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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Sous les yeux de l'Occident se range dans les oeuvres dites politiques de Joseph Conrad, avec L'Agent secret, quelques nouvelles (L'Anarchiste, le Mouchard) et à un moindre degré Nostromo. Cette commode classification peut prêter à confusion; en effet, l'intention de l'auteur n'est pas de discuter la valeur ou la légitimité de telle ou telle cause, ni de défendre ou argumenter en faveur d'une position politique personnelle, encore moins de soutenir une thèse. Il n'est certes pas tendre avec les anarchistes mais, dans ses romans, les convictions politiques l'intéressent moins que la psychologie des êtres qui les expriment, qu'il place à dessein dans des circonstances exceptionnelles; le même mécanisme est mis en oeuvre dans la plupart de ses productions littéraires et si, dans les ouvrages cités plus haut, ces circonstances découlent directement d'activités politiques, dans Lord Jim par exemple, elles sont liées à un naufrage en mer et dans Au coeur des Ténèbres, à l'isolement dans la jungle du Congo.
In fine l'objet de prédilection de l'auteur est l'analyse de la capacité de l'homme à être - devenir- soi dans la dignité c'est-à-dire en dernier ressort, libre fût-ce mort.

Ici donc les circonstances sont la confrontation entre les milieux révolutionnaires et l'autocratie russe en 1904.
La Russie tsariste vit ses dernières année. A St Pétersbourg, l'étudiant Razoumov est impliqué malgré lui dans un assassinat politique; il doit fuir son pays et rejoint à Genève la diaspora révolutionnaire. Confronté pour la première fois de sa vie aux sentiments, il y mène son dernier combat d'être humain, farouchement indépendant et paradoxalement fragile.

Si je m'abstiens d'en dire plus, c'est par respect pour le travail d'orfèvre que représente la construction du roman au fil duquel Conrad fait émerger progressivement la personnalité de Razoumov, au fur et à mesure que celui-ci prend lui-même conscience de qui il est, exposé à l'implacable force d'écrasement des évènements extérieurs - le destin- auquel l'étudiant solitaire tente d'opposer son libre arbitre.

Avec la maturité, Conrad a épuré son style qui, sans rien perdre de sa capacité d'évocation, est plus direct, précis toujours, plus acéré ce qui est de circonstance dans cet univers glacé.
Il a mis beaucoup de soin et, comme à son habitude pris beaucoup de peine, pour justifier aux yeux de ses lecteurs, la logique de révélation des faits; il introduit à cette fin un narrateur, le si discret et soucieux des convenances professeur d'anglais dont l'autre fonction, non la moindre puisque d'une certaine façon elle vaut son titre au roman, est de viser à combler le fossé qui sépare les sensibilités occidentales et russes. Un autre Conrad, en quelque sorte; Conrad dont il convient, pour apprécier l'éventuelle pertinence du procédé, de considérer l'origine polonaise (elle serait aujourd'hui géographiquement ukrainienne) et l'histoire familiale.

La belle imagination créative et la finesse d'évocation souvent ironique de Conrad, s'agissant des caractères -une de ses marques de fabrique- atteint ici une sorte de sommet avec Razoumov (en russe, razoum signifie raison), environné d'une galaxie de satellites pensants: la soeur endeuillée Nathalia Haldine, le conseiller (flic) Mikouline, le leader étrangement féministe Pierre Ivanovitch, la passionaria quelque peu asexuée Sophia Antonovna et même chaque personnage de deuxième plan du microcosme de la diaspora réunie à Genève.

"Va pour toi, de ta terre, de ton enfantement, de la maison de ton père, vers la terre que je te ferai voir" dit IHVH à Abram dans la traduction de Chouraqui (Ge 12,1); ainsi pourrait dire à Razoumov le conseiller Mikouline, non sans un cynisme assassin. C'est aussi la mission que Conrad assigne à ses "héros" lorsqu'il les projette dans son espace temps littéraire, assurément non terre promise mais trou noir.
Etre soi quel qu'en soit le prix, s'atteindre ou se rejoindre au-delà des conséquences de ses errements en s'accommodant du destin, tel est le lot de Razoumov, comme de Jim ou de Nostromo.

Les multiples clins d'oeil verbaux à Raskolnikov et d'autres personnages et situations de Crime et Châtiment sont évidents quand pourtant presque tout diffère: personnalités, évènements, acception du destin et bien sûr partis pris littéraires respectifs; Dostoïevski étant dedans et assumant l'âme russe, Conrad se tenant dehors et prétendant nous la rendre un peu plus accessible.

A la sortie, c'est un peu comme si le sceptique et pudique Anglais , avec un clin d’œil moqueur et nous faisant crédit de clairvoyance, nous murmurait "maintenant, vous pouvez relire le Russe exalté".

On ne s'ennuie pas une seconde.
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Un Joseph Conrad au style fluide. Cependant il conserve ce fond d'acuité virile, qui paraît austère, mais peut exprimer des idées très sophistiquées. La lecture de Joseph Conrad est toujours fascinante pour moi. J'y vois un mode d'expression d'un grand raffinement, dissimulé derrière un calque trompeur de sécheresse. Ce particularisme m'inspire. L'auteur parlait couramment de nombreuses langues, il a choisi une jeunesse d'aventurier, engagé comme mousse à Marseille, il a parcouru le monde en bateau. Il est possible que sa perception du monde soit très lucide.

J'ai senti l'effroi de l'auteur, proche de la culture Russe, devant les déchirements de ce grand pays, quand les nihilistes et les anarchistes de la Narodnaïa Volia, y répandaient la peur. Son effroi aussi, devant la rigidité d'un pouvoir autocratique qui se maintient par la terreur.

Le bon Razumov, étudiant studieux, qu'on devine être le fils illégitime du Prince K, trouve un soir, un homme l'attendant dans sa chambre misérable. Cet homme est un étudiant ; il vient de commettre un attentat. Irrémédiablement lié à lui, contre sa volonté, Razumov se trouve entraîné dans une spirale de mensonges, que sa méfiance des êtres humains et sa fascination morbide pour le funeste, vont renforcer.

Le roman aborde un grand nombre de concepts liés aux croyances, au mysticisme, à la providence, à l'autodestruction, et enfin, à l'identité Russe. Existe-t-elle ou n'est-elle qu'illusion ? Cette identité, cette "âme" russe, est-elle adossée à la pauvreté et à l'asservissement, qui génèrent des passions violentes, où est-elle culturelle, avérée ?
L'auteur répond à demi-mot. Le destin de Razumov, sa perception de lui-même, au cours du long cheminement de sa pensée, constituent la réponse. Selon moi, l'auteur suggère que l'âme russe serait illusoire, si elle ne se générait pas elle-même. Elle finit par émerger du néant, comme un dernier recours devant l'adversité. Un excellent roman.
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Tout d'un roman russe ! mais écrit par un polonais naturalisé anglais et dans la langue de Shakespeare ! Hommage de Conrad à Dostoïevski, beaucoup des thèmes de l'ouvrage sont empruntés à Crimes et Châtiments. le rythme est très lent, et l'ouvrage long, pour les amateurs de pavé (il y en a). Mais nous sommes récompensés par l'art du portrait de Conrad (le narrateur, à côté de la plaque, est un personnage savoureux), l'horreur délicieuse de la situation (être encensé comme un héros alors qu'on se sait un traître), l'implacable fin qui vous laisse sonné (autant vous laisser la surprise).
Lien : https://www.tristan-pichard...
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