Par accident

C’était une énigme pour nous, cette fille distante et ultrasexy qui n’avait que faire de nos us et coutumes. Le week-end, elle préférait aller à Manhattan. Elle avait fait l’Europe avec un sac à dos. Elle était sombre, mystérieuse et avait le goût du risque, le genre de fille qu’on imaginait sortir avec des étudiants ou des profs. Nous étions trop lourdauds pour elle.

C’en est peut-être une, je ne sais pas. Ou alors, c’est autre chose.Une détraquée, par exemple. On en voit parfois. Des nanas sexy, mariées, mères de famille. Elles viennent ici pour coucher avec des mecs. Des détraquées, quoi. Elle est peut-être comme ça, elle aussi.
Voilà qui est rassurant.

Ce drame nous a rapprochés. Mais on a beau se sentir proche de quelqu’un qui vit la même chose que vous, la douleur est toujours là. C’est une relation carotte-bâton, la définition même du doux-amer.

Pas étonnant. Je suis un homme d’une carrure respectable, pas une femme d’un mètre cinquante qu’il peut tabasser pour se sentir exister.

Normalement, à ce stade, elle suggérait qu’ils aillent dans un endroit plus tranquille. La plupart des hommes sautaient sur l’occasion – là-dessus, la réaction était très prévisible –, mais elle n’était pas sûre que l’approche directe marche avec Dale Miller. Pas parce qu’il ne semblait pas intéressé, mais parce qu’il paraissait – elle ne savait pas trop comment l’exprimer – au-dessus de ça.

Elle aussi devait se mettre à table. C’était la règle du jeu. Histoire d’amorcer la pompe. Elle avait une histoire toute prête, spécialement pour ce genre d’occasion. Une histoire inventée de toutes pièces, certes, mais quelque chose dans l’attitude de Miller l’a poussée à y ajouter deux ou trois faits réels. Évidemment, elle n’allait pas lui dire la vérité. Personne ne la connaissait, sauf Rex. Et encore, il ne savait pas tout.