AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,85

sur 213 notes
Absolument passionnant, ce livre sur la Grande Arche de la Défense nous raconte une tragédie, celle de son architecte danois qui a démissionné et est mort avant de voir la fin de la construction de son projet. Un rêve devenu cauchemar.

Quand en 1983, Johan Otto von Spreckelsen gagne le concours international anonyme pour le projet Tête Défense devant marquer l'axe historique de Paris, son projet, un cube évidé qui forme une arche, emporte l'enthousiasme de beaucoup et surtout celui du président Mitterrand. Mais l'architecte professeur n'a que cinq réalisations à son actif : sa maison et quatre petites églises, et pas de cabinet d'études.

Ce qui fait que le temps passant, les difficultés à s'accorder sur la réalisation entre le maître d'ouvrage et le maître d'oeuvre ne font que s'accroître — Spreckelsen est un perfectionniste, il accepte difficilement les modifications indispensables à la viabilité de son projet. A cela il faut ajouter les différences de culture, et surtout le changement de majorité : en 1986 le nouveau gouvernement Chirac souhaite privatiser l'édifice. Beaucoup trop de divergences et d'aléas qui conduisent Spreckelsen à la démission. Il renonce à signer le bâtiment :  « Il n'avait en tête que sa superbe épure et la certitude qu'on allait l'abîmer », et meurt un an plus tard, deux ans avant l'inauguration de L'Arche.

Pour rapporter cette histoire édifiante à de nombreux points de vue : notamment les agissements de la classe politique, de droite comme de gauche, et ceux de ses amis, l'auteure, sans jamais se départir de son sens de l'humour, a fait un remarquable travail d'enquête. Elle a rencontré les nombreux protagonistes de ce presque fiasco qu'a été la construction de la Grande Arche de la Défense. Vaste gâchis, sauf si l'on considère ce monument comme un très bel ouvrage, le chef-d'oeuvre architectural d'un grand et beau danois.
Commenter  J’apprécie          836
Roman-enquête passionnant qui montre toutes les implications de la construction de la Grande Arche et permet de mesurer la complexité d'un projet architectural tel que celui-là sur le plan technique, la mise en oeuvre du chantier, et toutes les luttes d'influence qui viennent s'agglutiner autour des enjeux qu'entraîne son envergure.
Si la mise en oeuvre du projet et les contraintes de la construction de ce monument vont être une suite de défis, l'écriture de Laurence Cossé en relève un autre car, nous dit-elle, avec l'humour qui se retrouve tout au long de ce roman-enquête :
"La littérature fait courir des risques dont l'auteur n'avait pas idée avant de s'y lancer, sans quoi il aurait préféré l'ethnographie ou le saut à la perche.(...)
Je savais que l'approximation et la précarité gouvernent les amours humaines, les relations sociales, les pouvoirs quels qu'ils soient, les entreprises artistiques, la préparation des entremets, les illuminations religieuses, mais je croyais qu'il existait dans l'univers un ordre de réalité frère, immuable , en un mot sûr, qui précisément était la technique. Tout ce qui est béton, marbre ou acier me semblait être du solide. Et je découvre en travaillant la différence entre précontrainte (du béton) et postmodernité que l'incertain règne là comme ailleurs." p 191

Ce pourrait n'être qu'une comédie grinçante, illustrant le cynique affrontement des pouvoirs politiques et les luttes d'intérêt, dans le choix des décisions concernant les projets qui se sont succédés au cours des trente années écoulées entre les premières interrogations des années soixante, pour combler le trou de la Défense, et l'inauguration de la Grande Arche lors des commémorations du bicentenaire de la révolution française.

Mais ce fut aussi le drame d'un homme, l'architecte danois Johan Otto von Spreckelsen, dont le projet est retenu le 25 mai 1983, suite au concours international lancé au début de la présidence de Mitterrand.
Laurence Cossé remarque à propos de la nuit de voyage en train de Spreckelsen qui rejoint Paris après avoir appris que son projet était retenu : "Peut-être la nuit qui suivit a-t-elle été la plus heureuse de la vie de Spreckelsen. Y a-t-il gloire plus pure que celle qui couronne un inconnu sans ambition autre qu'artistique, non pas au terme d'une intrigue, ou d'une lutte de pouvoir ou de quelque autre stratégie sociale, mais à l'issue d'un concours anonyme, en reconnaissance de la force et de la beauté d'une oeuvre d'art ? Y a-t-il joie plus claire ?"
La joie première va vite être obscurcie par une suite de malentendus et d'incompréhensions qui aboutiront à la démission de Spreckelsen.
Cet homme exigeant et intègre, cet artiste, ce poète, va devoir s'incliner après s'être épuisé à tenter de contourner les exigences budgétaires et les contraintes techniques pour préserver l'âme de son oeuvre. Il ne s'attendait pas à tous les obstacles qui allaient surgir, croyant naïvement que la faveur et le soutien amical d'un président de la République que ce projet passionnait, lui en garantissait l'aboutissement.
Même si le résultat n'est pas celui dont rêvait son initiateur l'Arche est là, elle existe et vit.
Les pages magnifiques du chapitre 25 du roman en témoignent :
"Faire à pied ces huit kilomètres entre le Louvre et La Défense , un jour de grand beau temps et tôt le matin, avant que n'enfle la circulation, est l'approche de l'Arche à la fois la plus simple et celle qui, loin de la dévoiler un peu plus chaque mètre, conformément à une loi de progression linéaire, en fait entrevoir par à-coups ce qui l'apparente au mirage, la légèreté, le mystère, la grâce, la vie. On la voit disparaître lentement à l'horizon, comme le soleil au couchant, à ceci près que la luminosité est constante, puis en émerger d'un coup, à l'Etoile, tableau de ciel sur fond de ciel, et croître formidablement en taille, en blancheur, en splendeur .
Ce mouvement superbe, cette lente plongée et cette soudaine émergence, Johan Otto von Spreckelsen ne l'a jamais observé. Parmi tous les marcheurs qui avancent vers l'Arche, parmi les passants qui s'arrêtent à sa vue, puisse l'un ou l'autre, un instant, avoir une pensée pour celui qui n'aura pas vu la Forme très pure dont il avait eu la vision."

Je remercie les éditions Gallimard et Babelio pour la lecture de ce livre qui m'a fait découvrir, entre autres, toutes les méandres que peut suivre un projet architectural jusqu'à son aboutissement. Une aventure passionnante !!!
Commenter  J’apprécie          714
Sous le titre La grande arche, on lit « roman ». Si l'on s'en réfère à la définition du Larousse, on trouve ceci
«  Oeuvre d'imagination constituée par un récit en prose d'une certaine longueur, dont l'intérêt est dans la narration d'aventures, l'étude de moeurs ou de caractères, l'analyse de sentiments ou de passions, la représentation du réel ou de diverses données objectives et subjectives ; genre littéraire regroupant les oeuvres qui présentent ces caractéristiques ».

Certes, on retrouve dans La grande arche des études de moeurs ou de caractères, l'analyse de sentiment peut-être, et de données objectives, oui. Mais les deux premiers mots de la définition évoquent quand même une oeuvre imaginaire. Et là on ne répond pas au cahier des charges; ce récit tient plus de l'enquête journalistique que du roman. Les faits sont là et sont décrits, avec passion et et rigueur, mais sont loin d'être imaginaires.

Roman ou pas, l'histoire de ce monument de Paris, élevé par la volonté d'un président qui voulait « graver son histoire dans le verre ou dans la pierre «  comme le dit la chanson, mérite-t-elle qu'on s'y intéresse?
Les férus d'architecture pourront y trouver leur compte. Les lecteurs passionnés d'intrigues politiciennes aussi. Les férus d'architectures passionnés d'intrigues politiciennes connaitront l'extase. Personnellement hélas ce n'est pas mon cas. La lecture a donc été assez fastidieuse, par incompréhension des descriptions de volumes, orientation, proportions….(un encart photographique aurait été très utile pour illustrer la construction, les personnages, mais aussi les dessins de chantier qui sont évoqués), par agacement de redécouvrir et de confirmer ce que l'on sait déjà, à savoir que les deniers publics n'ont pas toujours une utilisation optimale. le seul aspect qui m'a accroché est la personnalité de l'architecte Spreckelsen, ce danois tourmenté, qui n'aura pas vu le résultat final de sa création (ni la dégradation de la bâtisse dans les décennies qui vont suivre et c'est sans doute mieux ainsi).

L'auteur a accompli un énorme travail de documentation, avec une rigueur certaine. Et son intention est énoncée clairement d'en faire une oeuvre poétique. C'est un défi irrationnel : comment donner à des interviews, des dialogues de personnalités influentes un ton musical? Comment s'émouvoir sur la différence entre bâton armé et béton précontraint?

L'écriture est élégante (les nombreuses réserves que j'émets ne concernent pas le talent d'écrivain de l'auteur, certains paragraphes sont superbes, quand ils parlent de la difficulté de ce travail d'écriture), mais on trouve beaucoup de redites, sans utilité.
Par ailleurs certaines anecdotes semblent hors de propos : l'histoire de la poule rousse, le chapitre sur Karen Blixen.
Pourquoi ces deux paragraphes identiques en début de chapitre, l'un sans ponctuation, l'autre avec?

Enfin, pourquoi la grande arche? A cause de l'architecte un peu fou? de la vanité des ses commanditaires? de son inutilité hormis de constituer une perspective sur l'axe historique de la capitale? Pourquoi pas l'opéra Bastille ou la cité des sciences, sûrement concernés par de croustillantes anecdotes politico-architecturales aussi?

Que restera t-il de cette lecture? Lorsque je passerai à la Défense, je saurai que le nuage n'est pas une bâche provisoire, je remarquerai la structure métallique à l'intérieur qui sert de chassis pour les ascenseurs (que l'on ne peut pas utiliser si j'ai bien compris), et j'aurai une pensée pour le danois obstiné qui l' a conçu. C'est un résultat non négligeable.
Commenter  J’apprécie          642
Ce pourrait être une fable, l'Arche et l'Architecte… l'image de ces deux "protagonistes" illustrant la cruelle et captivante analyse d'un projet au destin aussi maudit que celui de son créateur, Johan Otto von Spreckelsen, architecte danois quasi méconnu du grand public en dépit de son incontestable paternité.

C'est que Spreckelsen, à la fois rigoureux et profondément idéaliste, aura dû appréhender à ses dépens les ahurissants méandres de la tergiversation à la française (pas bien reluisante ici, il faut l'admettre) jusqu'à finir par s'auto-exclure définitivement du projet tant il lui semblait s'éloigner de sa vision créatrice initiale.

La Grande Arche de la Défense quant à elle semble familière à beaucoup d'entre nous, au point sans doute que de mon côté je n'ai jamais cherché à savoir ce que ce monument de simplicité et d'audace mêlées recelait de controverses ou de méprisables secrets.

Ces deux personnages, de chair pour l'un, de béton pour l'autre, Laurence Cossé les installe en miroir au coeur de cette édification hors normes qui conjugue à parts égales prodigieux défis techniques et sombres magouilles politiciennes.

Documentaire architectural, chronique politique et portrait psychologique oscillant souvent entre ironie et compassion, ce roman peut paraître parfois décousu, de temps à autre un peu confus, mais il n'en reste pas moins passionnant et incite bien sûr à ré-apprivoiser la Grande Arche sous cet autre éclairage, amplement documenté et surtout inédit.

Ҩ

Merci beaucoup à Babelio et aux éditions Gallimard (avec mes plus plates excuses pour le petit retard)


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
Commenter  J’apprécie          502
Si l'urbanisation du quartier de la Défense vous intéresse, Laurence Cossé a effectué un travail de bénédictin pour tout nous apprendre sur la longue gestation du projet et sur l'édification de la Grande Arche.

Son travail de documentation est impressionnant. Il a en effet matière à creuser!
Les péripéties du chantier ont été nombreuses entre la "valse hésitation" des décisions politiques et la complexité de l'ouvrage. L'architecte danois Johan Otto von Spreckelsen, artiste sans concession, a fini par jeter l'éponge devant tant d'atermoiements. Un homme "arlésienne", peu présent sur le chantier et qui meurt rapidement après ce torpillage professionnel. Il est sans nul doute le personnage le plus incongru de cette histoire, le "sacrifié" sur l'autel de la gabegie, quasi inconnu et oublié quand sa vision architecturale enfin réalisée est si intégrée à notre univers parisien.

On peut s'étonner de trouver ce sujet documentaire dans cette collection de Flammarion. le récit est un enquête aux personnages réels, une épopée contemporaine d'hommes de pouvoir, de fonctionnaires de cabinets, de commissions, concours et d'incurie de maitrise d'ouvrage. On imagine fort bien Mitterand en Sphinx dans ses fonctions régaliennes et ses visions pharaoniques de Grands Travaux, les luttes d'influence et de jalousie des architectes et ingénieurs, Jack Lang et son entregent...un brouet à la française!
Avec le recul, navrant autant que tragique pour notre ego de franchouillard et nos finances d'Etat.

Nous reste la belle Arche, devenue bien discrète au milieu des géants de verre qui l'entourent. Je ne la regarderai plus de la même façon dorénavant...
Commenter  J’apprécie          381
Laurence Cossé avait déjà écrit un roman sur l'inutilité en architecture ; dans « le Mobilier national », elle nous fait partager les affres d'un ministre de la culture qui se demande s'il ne faudrait pas bazarder la plupart des cathédrales françaises, surtout celles qui sont moches (et il y en a) et où, de toute façon, plus personne ne rentre. C'est une autre sorte de cathédrale, dont il est question ici, tout aussi vide, et sacralisée à la fois par son concepteur (qui ne conçut que sa propre maison, quelques églises, et cette arche colossale) et par un président qui avait une certaine idée de la France et de son propre règne : la perspective ouverte par Le Louvre royal devait aboutir, de l'autre côté de la ville et de l'Histoire, à une oeuvre magnifiant la victoire de la gauche.
Si ce livre est passionnant par les contraintes techniques qu'il explique aux béotiens que nous sommes avec clarté et précision (ou comment passer du dessin au bâtiment, du formalisme au fonctionnalisme), c'est surtout un livre politique. de l'illusion lyrique que nourrit l'élection de Mitterrand au retour de la rigueur parachevé par la cohabitation, la trame de ces années-là épouse la construction de l'arche : un arc de triomphe, symbole grandiloquent ou mystique, devenu un gouffre financier à rentabiliser au maximum.
Mais La Grande Arche ne raconte pas seulement les années Mitterrand : le livre a aussi valeur d'art poétique. La tragédie de Johan Otto von Spreckelsen, obligé de passer sous les fourches caudines de la réalité (non, la pureté du marbre ne résistera pas à la pollution parisienne ; oui, créer un bâtiment vide provoquera un appel d'air à ne pouvoir rester debout…) est non seulement celle du pouvoir politique qui ne peut exister sans compromis, mais c'est surtout celle de tout artiste, et peut-être plus encore de celui qui n'a que les mots pour matériau.
La Grande Arche est un livre sur le langage, matériau trivial qui doit prendre forme pour devenir art.
C'est pourquoi Laurence Cossé emploie parfois le nom de l'architecte tel que l'état civil l'a instauré et parfois son diminutif, en fonction dans sa phrase de la valeur rythmique de l'un ou de l'autre mot.
C'est pourquoi elle s'interroge sur les connotations de l' « oeuvre d'art » et de l' « ouvrage d'art », et rappelle le surnom de Spreck : l'Albatros. Ce « prince des nuées » que « Ses ailes de géant empêchent de marcher », comme Baudelaire.
Le matériau « langage » pose deux grands types de problèmes. D'abord, parce qu'il ne suffit pas de poser des mots pour être compris et que, dans le bâtiment comme en grammaire, tout est affaire de structure et de contraintes. Ensuite parce qu'il faut faire avec ce qu'on a, au risque de dénaturer l'idée : le « u » et le « i », voyelles claires, prennent place au coeur du mot nuit, ce qui rendait Mallarmé fou ; et de même Spreckelsen , choisissant le silence quand on lui demandait d'accepter l'impureté du réel au sein de son oeuvre, et même la fuite, abandonnant le chantier de l'Arche comme Arthur Rimbaud la poésie.
Quant à la dernière phrase -ou presque- du roman : « C'est un ouvrage remarquable mais sans fonction forte ni sens, « Un objet pur, quoi. », elle m'a fait irrésistiblement penser au célèbre vers du « Sonnet en -ix » : « Aboli bibelot d'inanité sonore », l'Arche, comme une certaine poésie, n'est qu'une coquille vide, une forme vide et somptueuse. Et Cossé de choisir le sujet le plus aride qui soit, la chronique des défis techniques d'une construction, décidée à réussir là où Spreckelsen a échoué : tenir compte, comme le demandait Vitruve, à la fois de la venustas (la beauté) et de l'utilitas (l'utilité) ; se tenir à l'exact milieu des exigences de l'art et du réel, comme la clé de voûte dans l'axe de symétrie d'une arche...
Commenter  J’apprécie          354
Je l'aperçois tous les matins en allant travailler. Grande, belle, immaculée. Elle m'impressionne.
Alors je fais une pause dans ma lecture, je lève les yeux et je la regarde par la vitre du RER.
C'est l'Arche.
Ses 110 mètres de haut, ses arrêtes éclatantes, ses lignes pures, son imposante volée de marches où je me suis assis si souvent. Et pourtant je ne savais rien d'elle. Je n'y voyais qu'un monument emblématique du célèbre quartier d'affaires de l'ouest parisien, mais j'ignorais tout de son histoire, du grand concours international d'architecture de 1982 qui a vu naître le projet fou d'un cube géant et ajouré. Je n'avais jamais entendu parler des hommes qui l'ont érigé, ni de leurs accrochages et de leurs divergences d'idées, ni des tractations politiques et des diverses péripéties techniques qui ont agité ce chantier titanesque entre 1985 et 1989...

Même le génial Johan Otto von Spreckelsen - dit Spreck -, l'architecte fantasque et idéaliste à l'origine de l'Arche, m'était totalement inconnu.
Heureusement sont arrivés Laurence Cossé et son ouvrage passionnant ! Ce fut un régal de revivre avec elle cette incroyable aventure qui, je m'en suis rendu compte, dépasse largement le simple cadre un peu rasoir de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire.
Derrière le cube se cachent non seulement de fascinantes réflexions sur l'art, le processus de création, la vision d'un homme tout entier au service de son oeuvre, mais aussi des notions de physique et de géométrie, des défis techniques, des contraintes économiques, des pressions politiques, de coups bas et des conflits d'égo.
L'histoire de l'Arche embrasse donc celle de toute une époque, celle de la France mitterrandienne des années 80, celle des grands projets (Opéra Bastille, parc de la Villette, pyramide du Louvre, ...), du bicentenaire de la révolution et du G7 à Paris.

Les angles d'attaque sont multiples, et j'étais loin de m'imaginer en entamant ma lecture que Laurence Cossé parviendrait à aiguiser ainsi ma curiosité sur des fronts si divers. Il faut dire que sa plume est alerte, fine, intelligente : elle pourrait aborder n'importe quel sujet et le rendre captivant !

S'il ne fallait retenir qu'une seule figure de cette vaste enquête, ce serait sans conteste celle de Spreck, si attachante et si originale.
Voilà un véritable esthète de l'architecture, un perfectionniste venu tout droit du Danemark (avec toujours aux pieds ses mêmes sabots traditionnels !) où il menait jusqu'alors une carrière tout à fait modeste (juste la construction de quatre petites églises à son actif), qui n'a jamais touché un ordinateur et qui ignore tout ou presque de la technique. Spreck ne s'intéresse qu'au sens, à la symbolique, à la beauté du Cube et à ses proportions parfaites, à sa blancheur et au vide qu'il enchâsse.
Forcément, et malgré l'appui inconditionnel d'un François Mitterrand bien décidé à faire bâtir son arc de triomphe, cet homme d'idéal se heurte en France à bien des déconvenues. Il ne comprend rien à la lourdeur du système bureaucratique français, porte un regard éberlué sur la complexité des démarches administratives et sur notre "peu de sens du contrat" ("Nous avons du mal à le croire, nous autres Français qui nous voyons rationalistes, organisés et pour tout dire très intelligents, mais aux yeux de beaucoup de nos voisins nous sommes des passionnels, des idéologues, des phraseurs, des agités, des individualistes, enfin des gens peu sûrs").
En 1987, las des modifications incessantes apportées au cahier des charges, Spreck finit même par considérer les adjoints qu'on lui a plus ou moins imposés comme des traîtres ayant dénaturé son oeuvre : il jette l'éponge, rentre au Danemark et meurt dans l'anonymat deux ans avant l'inauguration de son Arche. L'article qui lui est consacré sur wikipédia (puisque c'est ainsi qu'on mesure aujourd'hui la renommée d'un homme...) est ridiculement succinct : heureusement que Laurence Cossé était là pour rendre justice à ce créateur atypique, allant même jusqu'à lui prêter un destin christique ("Une vie dans l'ombre. Puis trois années de vie publique. Un chemin de croix et la mort").

Mais voilà que je m'étale encore (combien d'entre vous sont encore là à l'entame de ce cinquième paragraphe ? ☺) alors je passe en vitesse et dans le désordre sur tout ce qui reste à découvrir dans "La Grande Arche" :
... un éclairage intéressant sur les habitudes professionnelles dans les entreprises scandinaves, et plus spécifiquement sur la société danoise (une société du consensus, marquée par le protestantisme et l'éthique du juste milieu : que de contrastes avec ce que nous connaissons en France !)
... des scènes étonnantes vécues dans les couloirs de l'Élysée, les rêves de grandeur de Mitterrand, les opinions divergentes de Chirac, les gabegies financières et le tour de vis budgétaire de Juppé, les changements de cap à répétition après les élections législatives de 1986 et l'entrée en cohabitation,
... des considérations esthétiques, les raisons qui ont déterminé le choix des matériaux, la conception des ascenseurs panoramiques et les mille aléas d'un chantier colossal (imaginez : trois hectares et demi de marbre et deux hectare et demi de verre, cent cinquante mille tonne de béton, treize mille tonnes de métaux divers, pour un ensemble de trois cent mille tonnes !), ainsi que de jolies formules articulées autour de mots tels que pureté, puissance, ouverture, audace, liberté,
... enfin un historique plus terre-à-terre et un peu confus, qui m'a moins intéressé, sur les multiples administrations, sociétés privées, consortiums, holdings aux acronymes abscons et autres associations plus ou moins fumeuses qui se sont succédé entre les murs du portique géant, sans que l'on parvienne jamais à comprendre à quoi le bâtiment était initialement destiné (un Centre international de la Communication ? "Entre 1982 et 1986, la fine fleur de la force au pouvoir en France va chercher à comprendre ce qu'elle a pu vouloir dire là. Centre d'abord, Carrefour ensuite, ASCOM, puis CIC, puis CICOM, changeant de président et de directeur aussi souvent que de nom, mais toujours avec un budget considérable, l'ectoplasme prendra des formes successives, aussi creuses les unes que les autres, avant d'être piétiné par un nouveau gouvernement. La suite sera plutôt pire puisque, après deux ou trois crapuleux simulacres, rien ne remplacera la baudruche et que L Arche, conçue pour héberger un au lieu de rencontre et de compréhension universelles, demeurera à moitié vide")
... et tant d'autres surprises encore !

Une chose est sûre : demain matin dans mon train de banlieue, quand je distinguerai au loin la silhouette de l'Arche, je verrai d'un autre oeil ce curieux assemblage de verre, de béton, de marbre et d'acier. J'aurai alors une pensée pour Johan Otto von Spreckelsen, lui qui "dans son carré monumental, a en quelques sorte encadré la perspective, comme s'il voulait afficher la notion même de dessin urbain et sa grandeur à travers les siècles."
Commenter  J’apprécie          286
L'héritage d'un chef d'Etat, dit-on parfois, se mesure au volume de monuments qu'il laisse après lui. de ce point de vue François Mitterrand fut à coup sûr le plus grand président de ces dernières décennies. Même si la plupart de ses réalisations emblématiques sont à Paris, d'autres sont cependant réparties dans toute la France, où elles constituent un solide réseau d'infrastructures culturelles. La Grande Arche fait incontestablement partie des trois oeuvres les plus connues, avec la pyramide du Louvre et la Bibliothèque Nationale de France.

J'ai passé cinq années dans la paroi nord de ce curieux bloc de béton et de marbre. Les parois sont étroites, et il est difficile de les aménager autrement que comme une interminable enfilade de bureaux pas très conviviale, et à peu près impossible à insonoriser. Cela étant, il faut bien reconnaitre que le bâtiment ne manque pas de cachet et fait son petit effet. Même s'il s'agit en fait de l'un des plus petits gratte-ciels de la Défense, il en est de très loin le plus notable. Cette plongée dans l'histoire de sa construction a donc été d'autant plus passionnante, la fluidité du style étant à noter – pas si simple de transformer des démêlés architecturaux et administratifs en péripéties haletantes.

Tout démarra par la volonté de Mitterrand de clôturer par un monument digne de son nom le fameux ‘axe historique' de la capitale. En partant du Louvre, il s'étend vers l'est, avec de légers changements d'angles, jusqu'au château de Vincennes. Vers l'ouest, il court tout droit par la place de la Concorde et la place de l'Etoile, se poursuit jusqu'à la Seine, suit l'axe de l'esplanade de la Défense. Qu'allait-on mettre au bout ? La réponse parait aujourd'hui aussi géniale que simple : une arche. Un Arc de Triomphe des temps modernes, comme un hommage au génie technique et un monument à la gloire des ingénieurs et des architectes, quand celui de la place de l'Etoile était consacré aux généraux.

C'est donc avec une certaine surprise que l'on découvre que l'Arche n'en est pas une mais est en fait un cube ; que l'idée, sélectionnée lors d'un concours anonymisé, venait d'un architecte danois ayant précédemment construit en tout et pour tout sa maison et quatre petites églises ; et que conséquemment le chantier fut un calvaire. Ce livre nous plonge dans l'histoire de ce bâtiment en particulier, mais surtout dans le travail quotidien de ceux qui ont la charge de mener à bien la construction de très grands projets, et se débattent sans compter leurs heures contre les difficultés administratives, les accidents de chantiers, les imprévus et incidents en tout genre. Respect à eux.
Commenter  J’apprécie          272
Une enquête super intéressante sur la construction de la Grande Arche de la Défense ou les mésaventures d'un architecte danois qui découvre les "subtilités" de l'Administration française et la légéreté de nos hommes politiques de l'époque...Ce véritable western politico-administratif arbitré, entres autres, par des architectes experts, vaut le détour et met surtout en avant la véritable gabegie autour de ce projet ou les égos des uns et des autres s'en donnent à coeur joie.Outre la mise en valeur, très réussie, de ce véritable exploit architecturale et technique, j'ai également beaucoup apprécié la mise en lumière, de Laurent Cossè, des incompréhensions culturelles et sociales entre français et danois. Nous devrions vraiment nous inspirer beaucoup plus dans notre quotidien de la société danoise et de son mode de vie et nous soucier chez nous, plus de l'être que du paraître...Après cette lecture parfois un peu technique mais au style très enlevé et précis, vous ne regarderez plus l'Arche tout à fait de la même manière.
Commenter  J’apprécie          250
Le mot roman est mis certainement par peur de procès. En réalité c'est une enquête sur la construction de la Grande Arche de la Défense. le premier mot qui vient à l'esprit est panier de crabes. Décision de Mitterand de faire un monument public, changement de gouvernement, donc abandon, puis reprise. le concours est remporté par le danois Johan Otto von Spreckelsen. Les différences sont grandes entre les deux pays, surtout au travail, où dans son pays une réunion commence et se finit toujours à l'heure dite. L'architecte ne comprendra pas que l'on modifie ses plans. Rêve n'est pas compatible avec finances. Fait unique : il démissionnera. Récit atypique, intéressant et passionnant. du béton, quoi !
Commenter  J’apprécie          190




Lecteurs (402) Voir plus




{* *} .._..