La grande fontaine glougloutait doucement dans les trois bassins de pierre disposés en trèfle, et les gouttes de soleil pleuvaient entre les feuilles sur l’eau miroitante, les piquant d’étincelles. Le pilier de pierre d’où sortait le goulot et que sur-montait une pomme de pin sculptée toute moussue, s’adossait au tilleul gigantesque qui, de ses ramages étendues, couvrait la moitié de la petite place. Du bord de la fontaine, sous le dôme de feuillage, on ne voyait que des rez-de-chaussée tout à l’entour ; le porche de l’église, une arcade romane en pierre jaune tout ébréchée ; les croisées ouvertes et bourdonnantes de l’école enfantine ; des façades basses et rustiques, aux petites fenêtres à meneaux toutes fleuries de géraniums, tout embaumées de romarins ; la porte ouverte d’une étable d’où s’échappait, avec l’haleine chaude du bétail, la douce odeur du lait ; un banc vert ici et là, dans l’encoignure d’un contrefort en maçonnerie ; le petit perron de la cure avec son rideau de vigne vierge et la pomme de cuivre de sa sonnette qui brillait au soleil comme une boule d’or ; et partout les branches du tilleul s’abaissant, mettant comme un voile et un mystère devant les étages, devant les toits… C’était toute une petite vie restreinte, à fleur de terre, variée et multicolore, avec un coin de bleu qui brillait ici et là, bien haut, dans les éclaircies du feuillage.
– Je te l’ai déjà dit, reprit son père. Je te l’ai dit cet été : Rose-Anne te plaît, donc elle me convient aussi. Je suis d’accord. Va de l’avant.
– Vous n’avez peut-être pas songé… aux conséquences, dit le fils, hésitant et cherchant ses mots. Une jeune mariée, il faut la recevoir, la loger convenablement. C’est un sujet que nous devrons traiter à fond.
– Sans doute, sans doute, dit le père, dont la voix baissa tout à coup en une intonation de faiblesse impatiente. On n’a pas bâti Rome en un jour ; on ne rebâtit pas une vieille maison, ni un vieil homme, en cinq minutes. Tu n’as pas encore fait ta demande. Je suivrai le mouvement, ne t’inquiète pas…
– Vous pensez sérieusement à réparer, à reconstruire ? demanda Laurent qui, de toute sa vie, n’avait poussé son père de si près, jusqu’au pied du mur.
– Réparer, en tout cas, dit Élie vaguement.
– Je vous dis que cet évier pue ! cria-t-il encore.
– C’était bien pire pendant l’été, et vous n’avez rien dit ! gémit la cousine.
– C’est qu’on pouvait tenir ouverte la porte d’entrée.
– Mais en hiver les odeurs gèlent… Attendez décembre, vous ne sentirez plus rien, poursuivit-elle, toujours cramponnée à son principe de non-intervention.
– Chacun sait que Élie Maistru est un original, mais de là jusqu’à dire… reprit l’une des femmes. – Quand on possède le Coin du Coin, on n’a guère besoin du bien d’autrui… – Après ça, s’il s’habille comme un vagabond, ça le regarde…
c’est ma faute. Au premier moment, il me semblait que je faisais bien de crier l’affaire sur les toits… Pour effaroucher le coupable, tu comprends. Une manière de le punir. Mais c’est une guerre de langues partout, à la cure, au moulin, dans les boutiques…