Quel témoignage pouvait donc être apporté sur les Guerres coloniales ou sur le retour de colons et de fonctionnaires au Portugal ou en France au début de la décolonisation ? Quelles conditions de réception attendait ce témoignage dans la société française ou portugaise ? Qui était vraiment intéressé par le récit de ce qui s’était passé en Afrique ? Pour qu’il y ait témoignage, il est nécessaire que la société manifeste un intérêt à connaître ce dont il est fait témoignage. Dans le cas portugais, en raison de la nature dictatoriale du régime de l’État nouveau, la longue guerre coloniale (1961-1974) résistait d’emblée à être nommée — Guerre d’Outre-Mer, Guerre d’Afrique, action de souveraineté — et résistait au récit. [...] Dans l’après-25 Avril [...] elle résista de nouveau au récit. Pour des raisons différentes, mais semblables quant à la nécessité de produire un silence, il en alla de même avec la question algérienne en France, reconnue comme guerre par la société française, à travers son Assemblée nationale, en 1999 seulement. Ainsi, ces guerres devinrent inavouées et inavouables et le retour de milliers de colons un simple effet collatéral de la fin des empires, l’espace du souvenir se réduisant initialement aux seuls protagonistes : les anciens combattants, les retornados, les pieds noirs et leurs familles. (Margarida Calafate Ribeiro)
Comme tout nationalisme africain, le mozambicain naquit de l’expérience du colonialisme européen. La source de l’unité nationale provient de la souffrance commune endurée pendant les cinquante dernières années sous le pouvoir portugais. Le mouvement nationaliste ne surgit pas d’une communauté historiquement stable présentant une unité linguistique, territoriale, économique et culturelle. Au Mozambique, ce fut la domination coloniale qui donna naissance à la communauté territoriale et créa les bases d’une cohérence psychologique, fondée sur l’expérience de la discrimination, de l’exploitation, du travail forcé, ainsi que d’autres aspects de la domination coloniale. (Eduardo Mondlane)
Mais il y a une différence, un abîme je dirai, surtout dans la perspective originale de Pessoa, entre être un nationaliste mystique — à savoir le héraut et le rêveur d’une patrie essentiellement spirituelle, ou même, si l’on veut, culturelle — et le mystique national, le simple apologiste, pour ne pas dire fanatique ou fondamentaliste, d’une nation dans sa singularité empirique, convertie en idole et élevée en paradigme de l’universalité. (Eduardo Lourenço)
Chacun n’a véritablement que la patrie qu’il s’invente, à savoir la maison idéale où ce qu’il est et ce qu’il fait lui deviennent limpides et en dehors de laquelle il se sent, pour ainsi dire, perdu. En ce sens, ce n’est pas le Portugal ou les pays lusophones qui parlent portugais, c’est la langue portugaise qui les parle. (Eduardo Lourenço)
« Ma patrie est la langue portugaise » (Fernando Pessoa). Seul pouvait avoir inventé cette phrase, prédestinée à tant de succès, un individu imaginant comme hypothèse viable — et c’était son cas — qu’il aurait aussi une autre patrie s’il s’exprimait dans une autre langue. (Eduardo Lourenço)