AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782073036384
Gallimard (05/10/2023)
4.23/5   13 notes
Résumé :
« Il m’est arrivé de rencontrer des hommes admirables, cependant les seuls êtres à qui j’ai conscience de tout devoir sont des femmes. Elles se sont comportées à mon égard avec tant de naturel, de détermination et l’une d’elles de courage, que j’ai pu sous-estimer longtemps à quel point rien n’allait de soi.
Orphelin et enfant caché pendant la guerre, je n’acceptais ni l’autorité des hommes qui se substituaient à mon père, ni l’attachement des femmes qui avai... >Voir plus
Que lire après Cinq femmes : Sur la scène intérieure, II - FaitsVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Période faste, j'ai droit à un nouveau télescopage de lectures : à la fin de « Avant », Jean-Bertrand Pontalis évoquait son concept de « l'autographie », dont j'ai entrevu la définition par le négatif : ce n'est pas une fiction, mais ce n'est pas non plus une autobiographie. Pontalis dit : « l'autographie est graphie de soi qui crée un Je par l'écrit ». Comprenne qui pourra...
Dans les premières pages de « Cinq femmes » Marcel Cohen précise ses réticences à évoquer sa vie, à parler de lui, et nomme Pontalis et cette idée d'autographie qui le séduit. Dont Pontalis disait aussi que « c'est : j'écris en mon nom, mais je ne me regarde pas dans un miroir. » Juste un peu plus limpide... Il rappelle par ailleurs que c'est Pontalis qui a publié son ouvrage « Faits » dans la collection « L'un et l'autre » qu'il dirigeait chez Gallimard.
Marcel Cohen va donc m'offrir la démonstration par l'exemple du concept pontalisien...

Il revenait de promenade avec Annette, la bonne de la famille, en août 1943, quand la concierge de leur immeuble leur a fait signe de s'éloigner : il avait six ans et sa famille venait d'être arrêtée. Annette et Mathurin, son mari, ont accueilli chez eux, à Messac, en Ille-et-Vilaine, jusqu'à la fin de la guerre, le petit garçon juif dont ils ont caché bien sûr l'identité véritable.

Après la Libération, un oncle maternel de Marcel Cohen, et sa femme, Emmanuel et Lily, ont voulu s'occuper de lui. Mais leur logement et leurs moyens ne leur ont pas permis de le prendre chez eux. A défaut de pouvoir l'inscrire en pension, ils l'ont confié à un couple sans enfant, Raymonde et François, qui vivaient dans une petite maison près de Vaujours. Marcel Cohen est resté chez eux pendant deux ans.

Et puis il a rejoint, à Paris, le foyer d'Emmanuel, de Lily, et de leur fille, du même âge que lui, quand une meilleure situation l'a permis : une sorte de loft avant l'heure, où l'atelier de modiste de Lily et les pièces de vie n'étaient isolés les uns des autres que par des rideaux. Lily rêvait d'un logement avec murs, cloisons, portes et fenêtres...

La scolarité déplorable de Marcel va être secourue par Mme Gobin : ancienne institutrice, ancienne directrice d'école, elle installe l'adolescent chez elle pendant un an – il y aura une chambre pour lui seul pour la première fois de sa vie - et le prépare à l'examen d'entrée en sixième, à sa façon : anarchique, totale, sans préjugés d'aucune sorte, heureuse. Et efficace. Marcel Cohen, en vivant auprès de Lily et de Mme Gobin, a côtoyé des femmes curieuses, avides d'apprendre, et partageant avec lui leur goût pour le théâtre, le cinéma, l'opéra, la littérature...

Enfin, jeune homme, et journaliste débutant, il se lie avec Gabrielle. Secrétaire d'Albert Einsteinavant-guerre, exploratrice intrépide en Assam, au Tonkin, journaliste et écrivain, elle encourage Albert Cohen et « l'éveille à l'exploration ». Un personnage absolument atypique, qui vit hors des sentiers battus et des conventions.

Ces cinq femmes semblent n'avoir jamais fait intrusion dans la peine de l'orphelin, respectant et comprenant sa réserve solitaire, mais lui offrant jour après jour un toit, des soins, une affection silencieuse et pudique, un environnement plein d'attentions. Les hommes, injustement oubliés me semble-t-il dans le titre, n'étaient pas en reste : le geste de François, cet homme sans enfant, un peu bourru, rectifiant l'inclinaison du béret du gamin Marcel, selon son critère à lui, pour qu'il ne ressemble pas « à un potiron », m'a retournée. Un regard, un geste, quelques mots, d'une absolue justesse, qu'il s'autorise avec cet enfant dont il n'oublie jamais qu'il est écorché vif.

« Cinq femmes » est donc mon deuxième livre de ceux que Marcel Cohen sous-titre « Faits ». Les exégètes dissertent sur une façon nouvelle d'aborder l'histoire, par la transcription des « faits » quotidiens d'une vie singulière.
Moi, je vois simplement dans ce livre-ci la preuve indubitable que l'amour se dit mieux en gestes, en faits, qu'en mots. Les attentions, les inquiétudes, la tendresse retenue, la présence discrète mais ininterrompue de ceux dont l'enfant Marcel Cohen a partagé la vie, après-guerre, par épisodes successifs, sont bouleversantes, d'une intensité que des mots d'amour n'auraient su atteindre.
Le talent de Marcel Cohen pour transcrire cet amour sans jamais le nommer, en rapportant ces « faits » minuscules dans leur banalité, immenses dans ce qu'ils sous-entendent, est tout aussi émouvant.

Commenter  J’apprécie          333
Marcel Cohen tente de reconstituer son enfance
torpillée par la raffle de sa famille.
Il a pour cela mener des recherches au long terme,
consulter les archives des états civils et des journaux.
Interroger sans cesse les témoins d'un passé explosé.
Sa quête est essentielle mais tatonnante..
Il rend un très bel hommage aux cinq femmes
qui ont fait de lui ce qu'il est aujourd'hui.
Celle qui l'a protégé au risque de sa vie.
Celle qui lui a appris la fantaisie ,l'opéra, la beauté
Celle qui l'a entourée de son affection silencieuse,
au milieu de poules et des lapins quand il était mal.
Celle qui lui a fait rattraper son retard scolaire
avec des méthodes qui nous font rêver
Celle, enfin qui lui a ouvert les portes du Monde.
Lecture plaisante et émouvante.
Il est plutôt rare qu'un homme ait l'élégance
de reconnaître ainsi tout ce qu'il doit aux femmes!

Commenter  J’apprécie          192


critiques presse (1)
LeMonde
20 octobre 2023
Dans l’obstination que l’écrivain met à le restituer, et sans que rien soit dit directement, on devine l’immense douleur recroquevillée dans l’enfant, que ces femmes ont su, par instants, déplier.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Mme Gobin avait remarqué que j’écorchais encore trop de mots. Ce n’était pas acceptable pour un élève de sixième. Lorsqu’elle était couchée, je m’asseyais donc sur un tabouret, au pied de son lit, et lisais France-Soir à voix haute. Elle reprenait chaque mot, chaque nom estropié jusqu’au moment où elle s’endormait ; elle avait décrété que les textes insipides qu’on trouve dans les manuels de lecture courante pour un enfant n’étaient plus du tout de son âge, ni du mien.
Commenter  J’apprécie          140
Sur cette photo, il m‘aurait été impossible de ne pas reconnaître immédiatement Mathurin Gru à sa moustache et à son bouc. Juste derrière lui, se tient une femme en chapeau cloche orné d’un gros-grain. Elle a la tête légèrement penchée sur le côté et un petit air triste en dépit du sourire auquel elle s’efforce. Dans la famille Gru, on avait beau se demander depuis des décennies qui pouvait bien être l’inconnue au chapeau, on était bien en peine de trancher. Pour moi, il fut instantanément clair qu’il s’agissait d’Annette. Il n’y avait pas l’ombre d’une hésitation possible. Je n’avais pourtant que sept ans lorsque j’ai vu Annette pour la dernière fois.
Commenter  J’apprécie          90
Lily, toute sa vie, regretta de n’avoir pas fait d’études et s’émerveillait dès qu’un petit pan de savoir se dévoilait. Quel que soit le domaine, littérature, opéra, arts, sciences naturelles, tout ce qu’elle apprenait était invariablement « extraordinaire » et elle faisait répéter plusieurs fois pour être certaine d’avoir bien compris.
Commenter  J’apprécie          130
Mercado*, en bon érudit, savait que parmi les six cent treize mitzvot**, positives ou négatives, qu’un bon Juif se doit de respecter, il y a l’injonction « lis », autrement dit « étudie ». La tradition enseigne que, s’il faut renoncer à toutes les mitzvot sauf une, « lis » devient la mitzvah la plus importante. Avec elle on peut retrouver les six cent douze autres. Mais la réciproque n’est pas vraie. Etudier prend donc le pas sur tout autre devoir.

(* grand-père de Marcel Cohen)
(** injonction, commandement)
Commenter  J’apprécie          81
Bien entendu, la famille Gru n’avait, à plus forte raison, aucun moyen de savoir que le couple avait caché chez lui un enfant juif pendant la guerre : Annette, après la mort de Mathurin, n’avait conservé aucun lien avec son ancienne belle-famille et ce n’était pas non plus le genre de femme à crier sur les toits ce qu’avait été sa vie pendant l’Occupation.
Commenter  J’apprécie          100

Videos de Marcel Cohen (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Marcel Cohen
Jean Frémon La Blancheur de la baleine éditions P.O.L où Jean Frémon tente de dire de quoi et comment est composé son nouveau livre "La Blancheur de la baleine" à l'occasion de sa parution aux éditions P.O.L et où il est notamment question de Michel Leiris, David Hockney, Emmanuel Hocquard, Bernard Noël, Alain Veinstein, Etel Adnan, Louise Bourgeois, Jannis Kounelis, Jacques Dupin, Claude Esteban, Samuel Beckett, Marcel Cohen, Jean- Claude Hemery, Jean- Louis Schefer, David Sylvester, Edmond Jabès à Paris le 2 février 2023
"Ce sont des écrivains, des peintres, des sculpteurs.
Aventuriers de l'impossible. Ce sont des bribes de leurs vies. Tous des chercheurs davantage que des trouveurs. J'ai eu le privilège de les côtoyer. Ce qu'ils poursuivent est ce qui toujours se dérobe. La grâce est une fieffée baleine blanche."
+ Lire la suite
autres livres classés : mémoiresVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (39) Voir plus



Quiz Voir plus

Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
1711 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *}