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EAN : 9782953541779
182 pages
Editions Ecorce (14/06/2014)
3.79/5   42 notes
Résumé :
Longtemps je ne me préoccupais pas de la scène blanche. Elle me hantait en sourdine et je faisais taire ses murmures, ou les laissais cogner, légers, aux parois d'une minuscule boîte, enfouie au plus profond de moi. Les bourdonnements de l'extérieur remplissaient leur office de fossoyeurs efficaces, diligents. je ne savais pas qu'alors, les cadavres refusaient de se décomposer.
Vingt ans après son départ, Karl est de retour chez les siens. le plateau de mille... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (21) Voir plus Ajouter une critique
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Excellente idée de la part de la maison d'édition La Manufacture de livres que de rééditer ce Clouer l'Ouest ( initialement paru en 2015 ), dans le cadre de l'opération 10 ans / 10 livres. Ce livre s'inscrit avec bonheur dans la lignée du roman rural noir à la nature writing.

C'est l'histoire d'un retour : celui de Karl, plus de 20 ans après avoir fui sa famille et son village limousin. Il va bousculer l'équilibre fragile qui s'est établi chez lui, entre son père, intransigeant et craint, sa mère bouffée par les cachetons, son frère qui s'est exilé à sa façon en vivant dans les bois au contact de la nature, son ex Maryline, son ami d'enfance Serge.

Les chapitres sont très courts, alternant classiquement passé / présent. Ils instaurent d'emblée une tension, sourde, menaçante, omniprésente , qui ne semble avancer que vers une fatalité terrible. Comme si le drame qui est en train de se construire à partir de ce retour n'était en fait que celui qui avait commencé 20 ans auparavant et qui devait s'achever là, maintenant que tous les protagonistes sont à nouveau réunis.

Le plus formidable dans ce roman, c'est l'écriture de Séverine Chevalier, ciselée, chaque mot sonnant juste, placé juste pour s'insérer dans une prose poétique et terrienne qui dévoile les âmes de façon évidente. Cette écriture superbe transcende le banal drame familial, le hisse au niveau d'un drame shakespearien qui convoquerait le poids des haines recuites. C'est violent et beau à la fois.

Voilà comment elle raconte les retrouvailles entre le père et le fils :

" Une bête au fond de l'eau lui bouffe les pieds et l'attire vers le bas, dans la tourbière, et il n'y a rien à faire, il s'enfonce inexorablement. Il ne peut rien faire d'autre que de s'entendre aligner des mots stupides et vains tant qu'il peut encore respirer, tant qu'il a encore une langue qui se débat, une limace folle dans la bouche, une langue qui glougloute et qui déballe tout. Plus de boulot, le jeu, la séparation, les dettes, les emprunts occultes à 30%, les menaces, la petite fille qui ne parle pas, la vie nouvelle, les rideaux, ce qui va changer, ce qui changera si ... Il en appelle à la miséricorde, la bondé, l'infinie sagesse de Dieu son Père, caché derrière l'ordinateur. Il s'aplatit, pauvre pêcheur, il rampe, il lui baiserait les pieds pour un geste, une parole. Il est le grand Coupable qui expie et qui se vautre, s'étale encore, ne peut plus s'arrêter de se vautrer, et là, précisément l'abjection, dans tous ces amas spongieux dans lesquels pourtant il se brise ( amas spongieux de la supplique au père.
Si ça se trouve, de la mousse s'est agglutinée aux commissures, mais quajnd il les touche avec le pouce et l'index écartés pour se sentir, c'est sec et fenfillé comme du bois.
Le Doc se lève, contourne le bureau, ouvre la porte qu'il laisse grande ouverte et sort d'un pas mesuré, lent et égal, sans un mot. Et Karl, désossé, ventre ouvert, tête cassée, si piteusement risible qu'il en pleurerait de rire, s'il continuait à s'observer de haut, comme un insecte."

Ce sens du tragique s'appuie également sur une très belle idée, celle de faire traverser le roman par deux « personnages » singuliers : Angèle et la Bête. Angèle, la fille de Karl, 5 ans, dérangeante par son mutisme et le regard insondable qu'elle porte sur la folie qui couve, c'est elle la narratrice, celle qui raconte son père. Et la Bête, un sanglier à la dimension quasi mythique qui est traqué sans fin par le village, comme une métaphore.

Un roman concis et intense que j'ai lu comme hypnotisée. Il ne m'a juste manqué que de vibrer d'émotions autant que j'ai vibré de plaisir esthétique en découvrant l'écriture de Séverine Chevalier.
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Du noir de noir sur fond de neige. La Creuse servie sur un plateau. 

Un retour au bercail pour éviter la déroute. Une route qui se termine dans une forêt.

Une forêt où se retrouver pour se perdre. Une forêt où chasser.

Une chasse .

Qui est le gibier? le vieux sanglier blessé?  le hobereau arrogant ? le fils revenu et humilié? Qui est le chasseur? L'Indien silencieux? L'aîné à l'oreille arrachée? le Doc au chapeau decoiffé? L'ancien d'Afghanistan  à la tête chamboulée?

Une famille.

Une mère perdue dans ses fantômes. Une Mémé sans mémoire. Une morte aux rimes énigmatiques. Deux frères , ennemis, deux frères complices,   et un arc brisé.  Un père arquebouté sur son mépris. Dont la respectabilité masque le crime. Deux fils tendus comme la corde de l'arc. D'où jaillira la flèche qui mettra fin à la tension? Une petite fille muette, protagoniste du drame, sans les  mots, plus tard,   romancière  du drame, avec les  mots. Cloués dans les silences et les non dits, ses mots.

 Encore une fois, Séverine Chevalier m'a captée,  capturée, captivée.

Séverine ma clouer.

Même incroyable qualité d'écriture pour ce western creusois que pour Les Mauvaises , cantaliennes et funambulesques. Un peu désorientée pendant les premières pages, je me suis fait prendre à ce retour de l'enfant prodigue qui déclenche des catastrophes à la chaîne, et entraîner derrière Karl, derrière l'Indien, derrière la petite Angèle, au coeur de la forêt,  au coeur de l'hiver, au coeur du piège.


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Encore sous le charme de la découverte de Séverine Chevalier avec Jeannette et le crocodile, j'enchaîne à rebours avec Clouer l'ouest. Same player shoot again : même grand plaisir à baigner dans ce ton et cette atmosphère singulière, tendue, dérangeante.

On est là au coeur du pays de Creuse, dans un de ces villages hors du temps, enfin d'un certain temps. Un lieu digne d'un JT de Pernaut, où les basiques sont les invariants : vieilles maisons, petits boulots, chasse, café… Un lieu dont on ne part que peu.

Karl, lui, est parti, un jour, convoyer des bateaux, loin. Pour fuir Doc, un père capable de flinguer même le père Noël. Et fuir un peu les autres aussi. Une dizaine d'années plus tard, il revient au pays avec dans ses bagages, Angèle sa fillette qui ne parle pas et 42 000 euros de dettes de jeu.

Retrouvailles bizarres : son frère Pierre dit l'Indien ; Maryline amour d'autrefois qui vit désormais avec Serge, barman névrosé ; et aussi Odile, la mère ; et l'oncle ; et Doc, qui porte l'espoir d'une dette soldée et d'un rebond attendu. Personne n'a oublié Karl mais personne ne l'attend non plus.

Au coeur d'un village davantage tourné vers la traque de la Bête, vieux sanglier qui n'en finit pas de déjouer les viandards revanchards, que vers le retour de Karl, les éléments du drame sont posés. Les règlements de comptes familiaux peuvent commencer.

Car Clouer l'ouest est construit comme un véritable drame antique qu'on aurait transposé dans la Creuse moderne ou comme un western de la grande époque qu'on aurait tourné sur le plateau de Millevaches. Western d'hiver, m'avait-on dit. Parfaitement vu.

Fait de petits chapitres courts entrecoupés de flashbacks (un jour) tout aussi courts, la construction y est virtuose, faisant monter crescendo un à un, sans en avoir l'air, les éléments du drame que l'on sent poindre.

Lire Séverine Chevalier, c'est entrer dans un univers aux mots économisés, c'est-à-dire pensés, probablement doutés, soupesés et enfin souhaités, comme pour mieux leur rendre leur sens et leur force. Et parfois, les mots deviennent jeu, se libérant de leur positionnement académique pour permettre au texte de devenir poésie. Et là, ça claque fort !

Amis de Vleel et d'ailleurs, le message est simple : on se précipite si ce n'est déjà fait !
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Ce roman n'est pas commun, l'écriture de l'auteure n'est pas commune. Les premières pages sont mystérieuses, elles ressemblent à des pensées jetées sur le papier.

Karl est un personnage torturé, il a des ennuis, il souhaite les fuir en retournant à ses origines, le village ou vivent encore ses parents, son frère, son oncle, et tout son passé.

Ce livre, c'est l'histoire d'une famille, elle est abîmée, chaque membre a ses blessures.

Ce roman est très noir, les personnages que nous dépeint Séverine Chevalier, ne semblent pas connaitre le bonheur, un peu comme si celui ci s'était arrêté à une frontière imaginaire.

Leurs vies s'écoulent avec son lot de souffrance, mais rien ne semble pouvoir mettre un terme à cela, ils attendent et laissent venir.

C'est en tout cas le ressenti que j'ai après la fin de ce roman, qui m'a dérangé, dans le sens ou il m'a amené à me questionner, me mettre plein de questions en tête: Pourquoi? Que s'est-il réellement passé avant le départ de Karl?

Pas de conte de fée et de sentiment dégoulinant ici, ni d'ailleurs de violence verbale, mais de la noirceur que l'auteure nous fait ressentir grâce à ses mots, des phrases et des pages courtes, comme des gifles littéraires.
Lien : http://livresque78.wordpress..
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"(...) La mécanique du récit est tranchante, parfaite, sobre, sans fioritures. Dans cet agencement, chaque personnage est un continent. le seul qui semble incapable d'évolution et conserve sa stature monolithique est le doc, le père du père. Ce roman court, parfait, sec et mélancolique, qui ressemble à une improvisation manouche, fait comme Karl quand il boit : “…plus il raconte et plus ça devient vrai, comme le sont parfois les rêves.” Et finalement, vrai ou pas, comme il est posé dès le départ, on s'en fout. On est invité dans une variation, pour un éblouissant tour de piste dans différentes temporalités, dans la mosaïque brillante des souvenirs possibles, la sensorialité intense des tricotages de l'esprit. (...) quand on l'a lu, on a envie de le relire encore et encore, comme on revient à une anamorphose, ou à certains tableaux. Parce que la langue de Séverine est lumineuse, claire, à la limite de la brutalité parfois, servie par une économie du récit toute en équilibres délicats, dépouillée, limpide. Un univers."
Les papiers de Lonnie in DM
Lien : https://doublemarge.com/clou..
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Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
Elle avait sa voix douce et inquiète à la fois, et cette façon de le questionner comme si son avis avait la moindre importance, comme si tout n'était pas déjà plié d'avance, et encore, c'était lui qui devait la rassurer, la confirmer dans ses choix, valider une nouvelle fois son éjection propre et nette, sans douleurs, démocratique comme l'est la loi du plus fort habillée de considérations participatives dans le couple - le couple quelle merde, l'amour quelle merde, l'amour comme la mer un putain de mirage acide, voilà tout. Et dire qu'il a été assez con pour croire à ce qui n'existe pas, nulle part, en aucun lieu.
(p. 64)
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Mais elle n'aura pas les rats aux yeux jaunes, la neige. Eux ne se laissent pas attendrir par ses promesses falsifiées, sa langueur hypnotique. Eux savent bien qu'elle se déguise, provisoire, prête à  muer en pluies glaciales qui décapent tout.
De toute façon ils ne dorment jamais, les rats aux yeux jaunes.
Ils attendent juste le moment opportun pour surgir des crânes.
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Le Doc fera un chèque, il en a largement les moyens, et ce sera plié. Il lui dira bonne chance et il pourra repartir, régler ce qu’il doit à l’autre. Il ira à Marseille et trouvera un boulot. Il habitera non loin de Sabine et Thierry et Angèle. La mer le narguera encore, mais ce sera sans importance, alors. Plus aucune importance pour la vie nouvelle. Il achètera des rideaux pour les fenêtres du petit appartement qu’il louera pour pas trop cher. Voilà à quoi il pense : aux rideaux colorés qu’il achètera pour les fenêtres du petit appartement au fond d’une impasse tranquille. S’il croit aux rideaux qu’il accrochera, tout est encore possible. Il n’a pas besoin d’avoir peur.
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Elle va mal, a dit l'aide-soignante gentille, celle qui met toujours une main sur l'épaule. Odile voudrait croire au geste spontané, elle espère que les protocoles ne fixent pas - aussi - ce genre de choses (vous veillerez à poser la main sur l'épaule en cas de mauvaises nouvelles), mais elle a un doute. Un doute léger, disons. Elle ne s'y appesantit pas.
(p. 92)
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[ retrouvailles entre frères, après une vingtaine d'années ]
A présent leurs corps se ressemblent, et Karl voudrait bien croire à une coïncidence plus grande encore, une coïncidence absolue. Mais lui, Pierre, c'est un arbre. Avec des racines enfouies très loin dans le sol. Et un surplomb, une hauteur, que lui n'a jamais eus. Il se sent petit et flou.
(p. 48)
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Vidéo de Séverine Chevalier
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- Connemara, Nicolas Mathieu, Actes Sud, 22€ - Reine de cœur, Akira Mizubayashi, Gallimard, collection Blanche, 19€ - Jeannette et le crocodile, Séverine Chevalier, La Manufacture de livres, 16,90€
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