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sur 346 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Mendiants et orgueilleux est un roman d'Albert Cossery, écrivain égyptien de langue française, né au Caire en 1913 et qui vécut une grande partie de sa vie à Paris, du côté de Saint-Germain-des-Prés.
J'en avais entendu parler depuis longtemps, bien avant sa mort. Il y a quelques temps de cela, la médiathèque de ma commune a mis quelques auteurs méditerranéens en lumière, dont ce livre sous sa réédition, aux éditions Joëlle Losfeld. La lecture de ce roman fut pour moi un vrai bonheur.
Un meurtre a eu lieu dans un quartier pauvre du Caire, celui d'une jeune prostituée Arnaba... Un policier homosexuel et autoritaire Nour El Dine, est dépêché sur les lieux pour enquêter. Son chemin va très vite rencontrer celui de Gohar, un ancien professeur d'université devenu mendiant par choix philosophique, ce dernier devient très vite le suspect principal, et pour cause, puisque c'est lui qui a assassiné la jeune fille, poussé dans son acte par la nécessité de se procurer de l'argent à cause de sa dépendance au haschich. C'est là toute l'intrigue. Je vous en révèle le coupable puisqu'on l'apprend dès les premières lignes et que l'intrigue de l'histoire n'est pas importante. D'ailleurs, à force de côtoyer ce personnage insolite qu'est Gohar, le policier finit par abandonner purement et simplement l'enquête.
Non ici ce roman est plutôt prétexte à se délecter d'autres choses et je m'en suis délecté : les histoires, les parcours, les descriptions des personnages, leur manière touchante et pittoresque de vouloir former une sorte de communauté solidaire, généreuse, détachée des préoccupations du monde. Ce sont tous des personnages hauts en couleur, quelques mendiants auxquels l'auteur donne toutes leurs lettres de noblesse.
Raconter ce livre, c'est aussi raconter la rue, ses bruits, ses parfums, ses chants, sa misère et sa joie.
Ici le bruit de la rue arrive sur la page comme au bord d'une fenêtre ouverte.
Chaque chapitre du livre est unique, on dirait que chacun d'entre eux a été écrit un peu comme un conte, ce livre est une succession de petits contes qui pourraient se lire chacun à part.
Bien sûr, il y a quelques liens qui tissent une continuité et Gohar fait partie de ce lien.
La rue est une révolte. Ici devenir mendiant c'est résister à un monde qui est mal fait et cela en devient un art de vivre. C'est le refus d'un monde qu'ils ne veulent pas, celui des nantis, des ambitieux, ceux qui exploitent les autres ; c'est un renoncement à ce monde. Toute l'histoire de ce roman tient à cela.
Gohar, le personnage principal, gît dans un dénuement extrême, dormant sur des piles de journaux, vivant dans une chambre sommaire, avec pour unique mobilier une chaise.
Mais Gohar est devenu mendiant parce qu'il le voulait. C'est un professeur qui a commencé à avoir honte de son enseignement. Pour cela, il a renoncé à avoir une existence sociale.
D'ailleurs, le titre pose d'emblée ce message comme un acte très fort, une manière d'affirmer une présence sur cette terre : comment être Prince sans la richesse et sans le titre. C'est l'élégance des pauvres.
Non seulement, Albert Cossery nous met en lumière l'ordinaire silence des écrasés, des oubliés, mais il nous montre que la misère n'est pas un obstacle en soi, que l'orgueil n'est pas l'apanage des riches.
Ici c'est l'orgueil de ne rien posséder, ne pas avoir envie de posséder. c'est une revendication comme un cri de joie, c'est être libre.
Ne pas se compromettre avec ce monde où il faut travailler.
Travailler c'est être soumis à l'exploitation de quelqu'un, c'est se compromettre avec ce qu'il y a de plus mauvais dans le monde.
À chaque page, il y a le plaisir et le luxe de dire qu'on ne travaille pas, le goût de bien vivre.
C'est le personnage de Gohar qui porte toute la philosophie attenante à cette condition humaine et ce désir de vivre en marge de la société.
Ne rien faire, c'est ainsi qu'on vit comme un Prince.
Mais ces oisifs n'en demeurent pas moins des penseurs, des philosophes... Leur misère est à la fois une sagesse et une révolte.
Lors d'une interview, un journaliste demandait à Albert Cossery ce qui avait inspiré les personnages de ses romans. Il avoua alors que tous ces personnages existaient réellement, il n'avait même pas eu l'envie de leur changer de nom de peur de les dépouiller de leur identité...
Un écrivain est quelqu'un qui a l'art de ne rien inventer, il observe autour de lui, s'inspire de la rue, de personnages existants qu'il connaît peut-être. S'il faut cependant lui reconnaître un art c'est celui de savoir poser une passerelle entre la rue et la page du livre qu'il écrit et guider ces personnages un à un vers l'histoire qu'il est en train d'écrire.
Mendiants et orgueilleux, c'est aussi une histoire d'hommes. Les femmes sont peu présentes. Quelques femmes croisent le texte, elles apparaissent, disparaissent, réapparaissent.
lci ce sont avant tout des histoires d'hommes. Des histoires d'amours blessés où les hommes sont présents et se consolent entre eux. Il y a cette amitié qui apaise, ce sont des joyeux drilles qui se fréquentent, ils iraient jusqu'à donner leur vie pour l'un des autres membres du groupe si celui-ci était malheureux ou en danger, on sent l'amour à fleur de peau, le désir d'aimer et être aimé, franchir le gué, ne serait-ce que pour cela...
J'ai découvert dans l'écriture d'Albert Cossery une langue très belle, c'est une langue de l'exil et du souvenir. Il y a de la poésie à chaque page de ce récit. Et de la générosité aussi.
Albert Cossery confiait lors d'une interview à la radio : « Je n'ai pas besoin d'être riche pour attester de ma présence sur cette terre ; même sans le sceau, je suis un Prince. »
C'est l'ode du peuple d'en bas, des miséreux, des laissés-pour compte. Peut-être pour cela aussi ce livre demeure universel et actuel et n'a pas pris une ride.
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Je suis ravi de faire la connaissance de la prose langoureuse d'Albert Cossery.
Dans "Mendiants et Orgueilleux", paru en 1955, le meurtre d'une prostituée dérange à peine la douce torpeur des quartiers les plus pauvres du Caire et de ses habitants, aussi pittoresques que pauvres.
Dans ce roman, l'enquête fait de la figuration, vague arrière-plan d'une toile débordante de vie où les personnages phagocytent l'espace.
Il y a Gohar, intellectuel qui a abandonné sa charge universitaire pour mener une vie de mendiant. Un philosophe du dénuement qui ne veut plus être complice d'une société qui prive les hommes de leur liberté. Impossible d'exercer une quelconque pression sur ceux qui n'ont plus rien. Gohar, qui vit dans un « démeublé » et dort sur un tas de journaux, sanctuarise sa quiétude en mâchant du haschich. Tel un philosophe grec, il tient des audiences au gré de ses flâneries dans les rues du Caire.
Son dealer, Yéghen, est son premier disciple. La nature l'a paré d'un visage disgracieux mais il n'est pas rancunier et savoure chaque instant de sa vie.
Son voisin, un manchot, cul de jatte, vient se réfugier chez lui pour se protéger des crises de jalousie de son épouse.
El Kordi est un fonctionnaire, révolutionnaire frustré, amoureux d'une prostituée, prêt à s'accuser du meurtre pour la cause des misérables, et dont le chef a volé la plume « sous le fallacieux prétexte qu'elle se rouillait par manque d'usage ».
Il y a aussi Nour El dine, policier homosexuel chargé de l'enquête, fasciné et contaminé par ce biotope si fier de sa marginalité.
Poète de l'oisiveté, l'empathie d'Albert Cossery pour ses personnages est contagieuse et je suis tombé sous le charme de ses phrases qui s'écoulent au rythme d'un sablier. Miracle de fluidité, ce texte chasse l'ennui par une dérision permanente. Aussi exquis qu'une sieste dans un hamac, bercée par une brise légère.
Dandy parisien né au Caire en 1913, mort en 2008 à l'âge de 95 ans, Albert Cossery vécut comme il a écrit, comme ce qu'il a écrit.
Comme son grand-père et son père avant lui, il ne travailla jamais vraiment, traversa la vie avec nonchalance et consacra son oeuvre aux intouchables... pour les rendre touchants.
Seul bémol à ce concert de louanges, le peu de place et de considérations faites aux femmes dans le roman.
Je finirai ce billet par la première strophe de la chanson éponyme Mendiants et orgueilleux de Georges Moustaki, écrite pour un film tiré du roman :
A regarder le monde s'agiter et paraître
En habit d'imposture et de supercherie
On peut être mendiant et orgueilleux de l'être
Porter ses guenilles sans en être appauvri.

Vous ne perdrez pas votre temps à lire ce roman. Ne serait-ce que pour profiter pleinement du temps qui passe.
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Quel bonheur de lecture ! Albert Cossery est un seigneur. Il fait des oubliés de Dieu, mendiants et fainéants, fumeurs de hashish et autres ramasseurs de mégots qui peuplent les bas-fonds du Caire, des princes et des sages. Cossery l'Egyptien écrit dans un français ciselé. La narration est élégante et claire, le ton balance entre compassion et dérision. Les dialogues réinventent le langage coloré et excessif du petit peuple cairote. Cossery croque en quelques lignes les pleureuses professionnelles, les habitués bigarrés du café des Miroirs, la salle d'attente minable et les prostituées illettrées du bordel, le tramway puant plein de promiscuité qui relie les deux côtés de la ville. Il évoque furtivement la ville lumière, celle des grandes avenues, des vastes appartements et s'attarde sur la ville de l'ombre, celle des ruelles sordides et des taudis. Cossery est indigné, révolté contre le système matérialiste risible et détestable. Pourtant ses héros ne choisissent pas de le transformer par l'action politique et encore moins par la violence. Ils choisissent la voie marginale, oisive et immobile. Ils se dépouillent, mendient et cherchent la jouissance.
Gohar le héros antihéroïque du livre a abandonné depuis longtemps l'université où il enseignait la philosophie parce que « enseigner la vie sans la vivre est le crime de l'ignorance le plus détestable.» Il a décidé de ne plus collaborer au système et a renoncé définitivement aux biens matériels ainsi qu'au travail. Au début du récit, Il dort à même le sol sur un tas de vieux journaux dans une misérable chambre en passe d'être inondée. Alors il s'assoit sur l'unique chaise et contemple le désastre avec le sourire. Il n'a plus rien à perdre. Son dénuement le rend invulnérable. Mais Gohar n'est pas complètement en paix tant qu'il n'a pas avalé sa boulette de haschisch. Il nourrit même le vague désir de s'installer en Syrie où la consommation de haschich est autorisée. Nous le suivons à travers les ruelles tortueuses qui nous mènent au café des Miroirs. Celui qui le fournit d'habitude est un jeune poète très laid qui l'a pris en modèle. Yeghen a honte de sa laideur et méprise sa mère. Celle-ci est une veuve tombée dans la misère par la faute de son défunt mari. Elle encense pourtant sa mémoire et trouve son fils indigne. Yeghen est orgueilleux. Il hait sa fausse dignité drapée dans les convenances. Gohar et Yeghen se retrouvent souvent au bordel tenu par Set Amina la mère maquerelle. Gohar y tient les comptes et écrit des lettres pour les filles. Parmi les prostituées il y a la jeune Arnaba qui va être étranglée et puis une vieille très malade. El Kordi un jeune client idéaliste s'est mis en tête de la sauver. Il est en mission contre l'injustice. C'est un tout petit fonctionnaire croquignolet qui met un point d'honneur à en faire le moins possible au bureau quitte à payer ses collègues pour le travail effectué à sa place. Tous ont des problèmes avec l'autorité et la morale. Même Nour el dine le policier autoritaire chargé de l'enquête sur la jeune prostituée assassinée semble faire son devoir à reculons, il voudrait être libre lui aussi et ne plus avoir à cacher ses moeurs.
Le livre date de 1955 et n'a rien perdu de sa qualité subversive.
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http://bartlebylesyeuxouverts.blogspot.com/2007/11/le-souk-du-caire-albert-cossery.html

Extrait :

De nombreux critiques sur le net se posent la question de l'utilité de leurs textes. Je crois qu'il n'y en a qu'une : faire découvrir par de modestes billets des auteurs qui nous sont chers. S'il arrivait que mes textes fassent lire ne serait-ce qu'un livre, alors tout cela n'aura pas été vain. En tout cas, c'est grâce à deux articles d'Untel (ici et là) que j'ai découvert cet écrivain égyptien né au Caire en 1913 et vivant actuellement à Paris dont je n'avais jamais entendu parler : Albert Cossery.
Mendiants et orgueilleux, dont l'action se déroule au Caire, est considéré comme l'un de ses meilleurs livres. Il a été adapté deux fois au cinéma.

Le début du livre fait immédiatement penser à l'un des meilleurs textes du Plume de Michaux : Gohar qui dort sur des journaux à même le sol est réveillé par l'inondation de sa misérable chambre. Rien de grave, alors il se rendort, espérant qu'une intervention surnaturelle veuille bien mettre fin à tout cela. Les dieux ne se manifestent hélas pas, les eaux continuent de monter et Gohar est alors obligé de se lever et d'aller s'assoir sur sa chaise, l'unique meuble de son logement. La thèse sous-jacente au roman est ainsi donnée : celui qui ne possède rien est libre, heureux, parce qu'il n'a rien à perdre. le dénuement est le secret de la sagesse :

« Un instant il resta pensif, regardant sa couche ravagée et hors d'usage. Les vieux journaux qui lui servaient de matelas étaient complètement submergés ; ils commençaient déjà à flotter au ras du sol. La vision du désastre lui plut à cause de simplicité primitive. Là où il n'y avait rien, la tempête se déchaînait en vain. L'invulnérabilité de Gohar était dans ce dénuement total ; il n'offrait aucune prise aux dévastations. »

La pauvreté est à la fois une sagesse et une révolte. Une sagesse puisque ce sont le désir d'acquisition et la crainte de la perdre qui nous rendent seuls malheureux. Celui qui ne veut rien, ne possède rien échappe donc nécessairement au malheur. Une révolte également parce que Gohar n'a que du mépris pour cette société qui trouve son accomplissement dans le travail, l'exploitation de l'autre, le désir d'accumulation, etc. le meilleur moyen de combattre les salauds n'est pas la lutte politique comme le croit son ami El Kordi, jeune idéaliste naïf, car c'est encore une manière de participer au système, mais de se retirer totalement du jeu social. C'est ce que tente de lui expliquer le vieux sage :

« Gohar éleva la voix pour répondre.
- Je n'ai jamais nié l'existence des salauds, mon fils !
- Mais tu les acceptes. Tu ne fais rien pour les combattre.
- Mon silence n'est pas une acceptation. Je les combats plus efficacement que toi.
- de quelle manière ?
- Par la non-coopération, dit Gohar. Je refuse tout simplement de collaborer à cette immense duperie.
- Mais tout un peuple ne peut se permettre cette attitude négative. Ils sont obligés de travailler pour vivre. Comment peuvent-ils ne pas collaborer ?
- Qu'ils deviennent tous des mendiants. Ne suis-je pas moi-même un mendiant ? Quand nous aurons un pays où le peuple sera uniquement composé de mendiants, tu verras ce que deviendra cette superbe domination. Elle tombera en poussière. Crois-moi. »
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La possession matérielle fait-elle la richesse du coeur ? Rend-t-elle l'être humain digne et respectable ? Vivre dans la misère n'autorise pas la dignité ni la joie ; seuls la contrition et le travail acharné, soumis aux lois des dominants, correspondent à l'attitude attendue du pauvre. Engagés dans une immense entreprise de démoralisation, les bourgeois sèment une morale bien pensante à laquelle les pauvres s'accrochent, espérant un jour atteindre les sommets où paissent les bourgeois.

La misère s'immisce dans les derniers recoins de l'être, comme si l'état de dénuement absolu devenait le seul caractère identitaire de l'humain habité. La misère, venin contagieux, apporte avec elle le sérieux et l'obéissance, là où vivait auparavant l'allégresse de vivre, en toute simplicité.

Mais dans le quartier le plus pauvre du Caire, au début du xxe siècle, l'allégresse, l'insouciance règnent dans le coeur des hommes et des femmes qui, chaque jour, se rencontrent sur les places et les établissements mal famés et sordides – aux yeux de la morale bourgeoise. Ils n'ont rien, rien à perdre ; à l'opposé du quartier indigène où les rues, ordonnées et tristes, mettent en scène une « foule mécanisée – dont toute la vie véritable était exclue ».

Gohar ne possède rien, il n'est rien qu'un mendiant. Mais ça n'a pas toujours été le cas. Ce vieux monsieur, autrefois enseignant de philosophie respecté qui logeait dans les quartiers riches, a tout quitté pour vivre dans le plus grand dénuement. Son bonheur, c'est sa chambre meublée d'une chaise et de quelques journaux en guise de lit ; c'est sa liberté de pensée arrachée au gouvernement totalitariste ; ce sont les doses quotidiennes de cannabis qui, si elles l'éloignent du monde moderne, angoissé et fou, le rapproche du coeur des hommes. Il ne court pas après la fortune et le progrès, il marche paisiblement à contresens. Ne rien posséder, n'avoir que sa propre vie à protéger, n'est-ce pas un luxe ?

Au Café des Miroirs, il y rencontre tout un peuple de travailleurs à la semaine et de mendiants libres et dignes. Nour El Dine, l'improbable collaborateur au monde des bourgeois, le policier chargé d'une enquête pour le meurtre d'une prostituée, abuse de sa position supérieure au sein de la société. El Kordi, l'idéaliste, fonctionnaire au ministère, est enlisé dans une routine bureaucratique, stupide et vaine, alors qu'il rêve du soulèvement du peuple égyptien opprimé par des dirigeants tyranniques. Mais sitôt en compagnie d'une jeune femme, il oublie ses velléités de justice sociale. Yéghen, ce « monstre d'optimisme », l'exact opposé de El Kordi, qui, au lieu d'essayer de penser à sauver le monde, apporte une aide concrète à son ami Gohar…

Albert Cossery aime ses personnages, et ça se ressent. Ce n'est pas l'intrigue qui alimente le plaisir de lire, mais l'intensité, le naturel et la simplicité de chaque personnage. Cette oeuvre est remarquablement transparente : tout comme chez Jean Mecquert (publié dans la même collection), les idées sont revêtues de personnages, et non l'inverse. Chacun porte en soi des valeurs, des idées, et s'entrechoque aux autres ; ils sont hauts en couleur, improbables mais espérés, et forgés par tant d'idéalisme qu'on les fait siens dès les premières pages...

La suite de la critique sur mon blog :
http://www.bibliolingus.fr/mendiants-et-orgueilleux-albert-cossery-a80136594
Lien : http://www.bibliolingus.fr/m..
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Après Les couleurs de l'infamie, après La violence et la dérision, Mendiants et orgueilleux est mon 3ème roman d'Albert Cossery. Ici aussi nous traînons dans les rues du Caire (même si la ville n'est pas nommée), ici encore les personnages sont des héros misérables, philosophes et révoltés par la brutalité d'un pouvoir injuste, ici toujours leurs seules armes sont une dérision joyeuse et une ironie mordante.
Dans ce roman se croisent, comme dans un vaudeville poissard ; Gohar l'ex-prof de philo devenu mendiant volontaire (sorte de Diogène cairote), Yéghen son ami, dealer de hachisch, El Kordi petit fonctionnaire révolté et inutile, et le flic de service, Nour El Dine, accessoirement tourmenté parce qu'homosexuel. Toute l'histoire tourne autour du meurtre d'une jeune prostituée dont le lecteur connait l'assassin dès le début (mais, moi, je ne vous le dis pas). Comme dans l'Étranger de Camus, ce crime est gratuit, «existentialiste». Si vous aimez les enquêtes policières, passez votre chemin, celle-ci est un prétexte à montrer le petit peuple enjoué et indocile de la grande ville, et de dénoncer la vanité et la brutalité d'une société inégalitaire.
C'est un regard taquin et empathique que pose Cossery sur ses personnages. Une pointe de cynisme y transparaît aussi. L'humanité est laide et cruelle, c'est un fait, alors à quoi bon être pessimiste, il faut être joyeux, semble-t-il nous dire.
Extrait P.136 : « L'imposture était si évidente, si universelle, que n'importe qui, même un arriéré mental, l'aurait décelée sans effort. Gohar s'indignait encore de son aveuglement. Il lui avait fallu de longues années (...), avant qu'il ne jugeât son enseignement à sa juste valeur : Une monumentale escroquerie (...) il avait enseigné des inepties criminelles, soumis de jeunes cerveaux au joug d'une philosophie erronée et fumeuse. Comment avait-il pu se prendre au sérieux ? »
Allez, salut.

P.S. : Juste pour info : Je compte faire une petite « diète numérique » pendant les 15 jours qui viennent (quoi ! ce serait déjà pas mal !). Alors si vous me trouvez sur Babélio pendant cette période, vous pouvez m'engueuler ;-))
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Je discutais avec une connaissance, je lui racontais que j'étais tombée sous le charme de l'écriture de Naguib Mahfoud. Je lui parlais d'un personnage qui m'avais beaucoup marqué dans le livre passage des miracles, celui appelé le faiseur de mendiants. Ce dernier mutile des personnes volontaires qui pourront aller mendier et en faire un métier. C'est à ce moment là que cette histoire rappela à mon interlocuteur, l'histoire d'Albert Cossery.
Il m'assura que ce livre me plairait et effectivement. L'univers décrit par les deux auteurs est quasi identique, la touche personnelle de Cossery c'est son humour corrosif. Avec Cossery la misère prends une dimension politique même si ces personnages eux préfèrent la dérision pour supporter le quotidien. Je me suis procurée toute son oeuvre, tellement le coup de coeur est grand.
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Pour moi, un livre culte, lu et relu plusieurs fois. S'il ne faut lire qu'un Cossery, c'est celui-là, tout son univers est résumé dans ce court roman de la dérision.
La vie est dérisoire, mais aussi la volonté et le désir, les personnages qui hantent ce petit quartier égyptien me rappellent par certains côtés ceux de "Crime et châtiment". Bien sûr, le fatalisme arabe joue un grand rôle dans tout le roman, mais c'est aussi un hymne magnifique à la vie, à la grandeur et à la noblesse humaine.
Peu d'ouvrages atteignent cette justesse, cette intemporalité, et surtout en si peu de pages.
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Je ne connaissais pas Albert Cossery jusque voici peu. Je viens de le découvrir à travers ce livre attrapé je ne sais plus comment ni où, mais sur Babelio!

Ce fut un véritable coup de coeur. Quelle écriture limpide, toute en subtilité et humour.

Toute l'absurdité de la vie est bien décrite à travers ces mendiants cultivés, mendiants par choix, et mendiants décrits finalement à la dernière ligne comme orgueilleux, ce dont je ne suis pas convaincu.

Cossery est un auteur égyptien du XXème siècle de langue française et qui aurait certainement mérité un peu plus la lumière. Il a écrit 6 romans et quelques nouvelles que j'ai hâte de découvrir.
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Le plus essentiel dans ce court roman sont les personnages, il n'y a pas d'intrigue au sens strict du terme, mais plutôt une galerie de personnages que nous suivons pendant quelques jours. Au premier chapitre, nous découvrons Gohar, ancien universitaire, qui a abandonné la littérature et la philosophie. Il vit au jour le jour, dans une chambre misérable, il y a petit travail pour la tenancière d'un bordel, mais en réalité il survit grâce aux gens qui lui fournissent le peu nécessaire à sa subsistance. Et en tout premier lieu, Yéghen, qui lui fournit la drogue dont il ne peut se passer. Yéghen lui-même est un autre de ces mendiants orgueilleux du titre, subsistant grâce à divers subterfuges et refusant d'occuper une place quelconque dans le jeu social, se contentant de savourer des instants privilégiés, et ne voulant surtout pas être complice de la machine sociale et de ses injustices. Leur route va croiser celle de Nour El Dine, un policier, et remettre en cause ses choix de vie, mettre en évidence les raisons du malaise qui ne le quitte pas.

Albert Cossery a une écriture bien à lui, quelque peu anachronique, mais qui glisse avec beaucoup de douceur tout au long du récit. L'univers qu'il décrit est dur, celui des pauvres et délaissés, même si dans ce roman, il s'agit de pauvres en partie volontaires, et d'une philosophie en dehors de toute aspiration au pouvoir, de toute compétition, des apparences sociales. Mais tout autour grouillent des pauvres qui n'ont pas choisis de l'être et pour qui la misère est la seule existence qu'ils ne connaîtront jamais. La description de la société égyptienne de l'époque est terrible, d'autant plus que je ne suis pas sûre que les choses aient vraiment beaucoup changées entre temps.

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