y a à dire des lieux, des personnages, des sentiments.
Clouer l'ouest est un livre magnifique pour ce qu'il dit et pour ce qu'il est. Lecture émouvante et plaisir esthétique de la phrase et des mots justes que vient par ailleurs appuyer une maquette tout aussi belle et simple.

Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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Une magnifique trouvaille, voilà comment je pourrais qualifier le dernier roman de Séverine Chevalier intitulé Clouer l’Ouest que l’on peut considérer comme un des grands romans noirs de l’année 2014. En principe lorsque je découvre un livre par le biais d’un blog, je me garde d’en faire une chronique car j’estime que la trouvaille appartient à l’animateur du site. Mais pour Clouer l’Ouest c’est une autre histoire. Il y a tout d’abord l’envie de faire découvrir au plus grand nombre un ouvrage magnifique qui, de par le fait d’une superbe mais petite maison d’édition, peinera probablement à sortir du lot. Aussi modeste que soit la démarche, cette chronique permettra peut-être de favoriser sa diffusion. Il faut lire Clouer L’Ouest et il faut s’imprégner de l’écriture de Séverine Chevalier. Et puis il y a le plaisir de parler de quelque chose de beau qui touche au sublime.

Après des années d’errance, Karl le joueur compulsif et désargenté retourne au sein de cette famille honnie qu’il n’a plus revue depuis plus de 20 ans. Doc, le père haï, L’Indien, frère ami et ennemi tout à la fois, Odile, mère perturbée et emmitouflée dans un nuage de médicament, ce sont ces personnages parmi d’autres que Karl va retrouver sur le froid plateau de Millevaches au cœur d’une forêt enneigée où rode la Bête Noire toute aussi hostile et craintive que les hommes. Un animal solitaire que les chasseurs ne parviennent pas à abattre. Cet animal blessé, reflet des hommes qui le traquent sera-t-il enfin abattu ?

On le voit, au niveau de l’intrigue il n’y a rien d’original avec l’éternel conflit entre père et fils et tous ces ressentiments cachés qui minent les relations des membres d’une même famille. Mais si l’on sait déjà que tout cela va mal se terminer, l’enjeu du roman consiste à savoir comme cela va se dérouler. Et il faut l’avouer, Séverine Chevalier installe dans une construction narrative extrêmement bien élaborée un suspense qui nous tient en haleine tout au long d'un magnifique récit. Les personnages également sont finalement assez stéréotypés mais l’auteur parvient à développer une interaction entre tous ces protagonistes qui dépassent les clichés habituels et c’est par petites touches que l’on pénètre dans l’intimité de ces hommes et de ces femmes rongés par la désillusion, les regrets, l’orgueil et la folie.

Mais c’est bien évidemment au niveau du style que la magie de Clouer l’Ouest finit par emporter le lecteur dans un torrent de phrases toutes plus belles les unes que les autres. Et quand les phrases ne suffisent plus, il reste quelques mots qui résonnent encore après avoir achevé ce roman beaucoup trop court. Alors on prend le temps de relire quelques chapitres, de s’imprégner une fois encore de cette atmosphère où la mélancolie heurte le désespoir. Un bel équilibre de descriptions, d’introspections et de quelques dialogues fait de ce roman un véritable bijou de justesse et de perfection.

Il faut bien que les choses se soient passées d'une certaine façon.

Longtemps je ne me préoccupais pas de la scène blanche. Elle me hantait en sourdine et je faisais taire ses murmures, ou les laissais cogner, légers aux parois d'une minuscule boîte enfouie au plus profond de moi. Le bourdonnements de l'extérieur remplissaient leur office de fossoyeurs efficaces, diligents. Je ne savais pas qu'alors, les cadavres refusaient de se décomposer.

Clouer l'Ouest

Severine Chevalier

Séverine Chevalier c’est une écriture hors du commun qui se mérite tout comme celle des grands auteurs dont elle fait désormais partie.
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A vrai dire je ne sais pas trop quoi raconter à propos de ce livre. J'avais une furieuse envie de le lire après avoir lu deux trois trucs dessus, notamment suite à ma découverte des romans de Franck Bouysse (Grossir le ciel et Plateau) que j'ai adorés, je m'imaginais un peu quelque chose du même style, allez savoir pourquoi... Sans doute à cause de la proximité géographique, ce mythique plateau de Millevaches où la France est profonde et l'humain plutôt rustre. En plus, ici aussi un des personnages se prénomme Karl. Bref. Mais à part ça, rien à voir. Une déception pour moi.

J'ai aussi entendu parler à propos de ce livre de nature writing à la française… Mouais, ça se discute. Nature writing en mode impressionniste alors, parce que tout se passe par petites touches là dedans, l'écriture est très particulière. Peut-être un peu trop impressionniste pour moi d'ailleurs. Et en même temps, ça va assez bien avec le sujet, le lecteur est immergé sans même s'en rendre compte dans cette atmosphère grise de désespoir, il est plongé à la fois dans l'esprit introspectif de Karl et dans ces paysages en noir et blanc, rudes et glacés. Totale ambiance “No future” mais sans le côté flamboyant associé au mouvement punk si vous voyez ce que je veux dire.
Et puis il y a surtout un vrai malaise et une violence sourde qui s'échappent de ces pages, évidemment il fallait s'y attendre avec un titre pareil. Clouer l'ouest. Sans déconner, rien que ça ! C'est super violent ! Moi ça m'a tout de suite évoqué l'idée de crucifixion (ouais violent j'vous dis !). Et au final ce n'est pas seulement l'ouest qui est cloué dans cette histoire, non, le passé aussi est cloué, l'enfance, crucifiée, la famille, pareil, crucifiée, l'amour, késako ? et l'avenir, l'espoir, n'en parlons même pas, crucifiés d'avance, comment faire autrement ?

Alors voilà, je n'ai pas aimé ce roman autant que je l'aurais voulu, autant qu'il le mérite sans doute, mais j'avais des attentes fortes et du coup ma déception - dès les premières pages - m'a empêché d'y trouver ce que j'aurais pu y trouver. Peut-être. C'est vrai que normalement j'aime bien ces histoires où l'on se promène sur la ligne floue entre passé et présent, j'aime bien ces silences, ces non-dits, ces fatalités écrasantes et cette noirceur qui englobe. Normalement.
D'un autre côté j'ai vraiment buté sur ce style d'écriture bien trop éthéré et désincarné à mon goût. Ou alors ce n'était pas le bon moment ? Quoi qu'il en soit, dix jours après avoir refermé ce livre je dois reconnaître qu'il ne m'en reste pas grand chose, et ça, ce n'est pas bon signe...
Lien : http://tracesdelire.blogspot..
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Écrire un roman, c'est organiser la rencontre entre la vie que l'on observe, réelle ou inventée, et les mots que l'on maîtrise. Écrire avec talent, c'est effacer cette rencontre : les mots deviennent la vie, la vie est dans les mots ; plus rien ne les sépare. Et plus rien ne nous sépare de cette vie, réelle ou inventée ; ni le support du livre, ni le travail de la personne qui l'a écrit.
Séverine Chevalier a du talent. Pour écrire et pour s'effacer derrière ce qu'elle écrit. Elle maîtrise les mots, c'est indubitable, leur pouvoir d'évocation, leurs doubles sens, leur rythmique ; mais elle sait en user avec une sobriété désarmante. Elle ne fait pas de l'esbrouffe : elle fait de la littérature.
Dès le début de son histoire, elle nous happe puis disparait, elle tisse ses phrases pour nous prendre dans sa toile, puis se replie dans un coin de cet ouvrage, comme pour nous regarder nous débattre. Elle nous place ainsi en position de témoins directs de ce petit monde sombre de la campagne limousine. Nous y sommes, les pieds dans la neige, le regard dans la brume, nos pas dans la forêt, nos corps sur de vieux sièges ou sur des lits étroits, dans des pièces sombres ; nos coudes sur le comptoir du rade du village, nos yeux dans les yeux de ses protagonistes.
Pour construire ces figures, multiples et si diverses, il en faut aussi, du talent. Et il est là. Il est dans la justesse des portraits psychologiques, dépeints par touches légères et en évitant toujours les écueils de l'excès. Pour les personnages les plus pitoyables, pas besoin de misérabilisme ; pour les plus attendrissants, pas besoin de guimauve ; pour ceux qui vivent hors du cadre, enfermés dans leur cerveaux fracturés ou leur solitude forcée, rien de plus que quelques fragments de leurs journées ou de leurs nuits, de leurs pensées ou de leurs paroles ; et pour façonner un salaud, pas besoin de lâcher les chiens : là encore, quelques parcelles de vie suffisent.
L'intrigue est de la même eau : tout s'assemble parfaitement, mais surtout progressivement, avec la lenteur ouatée de la neige qui envahit les lieux, avec la délicatesse impitoyable de la nuit qui enserre peu à peu les maisons et les bois, les hommes et les animaux, avec le rythme mesuré de ces gens simples et taiseux, ancrés dans leurs habitudes, dans leur isolement, dans leurs souvenirs, leurs douleurs, leurs rancoeurs, leurs haines et leurs fidélités.
Restée cachée tout au long du récit, pour nous laisser en compagnie de ses mots qui instillent peu à peu un mélange de venin et d'espoir, l'autrice se tenait aussi en embuscade. Et quand elle fait surgir un dénouement saisissant, nous restons sans défense.
Alors, vous l'aurez compris : il faut lire ce livre ; mais pas n'importe comment.
L'intrigue si finement agencée vous poussera à faire défiler les pages ; mais la beauté du texte, la ligne claire avec laquelle les lieux et les gens prennent vie sous nos yeux, toute cette poésie vous donnera envie de vous attarder. Alors suivez plutôt cette seconde voie, prenez votre temps pour vous laisser pénétrer par les décors, l'ambiance, les liens entre personnages, les relations entre les hommes et la terre, la forêt, ses occupants.
En optant pour la lenteur, vous verrez aussi que les questions, les non-dits, les aveux, les faibles éclairs d'espérance s'ancreront plus puissamment en vous ; et le suspense n'en paraîtra alors que plus délectable.
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« Il faut bien que les choses se soient passées, d'une certain façon » Leitmotiv que je retrouve au fil des pages de ce livre. Et c'est ainsi que les choses se sont passées.
Presque envie de parodier la chanson de Brel « Ces gens-là » pour parler de cette famille.
D'abord, il y a l'aine, Karl, parti pour l'Océan, qui revient après vingt ans d'absence, avec pour tout viatique une dette de jeu et une fille muette
Et puis, il y a Pierre, surnommé l'Indien, frère puîné de Karl et, par là-même son souffre-douleur. Petite chose quasi obèse dans son enfance, devenu taiseux, vivant dans sa cabane, chassant à l'arc (d'où son surnom).
Et puis, il y a le père, le Doc comme on l'appelle au village. Docteur, il l'est. Méchant, aussi. Mais bon, ce n'est pas seulement de sa faute. Son propre père a tout fait pour. Cet homme n'a jamais connu l'amour, alors, comment voulez-vous qu'il en donne à ses propres garçons.
La mère, quant à elle, s'est perdue dans le sentier chimique des médicaments que lui fourgent son doc de mari pour oublier le départ de Karl, « pour flouter un peu le réel ».
Et puis, il y a la vieille, la mère, celle qui est à l'hospice, perdue par la grâce d'un alzeimeur et Joël le frère du Doc avec son chien Tak. Ah, j'allais oublié Henri Des Courts, père du Doc, sa belle gueule de salaud dans son cadre en bois

Et puis, il y a Angèle, la petite, la muette qui regarde et écoute, qui a compris que l'amour, la tendresse, la sécurité elle les trouve chez Pierre et non chez Karl
Et la nature omniprésente, la forêt enneigée où vivent les animaux sauvages que le Doc aime tuer comme des trophées avec son équipe de chasse. Pierre aussi les chasse, mais lui, préempte, les pistent avec son arc et sa patience. le père et le fils pistent un vieux sanglier, un solitaire que chacun voudrait ajouter à son tableau de chasse.
Karl, au café, retrouve son ancienne amoureuse, Mariline, qui vit avec Serge, son vieux copain, revenu cassé de l'Afghanistan.
La narratrice est la fille de Karl « J'ai cinq ans et je suis seule, dans la forêt. J'ai froid aux pieds. Je tiens à la mais un arc en plastique rouge rafistolé avec du scotch. Il y a du blanc et des arbres noirs, puis, deux détonations, au loin. Deux en une. C'est tout ».
Il y a beaucoup d'images lorsque je lis ce livre.
La blancheur de la neige dans la forêt, les arbres noirs, les sapins, le silence.
Le Doc qui le jour de Noël, alors que les garçons étaient petits, tirent deux coups de fusil en l'air pour tuer le Père Noël « Comme ça il viendra plus nous faire chier, le Père Noël… le Doc se rassoit et leur sourit »
Angèle qui, lors des obsèques de la grand-mère, quitte la main de son père pour prendre celle de son oncle.
Karl a genoux, quasi à plat ventre devant son père pour lui soutirer l'argent et régler sa dette de jeu et le père assis dans son fauteuil imperturbable, dédaigneux sous le portrait de son propre père.
La mère qui refuse ce nouveau Karl et qui enlève toutes les photos de SON Karl qu'elle pose sur la neige, tout comme elle le fera plus tard avec ses habits.
Le sanglier, le solitaire qui déambule entre les pages du livre traqué
Karl à la recherche d'un viatique qui va même tenter de voler les bijoux de la grand-mère agonisante.

Il y a le décalage entre la violence, la brusquerie qui sourd des personnages et la dentelle de l'écriture de Séverine Chevalier qui raconte tout ceci. Pourtant, les mots sont durs, bruts qui diffusent une atmosphère de malaise, comme un brouillard épais qui vous tombe sur les épaules. Rien n'est net et tout est soupesé à l'aune de la haine familiale. Pourtant, les mots se font légers comme la neige qui tombe et se dépose en un épais tapis. La noirceur est contrebalancée par la blancheur de la neige, Angèle, si angélique, qui traverse l‘histoire.
Une histoire qui ne se laisse pas oublier facilement, le sortilège marche encore même plusieurs semaines après avoir fermé le livre. « Il faut bien que les choses se soient passées, d'une certain façon »


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