Tu comprends, ça n'existe pas la pluie, avant qu'elle tombe. Il faut qu'elle tombe, sinon ça n'est pas la pluie. C'était un peu ridicule de vouloir expliquer ça à une enfant, et je regrettais de m'être lancée là-dedans. Mais Théa ne semblait avoir aucun mal à saisir le concept - bien au contraire: au bout d'un instant, elle m'a regardée avec pitié en secouant la tête, comme si c'était éprouvant pour elle de discuter de ces matières avec quelqu'un d'aussi obtus. "Bien sûr que ça n'existe pas, elle a dit. C'est bien pour ça que c'est ma préférée. Une chose n'a pas besoin d'exister pour rendre les gens heureux, pas vrai?"
Que c’est difficile de t’expliquer tout ça dans le bon ordre ! Comme d’habitude, je suis censée te décrire une photo, et je te raconte tout pèle-mêle. Mais peut-être qu’il n’y a pas d’ordre, après tout. Peut-être que l’ordre naturel des choses, c’est le chaos et l’aléatoire. Je ne suis pas loin d’en être convaincue.
On dit que dans les moments d’émotion intense une fraction de seconde équivaut à une éternité.
Il y a une raison à tout, au cas où tu ne l’aurais pas encore appris dans ta courte vie.
Comme c’est étrange : la plupart de nos souvenirs les plus vifs ne sont pas visuels.
D'abord un lac. Un ciel bleu limpide, sans un nuage. D'un bleu azuré et intense tout en haut de la photo, puis qui va en palissant jusqu'à en devenir presque blanc à l'endroit où il effleure le sommet des montagnes. Oui des montagnes à l'horizon : des pics jumeaux, qui encadrent la photo , reliés par une longue crête qui s'infléchit doucement en son milieu.
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Il s'agit du Lac Chambon, dans le sud de l'Auvergne. L'eau est absolument immobile et reflète le contour des montagnes avec une symétrie exacte et immuable, à tel point que si on fixe assez longtemps l'image, on a l'impression de voir un motif géométrique abstrait.
Je revois Thea fronçant les sourcils en méditant ces paroles, et puis elle a proclamé : « Eh bien moi, j’aime la pluie avant qu’elle tombe. » (p.164)