« Il faut bien que les choses se soient passées, d'une certain façon » Leitmotiv que je retrouve au fil des pages de ce livre. Et c'est ainsi que les choses se sont passées.
Presque envie de parodier la chanson de Brel « Ces gens-là » pour parler de cette famille.
D'abord, il y a l'aine, Karl, parti pour l'Océan, qui revient après vingt ans d'absence, avec pour tout viatique une dette de jeu et une fille muette
Et puis, il y a Pierre, surnommé l'Indien, frère puîné de Karl et, par là-même son souffre-douleur. Petite chose quasi obèse dans son enfance, devenu taiseux, vivant dans sa cabane, chassant à l'arc (d'où son surnom).
Et puis, il y a le père, le Doc comme on l'appelle au village. Docteur, il l'est. Méchant, aussi. Mais bon, ce n'est pas seulement de sa faute. Son propre père a tout fait pour. Cet homme n'a jamais connu l'amour, alors, comment voulez-vous qu'il en donne à ses propres garçons.
La mère, quant à elle, s'est perdue dans le sentier chimique des médicaments que lui fourgent son doc de mari pour oublier le départ de Karl, « pour flouter un peu le réel ».
Et puis, il y a la vieille, la mère, celle qui est à l'hospice, perdue par la grâce d'un alzeimeur et Joël le frère du Doc avec son chien Tak. Ah, j'allais oublié Henri Des Courts, père du Doc, sa belle gueule de salaud dans son cadre en bois
Et puis, il y a Angèle, la petite, la muette qui regarde et écoute, qui a compris que l'amour, la tendresse, la sécurité elle les trouve chez Pierre et non chez Karl
Et la nature omniprésente, la forêt enneigée où vivent les animaux sauvages que le Doc aime tuer comme des trophées avec son équipe de chasse. Pierre aussi les chasse, mais lui, préempte, les pistent avec son arc et sa patience. le père et le fils pistent un vieux sanglier, un solitaire que chacun voudrait ajouter à son tableau de chasse.
Karl, au café, retrouve son ancienne amoureuse, Mariline, qui vit avec Serge, son vieux copain, revenu cassé de l'Afghanistan.
La narratrice est la fille de Karl « J'ai cinq ans et je suis seule, dans la forêt. J'ai froid aux pieds. Je tiens à la mais un arc en plastique rouge rafistolé avec du scotch. Il y a du blanc et des arbres noirs, puis, deux détonations, au loin. Deux en une. C'est tout ».
Il y a beaucoup d'images lorsque je lis ce livre.
La blancheur de la neige dans la forêt, les arbres noirs, les sapins, le silence.
Le Doc qui le jour de Noël, alors que les garçons étaient petits, tirent deux coups de fusil en l'air pour tuer le Père Noël « Comme ça il viendra plus nous faire chier, le Père Noël… le Doc se rassoit et leur sourit »
Angèle qui, lors des obsèques de la grand-mère, quitte la main de son père pour prendre celle de son oncle.
Karl a genoux, quasi à plat ventre devant son père pour lui soutirer l'argent et régler sa dette de jeu et le père assis dans son fauteuil imperturbable, dédaigneux sous le portrait de son propre père.
La mère qui refuse ce nouveau Karl et qui enlève toutes les photos de SON Karl qu'elle pose sur la neige, tout comme elle le fera plus tard avec ses habits.
Le sanglier, le solitaire qui déambule entre les pages du livre traqué
Karl à la recherche d'un viatique qui va même tenter de voler les bijoux de la grand-mère agonisante.
Il y a le décalage entre la violence, la brusquerie qui sourd des personnages et la dentelle de l'écriture de
Séverine Chevalier qui raconte tout ceci. Pourtant, les mots sont durs, bruts qui diffusent une atmosphère de malaise, comme un brouillard épais qui vous tombe sur les épaules. Rien n'est net et tout est soupesé à l'aune de la haine familiale. Pourtant, les mots se font légers comme la neige qui tombe et se dépose en un épais tapis. La noirceur est contrebalancée par la blancheur de la neige, Angèle, si angélique, qui traverse l‘histoire.
Une histoire qui ne se laisse pas oublier facilement, le sortilège marche encore même plusieurs semaines après avoir fermé le livre. « Il faut bien que les choses se soient passées, d'une certain façon »
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