Jacob Weisen est un survivant des camps de concentration. Quand il est libéré, il n'a qu'une seule idée en tête : refaire sa vie en Amérique Aussi, quand les services d'immigration viennent le voir, il décide de se faire passer pour un héros, car « les Américains, il le savait, avaient un faible pour les héros. » C'est avec un trémolo dans la voix qu'il sert, à la jolie jeune femme qui l'interroge, la tragédie de son ami, Isaac Becker. Isaac est l'auteur d'un livre mettant en scène le Gitan, « hanté par les spectres des gens qu'il a rencontrés dans les camps avant qu'ils ne soient gazés. Ces spectres lui racontent leur histoire, qu'il doit, à son tour, raconter au monde pour survivre. »
J'ai entendu parler de ce mince volume (il ne compte que quatre-vingt-quatre pages) dans une chronique, où il était présenté avec un tel enthousiasme, que je l'ai acheté et lu immédiatement.
Ce récit appartient au genre qu'on qualifie de « novella ». Il est subdivisé en sept parties portant une date et un nom de lieu. Il commence et se termine à New York en 2011. Jacob Weisen est un vieil homme emmené par sa petite-fille à une vente aux enchères. On y proposera le célèbre « Livre des spectres » pour lequel son ami, Isaac Becker, a sacrifié sa vie dans un camp voisin d'Auschwitz. Pendant le trajet en voiture, Jacob est plongé dans ses souvenirs. Il se remémore les étapes de sa vie, et comment il a fait naître le « mythe d'Isaac Becker ». Nous verrons ainsi intervenir différents protagonistes qui ont joué un rôle important dans cette affaire, à différents endroits et à différents moments, de 1946 à 2011, et d'Auschwitz à New York.
Jacob n'a même jamais entendu parler d'eux. S'il est le personnage central, il est loin d'être un héros. D'entrée de jeu, il nous révèle son vrai visage pas très reluisant. Un premier mensonge en entraînera toute une série, dans la toile desquels Jacob se retrouvera englué sans plus pouvoir en sortir.
Bien sûr, le personnage le plus important est celui qu'évoque le titre, Isaac Becker, qui n'apparaît jamais dans ce récit, pour la bonne raison que, nous le savons dès le début, il est mort avant qu'il ne commence. Pourtant, toute l'histoire tourne autour de lui et, petit à petit, il va devenir une légende.
Le livre est court mais très dense. Il est suivi par un entretien avec l'auteur, dans lequel celui-ci expose la genèse de son oeuvre et la personnalité de son anti-héros. Seuls les lecteurs connaîtront le double visage de Jacob, qui se dévoile sans aucune auto-complaisance.
Reed Farrel Coleman n'écrit pas, ici, un énième livre sur la deuxième guerre mondiale. Il nous fait pénétrer dans l'horreur d'un camp où, pour survivre, on est parfois (souvent) amené à commettre des actes atroces. Dans cet enfer de souffrances et de mort, pas de place pour de nobles valeurs comme compassion, humanité, entraide. C'est l'endroit où, pour sauver ce qui reste de sa misérable peau, on est prêt à commettre l'irréparable. Mais c'est aussi l'étude de « l'après ». Jacob va devoir vivre avec cette culpabilité qui pèse lourd sur sa conscience. C'est l'univers de ceux qui résident à côté des camps, sans se soucier de ce qui s'y passe. En profitant même, peut-être, de certains avantages qu'ils peuvent leur offrir. C'est le destin des nazis qui ont endossé une nouvelle identité, et veulent bénéficier d' une petite vie tranquille, sans être rattrapés par le souvenir de leurs actes.
J'ai pris ce roman comme un véritable coup de poing et ne suis pas près de l'oublier. Je ne regrette pas cette lecture qui m'a profondément marquée.