[...] lui qui n'enviait jamais rien ni personne aurait tout de même aimé savoir écrire comme le Policier : vite, sans peine ni hésitation, ni rature, et magnifiquement. Oui, il aurait aimé pouvoir tracer sur le papier certaines pensées rapides qui parfois le traversaient, des fragments de phrases sans queue ni tête mais qui lui procuraient du plaisir, par leur musique, par leur goût, et par leur couleur aussi, ce qui était une idée grotesque puisque les mots n'ont ni saveur ni couleur, mais ces débris de phrases, sortis il ne savait d'où, se faufilaient en lui, soldats enfuis d'un défilé et qui, après avoir jeté leur fusil, leur casquette et leur cartouchière, s'égaillent en riant vers des espaces où ne règne aucun officier. Cela le ravissait, même si aucune de ses phrases ne s'installait dans sa mémoire, qui n'était pas très spacieuse.
"A quel signe comprend -on dans l'Histoire des hommes qu'il est trop tard? Quel indice, quelle marque, quelle faille, quel mince évènement permet d'alerter les esprits et de solliciter leur vigilance? Quel infime changement , quel déraillement discret peut intriguer quelque veilleurs attentifs afin qu'ils donnent l'alerte qui éviterait la plongée dans le chaos? Mais au fond, cela servirait-il à quelque chose? Quelque part, et sur une certaine horloge, ,'est-il pas toujours trop tard?"
Je n'ai jamais aimé l'ironie. Elle donne aux idiots l'illusion de l'intelligence.
Il connaissait le Maire. C'était sans conteste le plus timoré de tous les hommes de la ville, et un des plus idiots [...] et c'était en raison précisément de son intelligence médiocre qu'il avait été choisi par les autres, trop prudents pour élire à la tête de leur communauté un homme téméraire qui aurait eu des idées de changement et le désir de les mettre en œuvre, et trop orgueilleux pour choisir un esprit plus brillant que le leur. L'immobilité est gage de paix et la bêtise, bien souvent son alliée. Les sociétés, petites ou grandes, savent donner les rênes de leur administration aux crétins somptueux. Tout cela est vieux comme le monde et ne connaît pas de frontières.
L'étiquette avait sauté.
On était entre hommes simplement.
Entre hommes ivres.
[...]
Du haut de leur mort, les cerfs, les biches, les sangliers, les rennes, les élans, les lynx et les ours naturalisés, qui tapissaient les hauts murs de mélèze, contemplaient de leur impassible regard de verre la débauche des hommes qui, sous eux, avaient changé la belle table recouverte de lin blanc et de vaisselle délicate en un champ d'ordures domestiques où s'amalgamaient désormais les souillures de sauces et de verres renversés, les assiettes sales, les débris de viande et de pain, les serviettes froissées, les couverts graisseux et les cendres des cigares.
L’homme est toujours capable de se dépasser dans le pire (p. 287)
Sans doute ne naît-on pas bon ou mauvais, mais simplement dans l'attente d'une métamorphose ? L'homme n'est peut être qu'un moule creux au sein duquel sera versé un jour le plâtre qui fera apparaître sa forme véritable et sa nature exacte ?
Le voisin est un fauve qui attend le moment de faiblesse pour dépecer celui qu'il observe et jalouse depuis tant d'années. P.436
Qu'il est dommage que nous ne puissions jamais parcourir les livres d'Histoire consacrés au moment où nous vivons. Cela ne se peut car l'Histoire pour se faire a besoin que soient devenus cadavres les hommes dont elle prétend retracer les vicissitudes. Au vrai, si le pouvoir nous était donné, devenus squelettes ou cendres, de goûter de nouveau à la vie et à la conscience, et de connaître alors le portrait qui est fait de notre temps, ainsi que des nôtres, je ne sais quoi du rire, des larmes ou de l'agacement l'emporterait.
Il respirait la jeune fille.Il buvait son haleine. Il dévorait ses seins tendres. Il devinait ses cuisses nues, ses genoux, ses longs orteils. Tout cela sans la toucher.