Aqmi

Serge Daniel n'a pas de chance. Son enquête sur AQMI a été mise sous presse quelques jours à peine avant le coup d'Etat du 22 mars 2012 au Mali et la déclaration d'indépendance de l'Azawad. Cette région désertique du Nord-Mali, peuplée de Touaregs, était l'une des terres de chasse de l'organisation terroriste, présente dans toute la bande sahélo-saharienne, depuis le Sahara occidental jusqu'au Tchad. le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) d'inspiration laïque, le mouvement salafiste Ançar Dine qui prône l'instauration de la charia et AQMI n'ont pas exactement les mêmes objectifs mais contribuent tous trois puissamment à l'instabilité régionale. Leur action concertée fait peser le spectre de la création, au coeur de l'Afrique occidentale d'un Etat paria, d'un nouvel Afghanistan, d'un sanctuaire pour les terroristes à partir duquel ils pourraient demain mener des opérations dans le reste du monde.

AQMI est l'héritière du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) lui-même issu en 1998 d'une scission interne au Groupe islamiste armé (GIA). Franchisé par al Qaïda début 2007, AQMI a transféré ses activités du nord de l'Algérie où elle a dû faire face à la répression sans merci des forces de sécurité gouvernementales, au sud du pays, dans les régions sahariennes frontalières de la Mauritanie, du Mali, du Niger et de la Libye. AQMI a réussi à s'y faire accepter par les populations locales, en leur fournissant notamment des services de proximité que des Etats faibles et corrompus ne parviennent plus à assurer. AQMI a aussi réussi à s'africaniser : composé à l'origine uniquement d'Algériens, elle recrute désormais de jeunes Africains sans avenir auxquels elle offre un exutoire.
AQMI a noué des liens avec les réseaux de contrebande qui sillonnent ces espaces désertiques en se livrant à toutes sortes d'activités criminelles : trafic d'armes, de migrants (Serge Daniel leur avait consacré son précédent ouvrage : Les routes clandestines, Hachette Littératures, 2008), de voitures, de faux médicaments, de drogue (il raconte comment un Boeing 727 en provenance de Colombie a atterri au nord Mali en octobre 2009 avec 10 tonnes de cocaïne à son bord). La frontière entre trafiquants et djihadistes a quasiment disparu depuis qu'AQMI a décidé de procéder à des prises d'otages. L'objectif était double : frapper l'Occident et les pays africains accusés de pactiser avec lui, mais aussi lever les fonds qui faisaient cruellement défaut à l'organisation. le calcul a été doublement rentable : le Sahara est devenu infréquentable par les touristes européens (Cf. l'organisation du « Dakar » en Amérique latine depuis 2009) et AQMI tire désormais l'essentiel de ses ressources des rançons obtenues contre la libération de ses otages.
Les combattants d'AQMI sont organisés en katibat des unités très légères d'une centaine de membres, elles-mêmes subdivisées en sarayat. Les deux principales sont à l'ouest celle de Mokhtar Belmokhtar – qui a organisé l'assassinat de 4 Français dans le sud de la Mauritanie en décembre 2007 – et à l'est celle de Abou Zeid qui s'illustra par l'enlèvement de sept employés d'AREVA à Arlit en septembre 2010. Ces groupes conduisent aujourd'hui des actions au sud du fleuve Niger comme l'ont montré l'enlèvement de deux Français à Niamey et l'attaque contre l'ambassade de France à Bamako en janvier 2010. Ils ont noué des liens avec Boko Haram, l'organisation nigériane responsable le jour de Noël 2011 d'une série d'attentats ayant causé plus d'une centaine de morts. L'alliance entre les deux organisations islamistes – à laquelle Serge Daniel consacre un chapitre – pourrait prendre en tenaille l'Afrique de l'ouest.
La lutte contre AQMI est une entreprise difficile. La réponse sécuritaire ne suffit pas ; l'aide au développement est indispensable pour lutter contre la pauvreté qui constitue le principal fourrier du terrorisme. Les Etats occidentaux veulent agir mais savent que leur implication trop visible pourrait être improductive. Les Etats de la zone peinent à coordonner leurs efforts : les velléités de leadership de l'Algérie se heurtent à l'hostilité de ses voisins du Sud, le volontarisme de la Mauritanie contraste avec l'ambiguïté du Mali d'ATT – ambiguïté qui a causé sa perte. Les organisations régionales minées par les rivalités interétatiques sont à la peine.
Nourrie de renseignements de première main, l'enquête très documentée de Serge Daniel donne la mesure de la menace que les actions criminelles d'AQMI font peser sur l'Afrique de l'ouest. Elle se lit comme une invitation à ne pas prendre à la légère les événements qui se déroulent ces temps-ci au nord du Mali, à Tombouctou, à Gao, à Kidal.