Maouno de Finlande.

- Vois-tu là-bas cette étoile ? On l'appelle l'étoile polaire. Si on marche dans cette direction, longtemps, longtemps, la forêt devient toujours plus sauvage, et les arbres toujours plus petits. Et si on va encore plus loin, on arrive devant une mer, cent fois, mille fois plus grande que le golfe de Finlande. Des vagues énormes battent jour et nuit les rochers et parfois des morceaux de glace hauts comme des églises se promènent sur l'eau. Les seuls passagers sont des ours blancs.

J'ai une marque sur mon bras gauche, avait continué Vaino en retroussant les manches de sa chemise. J'ai demandé à tante Hilka ce que c'était. Elle m'a dit qu'elle n'en savait rien. Mais moi, je sais. C'est une tête de renne. Les rennes habitent là-bas et moi aussi je viens de là-bas. On m'a trouvé ici, mais je suis né là-bas.

Quand nous serons grands, nous irons tous les deux à travers la forêt, tout droit, en suivant l'étoile polaire et quand l'étoile sera juste au-dessus de nos têtes, c'est que nous serons arrivés. Je ne prendrai personne d'autre que toi, Unno, parce que personne d'autre n'est digne de connaître le secret. Tante Hilka ne compte pas. Elle dit que ce n'est pas une tête de renne, mais une simple tache de naissance.

Et maintenant, Unno, tu es mon ami pour toute la vie ! avait conclu Vaino. Quand nous serons arrivés dans mon pays, toi aussi tu auras le même signe sur ton bras. C'est un rayon de l'étoile polaire qui le gravera et il sera aussi beau que le mien.

Ce petit livre, je l'ai écrit sur place, là-bas, dans la région de Petsamo, à quelques kilomètres de la frontière russe. Une caravane de rennes m'a déposé à Suenjel, le petit village ensorcelé qui m'a retenu prisonnier volontaire, et que, fort peu avant l'incursion soviétique, j'ai dû abandonner.

Mes personnages ont existé réellement. S'ils vivent encore, je l'ignore. Je sais seulement que s'ils ont disparu des forêts arctiques, ils ont dû conserver pour mourir, le même calme et la même dignité qu'ils mettaient à vivre. Ce n'est pas à moi à les plaindre. Pour eux, la mort ne signifiait que le passage dans un monde qui, plus que cette terre, est fait à leur mesure.

Ils m'ont dicté ce livre. Je n'ai été qu'un porte-parole. Peut-être, avaient-ils désiré, avant de s'abandonner à la tourmente, laisser au vieux monde dont ils sont les plus anciens habitants, cet appel vers une vie plus proche de la nature et du cœur.

Quoi qu'il arrive, ils m'ont défendu d'être triste ; on ne porte pas le deuil d'un Paradis, même si, momentanément, on croit l'avoir perdu.

Elle ne le retiendra pas, personne n'a le droit de le retenir. Peut-être trouvera-t-il là-bas un foyer, des amis, des êtres semblables à lui ?

Ah ! s'il pouvait être heureux, enfin !

Tante Hilka soupira : Non. Il ne serait jamais heureux. Il est de la race de ces êtres très rares, issus d'un monde supérieur et qui cherchent en vain, sur cette terre, un écho à leurs rêves, à leurs nostalgies. Ils n'appartiennent à personne et rien ne leur appartient.