Citations sur La Chatte (63)
Avertie mystérieusement, la chatte regagna la table d'ébène poli, s'y assit sur son propre reflet bleuâtre immergé dans une eau ténébreuse et rien, en elle, n'eût paru insolite, sinon la fixe attention qu'elle donnait aux invisibles, droit devant elle, dans l'air.
Vinrent juin et les plus longs jours, ses ciels nocturnes sans mystère, dont une lueur attardée au couchant, une autre lueur levante sur l'Est de Paris, soulevaient les bords. Mais juin n'est cruel qu'aux citadins sans voiture, encadrés étroitement de pierre chaude, qu'à l'homme serré contre l'homme.
Saha, notre jardin…
Il la sentit couler hors du panier, et par tendresse il cessa de s’occuper d’elle. Il lui rendit, lui dédia la nuit, la liberté, les insectes veilleurs et les oiseaux endormis.
De telles soifs, qui naissaient de l'étreinte et lui survivaient, n'affrontaient pas la lumière du jour, ni le réveil complet, et ne peuplaient qu'un isthme étroit, entre le cauchemar et le rêve voluptueux.
La brise de mai passait sur eux, courbait un rosier jaune qui sentait l'ajonc en fleurs. Entre la chatte, le rosier, les mésanges par couple et les derniers hannetons, Alain goûta les moments qui échappent à la durée humaine, l'angoisse et l'illusion de s'égarer dans son enfance.
Il parlait à la chatte qui, l’œil vide et doré, atteint par l’odeur démesurée des héliotropes, entrouvrait la bouche, et manifestait la nauséeuse extase du fauve soumis aux parfums outranciers..
Elle goûta une herbe pour se remettre, écouta les voix, se frotta le museau aux dures brindilles des troènes taillés. Mais elle ne se livra à aucune exubérance, nulle gaité irresponsable, et elle marche noblement sous le petit nimbe d’argent qui l’enserrait de toutes parts.
Il versa la chatte sur le lit en penchant l'épaule, et erra, de sa chambre à la salle de bains, inutilement, en homme que la fatigue empêche de se coucher.
Alain la respirait comme un printemps âpre, installé en plein été. Sa répugnance à ménager, dans la maison natale, une place pour la jeune femme étrangère, il l'emportait avec lui, la dissimulait sans effort, la brassait et l'entretenait mystérieusement par des soliloques, et par la contemplation sournoise du nouvel appartement conjugal.
Quand il déjeunait seul, il n'avait pas à rougir de certains gestes élaborés par le vœu inconscient de l'âge maniaque. Il pouvait librement aveugler de beurre tous les "yeux" du pain, et fronçait le sourcil lorsque le niveau du café au lait, dans sa tasse, dépassait une cote de crue marquée par certaine arabesque d'or.
Ce fut vers la fin juin qu'entre eux l'inconciliabilité s'établit comme une saison nouvelle, avec ses surprises et parfois ses agréments.