Quand on tombe il faut se relever, et souvent des béquilles s'imposent, ou des ailes, ou une force pour nous propulser.
Edouard Cortès a eu des ressources et la force nécessaire sur laquelle s'appuyer pour se relever, et avancer.
Au bout de 7 ans de vie de berger, les dettes et la banqueroute ont failli l'avoir, la mort dans l'âme il vend tout, mais que faire maintenant, il a une femme et quatre enfants. Dure épreuve à s'imposer, sauver son âme, une exigence de vie. du trou, il est monté à six mètres de haut, dans un chêne séculaire. Projet de vie audacieux. Il s'est construit une cabane dans l'arbre pour vivre seul quelques mois complètement coupé du monde, pour retrouver la sève de la vie, faire la paix avec lui-même et avec le monde. Passer d'une vie de mouvement où il avait traversé des milliers de km à pied, à une vie de sédentaire, une vie stable, dans un mouvement intérieur, pour "faire le Christopher Colomb de ses continents intérieurs", selon Thoreau qu'il cite. L'arbre l'appelait, et le berger quitta l'immensément grand qui parle fort, pour se retrouver dans l'immensément grand silencieux !
Brûlé par la terre, il s'en est remis, pour continuer à s'y frotter et vivre avec en symbiose. Un nouveau voyage, des plus gratifiants, au-dessus des cerfs douze-cors, en compagnie des mésanges bleues, des pics épeiches, des geais, des palombes, des loriots et des chouettes, des escargots, des algues et des champignons, son manuel de survie. Sa cabane, vitrée à 360°, est "un avant-poste sur la beauté du monde". Expérience géante !
Un retrait pour mieux voir, pour mieux s'ouvrir vers lui-même et vers le monde, vers les merveilles très ordinaires, pour "tutoyer les étoiles", et lire dans les feuilles des arbres, toucher leurs branches dans une fraternité des plus belles, celle qui donne et qui reçoit, celle qui ne demande pas.
Avec beaucoup de doute sur ses certitudes et peu de conviction sur ses illusions,
Edouard Cortès s'est mis à nu dans les bras du chêne séculaire, il y a trouvé la nourriture, la sève vitale, l'ouverture, le dialogue, l'écoute, la verticalité, le retour vers le monde qui a repris en lui parce qu'il a affûté son regard à la merveille très ordinaire.
Faut peut être vivre dans un arbre et avec lui, comme l'a fait
Edouard Cortès, pour comprendre le sens profond des mots de
Paul Valéry «l'arbre, c'est le temps rendu visible», le temps s'étire, le temps se fige, il nous montre ses multiples dimensions, 100 ans un arbre jeune, 100 ans la construction d'une cathédrale, 100 ans la vie d'un homme.
Un temps de retrait un temps pour prendre du recul sur le monde et sur lui-même, grandir, s'élever, appréhender la tragédie du monde et la sienne, continuer à se poser des questions, garder ses doutes, éveiller la conscience que se couper des arbres c'est abattre des ciels en nous.
La littérature l'accompagne, fidèle et inépuisable,
La Boétie, Rostand, Hugo,
Baudelaire, Thoreau, Muir,
La Fontaine, Camus, il les lit et relit, il les garde en lui, et découvre la toute aussi inépuisable littérature de la nature, qu'il écoute et s'en imprègne.
"Que le malheur ou le bonheur m'atteignent, cela m'importe bien moins qu'autrefois. Ils sont trop intimement liés. J'essaye désormais, comme les racines et les rameaux, de les encourager si loin en moi qu'ils me fassent pousser. Il me semble que je me porte mieux en imitant mon chêne. Avancer comme un arbre par les extrêmes, en poussant, au plus haut niveau de soi, le chagrin et la joie."
Les grecs se sont battus pour la beauté, qu'est-ce qu'on fait nous pour la beauté ?, se demandait Camus.
Plantons des arbres, comme acte de résistance, acte politique et acte de foi.