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Citations sur Faits (14)

La nuit, dans un faubourg où il s’est égaré, un homme doit affronter un gros chien le menaçant au milieu d’une rue déserte. Loin de rebrousser chemin (et assez stupidement, il en est convaincu), le passant choisit de poursuivre sa route : il est trop mécontent de lui ce jour-là, trop fatigué, trop assommé par tout le désespoir de ce quartier éloigné pour accepter, de surcroît, l’idée de rentrer chez lui en ayant manqué de courage.
Lorsqu’il parvient à sa hauteur, le chien hurle avec rage en montrant les crocs. Cependant, loin d’attaquer il recule et, maintenant que l’homme est à sa portée, il se calme même un peu. Bientôt les aboiements tournent au grognement, et de plus en plus faible, tandis que l’animal baisse les oreilles.
L’homme a largement dépassé le chien quand il se retourne. C’est pour apercevoir l’animal silencieux, tout penaud au milieu de la rue, et qui agite faiblement la queue. Se sentant encouragé par le regard du passant attardé, il lui emboîte même le pas.
« Nous avons eu peur l’un et l’autre », murmure l’homme en lui caressant le crâne de sa main encore moite, « nous avons été courageux l’un et l’autre. Et maintenant qui n’aurait besoin d’un peu d’amour ? »
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Notes d’un Parisien, en vue d’une topographie intime de la capitale, où il est né et n’a jamais cessé de vivre :
(...)
c) Comment venir à bout de l’idée qu’il fait plus froid autour de la gare du Nord et de la gare de l’Est, et que, les jours de canicule, rien n’est plus torride à Paris que les abords de la gare d’Austerlitz et de la gare de Lyon ?
(...)
j) Places, boulevards, rues, faisant office de frontières entre deux, voire trois quartiers. Dans cette zone franche, et parce qu’on ne sait jamais à quel quartier ils appartiennent vraiment, impression que les passants sont tous des contrebandiers.
k) Sens ravivés, yeux rincés plusieurs fois par jour, comme sur le pont d’un navire en haute mer, lorsqu’on émerge du métro.
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La musique, elle aussi , révèle des trésors que l'homme n'ose explorer que dans la solitude. Il est allé jusqu'à écouter soixante-quinze fois d'affilée les deux premières mesures d'un bref solo d'alto dans un mouvement lent de Mozart. Et l'idée lui est venue que seul, peut-être, un musicien ayant énormément travaillé cette pièce aurait pu, un jour de fatigue, et au mépris évident du caractère général de l'oeuvre, rester hanté lui aussi par toute l'étrangeté pathétique de ces quelques notes sans attaches bousculant seules l'immense torpeur des choses.
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Un écrivain tente de déterminer, de la manière la plus objective possible, le poids de quelques expressions et mots familiers tels que « je t’aime » dans la bouche de sa compagne. Chaque fois que l’expression est prononcée, il coche dans un carnet une gradation de un à cinq, au-dessus, ou en dessous, de ce qu’il appelle « le poids nul du sens ». Cette note est elle-même tempérée par une seconde, variant de moins trois à plus trois, en fonction du « degré d’adéquation ».
C’est ainsi qu’un « je t’aime » que rien n’avait préparé, au cours d’une promenade en forêt ou d’un voyage en autobus par exemple, peut être noté plus cinq, avec un degré d’adéquation de moins trois, soit le sens le plus fort. Dans un restaurant de luxe où il convie sa compagne pour son anniversaire, après lui avoir offert un bijou, le même aveu n’obtiendra respectivement qu’un moins cinq et un plus trois, ce qui est très peu, pour ne pas dire rien.

(XCIV)
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Songeant à son meilleur ami, décédé il y a maintenant trois ans, un homme a l’idée saugrenue de dresser un bilan des évènements survenus depuis sa disparition.
Force est de constater qu’il ne s’est à peu près rien passé qui aurait suscité l’enthousiasme de son ami, à plus forte raison modifié sa vie. Certes, chacun a, à tout instant, la liberté de bouleverser son destin et, faute d’une telle force, regarder autour de soi, marcher, respirer sont déjà des ambitions respectables. Cependant, l’homme ne peut chasser l’idée qu’à presque tous égards ces trois années auraient équivalu pour son ami à du temps mort. Et il en arrive à se demander si, croyant à la Résurrection, et la sachant même imminente, il ne serait pas tenté de s’écrier : « Halte-là ! Va-t-on vraiment réveiller quelqu’un pour si peu ? N’est-il pas préférable d’attendre encore un peu ? »

(LXXX)
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A l’instar du poète américain Keith Waldrop, un écrivain se demande qui donc aurait assez d’imagination pour dresser, fût-ce en plusieurs jours, la liste des évènements survenus dans le monde pendant tout le temps où il hésitait entre deux états d’une phrase, au demeurant fort banale, et qui le laissent d’ailleurs aussi insatisfait l’un que l’autre.

(X)
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Gloire et déboires du pentathlonien hongrois Andras Balczo:
Comment, des années durant, il s'entraîne seul tous les jours, par tous les temps, y compris dans la boue, sous la neige et sur le verglas, engloutissant par ailleurs son unique salaire dans l'entretien d'un cheval et d'une arme de compétition.
Comment, gravissant tous les échelons, il est sacré trois fois champion du monde avant de devenir champion olympique en 1972, arrachant larmes, transes et ovations aux plus endurcis de ses compatriotes.
Comment, n'ayant plus rien à espérer, sauf à se maintenir un an ou deux dans l'air raréfié des cimes, il préfère se retirer en pleine gloire.
Comment, alors qu'on lui propose des fortunes aux USA comme entraîneur, il choisit de rester dans son pays, expliquant qu'il ne voit pas pourquoi sa gloire devrait transformer ses enfants en déracinés.
Comment, les mois passant, et faute de se voir offrir quelque situation que ce soit en Hongrie, il est finalement contraint d'accepter un modeste emploi de garçon d'écurie dans un club hippique de province.
Question du cinéaste Ferenc Kosa qui, en 1976, lui consacre un film:
- Comment expliquez-vous que vos compétences et votre gloire ne soient pas mieux employées, comme sélectionneur par exemple ou, mieux encore, comme entraîneur de l'équipe nationale?
Réponse:
- Si l'on utilise les compétences, que deviennent tous les incompétents?
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Notes en vue d'une étude systématique sur l'exploitation pécuniaire des victimes:
a)Mars 1939: circulaire du ministre allemand des cultes exigeant des communautés juives qu'elles paient le déblaiement des décombres des synagogues incendiées dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938 ( dit Nuit de cristal) par les SA sur ordre du ministre de la propagande Joseph Goebbels....

.....
e) Fin 1942 : dans le ghetto de Varsovie affamé et décimé, des Juifs supplient les Junaks ( étrangers, et notamment Ukrainiens, servant dans la Wehrmacht) de leur tirer dessus pour en finir au plus vite et sans souffrance. Les Junaks exigent 100 zlotys( 20 dollars) par balle. Cependant, il arrive qu'ils empochent l'argent et ne tirent pas.
f) Valeur symbolique de l'exemple chinois: les condamnés à mort sont exécutés d'une balle dans la nuque, laquelle balle est ultérieurement facturée à la famille.
g) Juin 1994: au Rwanda, il faut payer pour être exécuté par balle et non à la machette. Et il y a souvent des enchères.
h)Mai 1999: chassés de leur village, des Kosovars doivent payer de 500 à 2000 deutsche Marks aux policiers et militaires serbes pour être autorisés à quitter les villes où ils sont regroupés dans un premier temps, puis de 100 à 150 Marks aux passeurs qui les conduisent ensuite par petits groupes jusqu'aux frontières de leur pays. Lorsqu'ils font le trajet en autocar, le tarif officiel des transports en commun yougoslaves se voit parfois multiplié par trente. Si l'autocar est arrêté en cours de route par des paramilitaires serbes, il arrive qu'on rançonne encore les voyageurs de 4000 deutsche Marks par personne. Faute d'acquitter cette somme, ils ne sont pas autorisés à poursuivre leur route vers l'exil.

( Toutes les sources sont données en fin d'ouvrage)
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Comment préjuger de ce que ces écrivains inconnus (tués pendant la première guerre mondiale) auraient produit parvenus à l’âge mûr ? Se référant à ce que publièrent au même âge les survivants devenus célèbres, les universitaires veulent seulement attirer l’attention sur une littérature potentielle bien différente de celle que nous connaissons et, en toute hypothèse, plus riche (...)
A l’évidence la notoriété de nombreux survivants doit beaucoup au vide dans lequel ils n’eurent, en somme, qu’à décapuchonner leur stylo pour s’imposer.
(...) si la Première guerre mondiale a fait dix millions de morts, la Seconde en fit cinquante millions et les régimes se réclamant du communisme entre quatre-vingts et cent millions. Et c’est sans compter les vingt millions de victimes des divers conflits armés ayant ensanglanté le monde depuis 1945. A une telle échelle, explique-t-il*, et quelle que soit sa spécialité, chacun peut légitimement se demander s’il doit bien sa position à ses talents, et non pas plutôt au monstrueux appauvrissement de la vie intellectuelle sur la planète.

* Préfacier du travail universitaire sur le sujet.

(XVII)
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Un homme se demande quelle solitude élémentaire il cherche encore à préserver( et avec quelle étrange pudeur) quand il se croit tenu d'expliquer qu'il vient de passer une heure à s'acquitter de tâches ingrates, alors qu'en réalité il observait, allongé dans l'herbe comme il le faisait enfant, l'offensive d'une légion de fourmis rouges contre les cohortes, sans cesse renouvelées, d'une armée de fourmis noires.
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