Un roman puissant qui laisse sans voix. Une histoire qui semble sans issue pour les personnages. Mais un roman qui prend des chemins de traverses, les plus escarpés. Un roman casse-gueule où il n'y a pas de gueules d'ange.
Un roman moderne, sulfureux parfois dans ses propos. Rien n'est vraiment blanc. Rien n'est vraiment noir. Entre ces deux couleurs un petit garçon Alban. Et une tonne de questions qui alourdissent le coeur. L'avenir est sombre. On broie du noir. le teint est blafard.
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Amélie Cordonnier et son originalité.
Amélie et son «
Trancher ». Haché petit. Haché menu.
Amélie et son «
Pas ce soir ». Pas envie. Peux plus supporter ta tête de gland ! Retour à l'hôtel « des culs tournés. »
Au loup ! Un loup !
Un défaut de fabrication ? Un ouvrage mal exécuté ? Une erreur génétique ? Une punition divine ?
Le bébé est laid et il est en mue.
Amélie qui ose. Là où d'autres boguent doucement, balbutient et enrobent les mots de peur de faire fuir leurs lectrices et leurs lecteurs.
Amélie comme une guerrière dégoupille une grenade. le récit est explosif. La différence est toujours un sujet tabou, un sujet épineux. Une arête qui se met à travers la gorge. Une croute de pain qui se coince dans l'oesophage. On toussote. On fait de grands « Rhââ ! ». Pour finir par recracher, écarlate.
La différence sur la couleur prend cette fois-ci toutes les couleurs du désespoir.
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La belle plume d'Amélie zigzague, crisse sur le papier. Elle s'emballe, fait des embardées irrégulières. Elle aligne quelques mots. Elle distribue en rafale des phrases courtes.
L'encre noire crachote sur les feuilles blanches. Apparaissent des taches aux figures fantasmagoriques.
Je suffoque. J'invoque les esprits que l'auteure n'ait pas perdu les siens.
Mais non elle a toute sa tête. Alouette !
C'est parce que l'auteure est narratrice.
D'une mère sans prénom, qui semble sans identité propre. Une naissance celle d'Alban, une tâche, pas un grain de beauté. Une petite tâche intrigante. Qui n'a pas sa place là où elle se trouve. Un grain de peau importun jugé « contre nature ».
Et qui va bientôt entacher le bonheur immaculé de cette maman.
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La mère qui perd pied. Cette prof de français en perd son latin. Elle sombre et ses journées s'assombrissent.
La mère est ravagée, abattue, brisée devant ce phénomène. Une erreur de distribution dans les gènes. Une injustice. Une trahison de Dame nature.
Mais qui lui aurait menti ?
C'est Alban qui pleure. Il veut boire. C'est Alban qui sent mauvais. Il a fait caca et en a mis plein ses couches. Maman est dégoutée. C'est le rejet, la négation. Maman n'ose plus toucher son petit garçon.
Pire, maman ne peut plus le voir en peinture. Trop de coups de pinceaux bariolés.
Un petit corps avec des zones couleurs cuivre, pain grillé, croissant doré, café au lait. Mais sans « olé ! ». Pas de jeu de mots joyeux pour une situation trop grave.
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La situation est désespérée et désespérante. Peur des jugements. Peur de la colère et l'incompréhension du mari.
Cacher l'enfant, dissimuler Alban, l'emmitoufler, le cagouler, le maquiller. Peut-être le faire disparaitre...
Une pensée horrible. Une pensée hideuse. Et le rouge de la honte qui monte au visage de la mère.
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Elle appelle son papa.
Lui demande d'arrêter de faire ses grimaces hypocrites. Lui demande de remonter dans son arbre et de grimper aux branches généalogiques bien sûr.
T'es sûr ! Pas de cracheurs de feu ?
Pas de réducteurs de tête ?
Pas de marabouts africains parmi nos ancêtres ?
Aller papa t'es sûr ? Crache ta Valda !
Ou as-tu trompé maman ?
As-tu fauté ? Avec Lucienne la mauricienne ou avec Thérèse la congolaise.
Je suis TA fille, j'exige la vérité ! Rien que la vérité ! Toute la vérité ! Tu le jures !
Le pauvre père est accablé. Tant d'années de culpabilité. Tant d'années à dissimuler ses secrets de famille. Tant d'années à aimer sa fille et à lui mentir. Finir avec la tromperie. Finir avec ce mensonge permanent.
Alors il parle. le père parle, dit tout ce qu'il a tu trop longtemps, par lâcheté peut-être. Lâche le morceau, d'une seule traite, avec toute l'acidité qui suinte dans ses mots.
Soulagement ! Délivrance !
Le père crache alors La vérité. Celle qu'il a cachée. Comme une multitude de bastos qui mitraille le coeur de sa fille.
*
La femme, la mère, la fille vacille. La dernière torpille arrive et explose tout son être.
Elle est anéantie. Elle ferme les yeux.
Pour elle la longue nuit commence.